Mémorial des Martyrs de la Déportation, Paris, 2 juillet 2021
Le 2 juillet dernier, nous étions une vingtaine à nous retrouver au Mémorial des Martyrs de la Déportation, en plein cœur de Paris, pour commémorer le 77e anniversaire du départ du Train de la Mort vers Dachau. Parmi les participants, nous avons pu compter sur la présence fidèle de Jean Samuel et Yves Meyer, tous deux survivants de ce terrible convoi, mais aussi sur la venue de quelques officiels, dont madame Véronique Peaucelle-Delelis, directrice générale de l’ONACVG.
Heureux de nous réunir après de longs mois de crise sanitaire, nous avons discuté gaiement dans les jardins du Mémorial avant de nous diriger vers la crypte du Mémorial. Là, dans l’atmosphère solennelle qui caractérise le lieu, le ton s’est évidemment fait plus sérieux. En l’absence du président de notre Amicale nationale, c’est Jean-Michel Thomas, président du Comité International de Dachau (CID), qui nous a adressé quelques mots de bienvenue avant de céder la parole à Jean Samuel. L’ambiance était désormais au recueillement.
« Chers amis,
Aujourd’hui, 2 juillet 2021. Il y a 77 ans, nous sommes partis ; nous, c’est-à-dire des hommes que les nazis avaient arrêtés. Ce 2 juillet 1944, il faisait chaud, très chaud, trop chaud. Conduits en gare de Compiègne, un train de marchandises nous attendait. Dans chaque wagon, un bidon d’eau et un seau hygiénique. Nous nous sommes retrouvés à 100 personnes, entassés les uns contre les autres avec 100 boules de pain et 100 saucissons. La température est devenue insupportable. Certains sont devenus fous, se sont jetés les uns contre les autres et se sont battus. Dans mon wagon, 60 morts. Le train a continué de rouler. Assis sur les cadavres, nous avons pu respirer. Le train ne s’est arrêté que le lendemain en Allemagne. Dans une gare, la Croix-Rouge allemande alertée nous a servi une soupe chaude. Les Allemands ont regroupé les cadavres dans les derniers wagons. Le train est parti. Il a roulé encore et encore et il s’est arrêté en gare de Dachau. Dachau, une gentille petite ville avec un camp de concentration… Dans ce camp, les prisonniers mourraient de la faim, du froid, du typhus et du travail forcé. Le 29 avril, les Américains sont arrivés. Aujourd’hui, j’ai 97 ans. J’ai beaucoup de chance.
Je vous remercie. »
C’est ensuite Yves Meyer qui a pris la parole pour nous relater, dans des mots tout aussi poignants, son expérience personnelle du convoi n°7909. Nous vous renvoyons ici à la page 4 de notre bulletin n°755, où nous avions retranscrit le message vidéo d’Yves Meyer pour le 76e anniversaire de la libération du camp de Dachau. Pour l’ancien résistant, « les images gravées dans [sa] mémoire sont encore très fortes ». Après une tentative d’évasion infructueuse au camp de transit de Compiègne, il doit lui aussi faire face à ce terrible voyage qui le mène jusqu’au camp de Dachau, « un lieu dont seulement quelques camarades connaissaient la signification ». « Moi, j’avais lu en 1936 un récit d’un prisonnier libéré du camp, que je pensais exagéré, mais si j’avais su… »
Enfin, Joëlle Delpech-Boursier a clôturé les interventions en nous lisant quelques extraits de son livre Avoir 20 ans à Dachau, dans lequel elle raconte la déportation de son père. Autre victime « heureuse » du Train de la Mort, dans la mesure où il survécut, le général André Delpech restera hanté par des images d’épouvante, comme celles qui vinrent une première fois le tourmenter lorsque, presque mourant au cours du voyage, il perdit connaissance pour finalement se réveiller au milieu de corps mous et sans vie.
Après quelques minutes de silence et de recueillement, au cours desquelles une gerbe de fleurs fut déposée, Jean-Michel Thomas a repris la parole, cette fois en sa qualité de président du Comité International de Dachau. L’évocation du général Delpech et la présence de Jean Samuel étaient en effet propices à une deuxième cérémonie : l’annonce de la remise du prix André Delpech à Jean Samuel, en reconnaissance du travail qu’il a effectué en tant que secrétaire du CID pendant de très longues années. Pour rappel, le prix André Delpech honore les mérites de ceux qui se sont particulièrement consacrés aux objectifs du CID, soit directement pour la mémoire de la déportation dans ce camp, soit plus largement en luttant contre le fascisme, le racisme et l’antisémitisme et contre toute autre discrimination pour des motifs politiques et religieux.
Notre rassemblement s’est donc clôturé ainsi, sur ces mots de Jean : « Vous venez de me remettre le prix André Delpech. Alors merci, un grand merci. André Delpech était le président du Comité International de Dachau, il était le président de l’Amicale de Dachau, et il était mon ami. Son poste important l’obligeait souvent à se déplacer et il avait besoin d’un secrétaire qui l’accompagnait. Je crois qu’il m’aimait bien, et nos voyages en Allemagne et en Europe ont été facilités par notre complicité. Son nom, son grade dans l’armée, son activité dans la Résistance resteront le symbole du Déporté Résistant. Ce prix, je le reçois avec beaucoup de plaisir et d’émotion. »
Alicia GENIN