L’Union des Associations de Mémoire des Camps Nazis affiche un nouvel élan lors du rassemblement bisannuel des 24 et 25 novembre 2023 à Paris

Le rassemblement bisannuel de nos six associations s’est tenu à Paris les 24 et 25 novembre derniers à Paris, selon une tradition bien ancrée désormais. Cependant, le rassemblement de cette année présentait un caractère particulier, très symbolique. Notre « inter-amicale » se présentait sous sa nouvelle dénomination « Union des Associations de Mémoire des Camps Nazis », faisant suite à son assemblée générale constitutive du 3 février 2023, à sa déclaration en préfecture le 31 mai 2023, et à son officialisation le 3 octobre 2023 en présence de Patricia Mirallès, secrétaire d’État auprès du ministre des Armées, chargée des Anciens combattants et de la Mémoire.

Vendredi 24 novembre 2023, ravivage de la Flamme sous l’Arc de Triomphe

La date du 24 novembre, à peu de jours de la date anniversaire du dernier convoi de déportés parti de France, nous donnait l’opportunité de procéder au premier ravivage de la Flamme au nom de l’Union. Sous une température froide et à la nuit tombée, en présence d’une forte représentation de nos six amicales et de leurs porte-drapeaux, Daniel Simon, président de l’Union, a déposé une gerbe et procédé au ravivage rituel. Protocole strict et intangible, dans l’émouvante solennité de ce lieu.

©Bernard Obermosser

Samedi 25 novembre 2023, l’UNION face à elle-même

Nous nous sommes rassemblés nombreux à 9 heures au cimetière du Père-Lachaise. Sous la conduite de Sylvain Lebègue, Maître de cérémonie délégué par la mairie du XXe arrondissement, précédés de nos porte-drapeaux, nous avons procédé à un dépôt de gerbes sur les monuments de Mauthausen, Neuengamme, Ravensbrück, Buchenwald, Dachau et Sachsenhausen, en compagnie de M. Hamidou Samaké, conseiller de Paris, délégué du Maire en charge de la Mémoire. La sonnerie aux Morts a retenti six fois au son d’un clairon et d’un tambour de la Préfecture de Paris.

©Bernard Obermosser

À 10 heures, au monument aux Morts de la mairie, une gerbe a été déposée par Lajos Nagy, seul ancien déporté présent (interné enfant à Mauthausen en janvier 1945, avec ses parents ayant fui la Hongrie), le président de l’UAMCN et M. Hamidou Samaké. Après la sonnerie aux Morts, nous avons écouté et entonné le Chant des Marais et La Marseillaise.

Nous avons rejoint vers 10 h 30 la salle des Fêtes où s’est tenue, durant deux heures, la réunion plénière de l’Union. M. Hamidou Samaké et plus tard M. Éric Pliez, maire de l’arrondissement, nous ont délivré des messages très chaleureux.

Le point de départ de l’échange fut la restitution des réponses au questionnaire envoyé en amont aux membres de nos six amicales. Pour mémoire, ce questionnaire abordait 4 thèmes dont la synthèse des réponses fut présentée par Olivier Lalieu, Dominique Boueilh, Mireille Cadiou et Claude Simon. Dans l’attente de la diffusion de l’analyse plus précise des réponses reçues, indiquons ici les tendances majeures :

L’implication dans nos associations – Les réponses apportées permettent d’identifier de grands domaines de motivation : la préservation de la mémoire des déportations, la transmission des valeurs d’un engagement humaniste, la vigilance politique contre la banalisation et le négationnisme, pour préserver la démocratie.

De fortes attentes sont placées dans l’Union, notamment pour mettre sur pied des transversalités concrètes, augmenter notre audience face aux institutions et agir pour la sauvegarde de nos associations.

La place de la Mémoire de la Déportation dans la société française actuelle – Elle est jugée plutôt insuffisante, elle se heurte à de sérieux obstacles, en particulier la surabondance de détresses humanitaires qui occupent les esprits. Deux leviers majeurs d’efficacité sont mis en avant : le rôle de l’Éducation nationale et nos activités sur les sites. L’Union s’inscrit dans cette démarche.

La transmission aux nouvelles générations – L’implication des jeunes et surtout leur fidélisation soulèvent, entre autres, la question des nouveaux outils de communication. Sera-t-il possible de confier l’ensemble de nos pratiques actuelles à de nouveaux acteurs ?

La dimension idéologique des camps – Face aux dangers de résurgence du modèle idéologique qui a produit les camps, les réponses sont nombreuses, prolixes, quasi unanimement alarmistes. Les activités de mémoire des tragédies causées par le nazisme ont été placées sous l’égide du « Plus jamais ça ! ». Cependant, la menace réelle est déclinée par de très nombreuses réponses, au travers des symptômes observés dans le monde actuel.

Réunion de l’UAMCN à la mairie du XXe
©Bernard Obermosser

Après une séance d’échanges entre les participants, Daniel Simon clôtura provisoirement le débat en soulignant la nécessité de clarifier les questions soulevées. Il repéra les axes de travail suivants : la nature précise du message dont nous sommes porteurs ; notre rôle sur les sites concentrationnaires au-delà du strictement commémoratif ; notre rapport à l’histoire et aux historiens ; les opportunités d’échanges au niveau international ; notre relation au milieu scolaire ; une vitalisation de nos archives ; les outils de communication transversaux.

Des ateliers de travail (à distance, en visioconférence) sont à concevoir, pour la période qui s’ouvre. Faut-il être pleinement rassuré de cette rencontre ? Une assistance un peu moins nombreuse qu’il y a deux ans, une certaine frustration de ne pas approfondir les trop nombreuses questions qui se font jour… D’ailleurs, en amont, seul 1/20e de nos adhérents ont rempli le questionnaire.

Une courte assemblée générale extraordinaire de l’Union permit d’adopter le règlement intérieur de l’Union, un texte préparé par le conseil d’administration.

L’après-midi fut consacré à la tenue d’assemblées générales ou conseils d’administration pour les amicales (ou association) de Buchenwald, Sachsenhausen, Mauthausen et Dachau.

Sans nul doute, ces deux journées furent l’opportunité d’affirmer l’existence de l’Union, de débattre de thèmes fondamentaux et fédérateurs pour notre action à venir. Pour reprendre les termes de notre synthèse : être « un vivier de renouveau d’idées ». Dans deux ans, nous devrons être encore plus exigeants avec nous-mêmes.

Dominique BOUEILH
Secrétaire Général de l’UAMCN

Cérémonie d’officialisation de l’Union des Associations de Mémoire des Camps Nazis

Signature avec madame Patricia Mirallès, Daniel Simon (président de l’UAMCN) et les six président(e)s des amicales fondatrices.

Ce mardi 3 octobre 2023, dans la salle capitulaire du Val-de-Grâce (Paris), a eu lieu la cérémonie d’officialisation de l’Union des Associations de Mémoire des Camps Nazis (UAMCN), fondée par les amicales de Dachau, Neuengamme, Mauthausen, Ravensbrück, Sachsenhausen et Buchenwald.

La cérémonie s’est déroulée en présence d’officiels – dont madame Patricia Mirallès, secrétaire d’État auprès du ministre des Armées, chargée des Anciens combattants et de la Mémoire –, de membres de nos six associations, mais aussi d’étudiants et de collégiens et lycéens d’une chorale de Stains.

La cérémonie s’est articulée autour des discours des six président(e)s des amicales, qui ont présenté les spécificités de leur camp et détaillé les actions menées par leur association depuis 1945. La cérémonie a également été ponctuée par plusieurs interventions notables, dont celle du seul déporté présent ce jour-là, Pierre Schillio, qui avec beaucoup d’émotion nous a narré son parcours à Auschwitz et Dachau. Plusieurs étudiants, engagés dans nos associations, sont intervenus pour témoigner de leur intérêt pour cette tranche de notre Histoire, et de leur foi dans les valeurs que nous défendons. Une jeune comédienne nous a aussi proposé des lectures de textes de Robert Antelme et Charlotte Delbo, interprêtés avec force et maîtrise.

Pierre Schillio aux côtés de Dominique Boueilh
Madame Patricia Mirallès, émue, vient saluer Pierre Schillio.

Après ces interventions, Daniel Simon, président de l’UAMCN, nous a délivré un éloquent discours, dans lequel il a souligné que la mémoire de la déportation a toujours été un combat, et qu’elle le demeure aujourd’hui plus que jamais. Par ailleurs, il a insisté sur l’importance des mots, affirmant que « camp de concentration est un euphémisme nazi qui ne dit rien de la réalité du système » et qu’il manque donc « un terme qui dise la réalité des camps de concentration comme entreprise de déshumanisation méthodique ». Il a rappelé l’importance des sites des anciens camps, véritables sources de connaissance et de réflexion, avec lesquels nos amicales entretiennent des liens étroits. Enfin, il a fait part de son souhait de voir le gouvernement renforcer ses efforts dans la lutte contre la résurgence de l’extrême droite en Europe, et a demandé à ce que l’UAMCN puisse s’impliquer dans la mission interministérielle, constituée à la demande de L’Élysée, pour l’organisation des commémorations 2024-2025.

Cette matinée du 3 octobre, qui fut une réussite en raison de la richesse, de la diversité et de l’intensité des interventions, s’est terminée par la prise de parole de madame Patricia Mirallès – qui a salué la démarche de création de notre Union, jugée essentielle pour que perdure la mémoire de la déportation –, et par l’interprétation en français et en allemand du Chant des Marais par la chorale de Stains.

Daniel Simon et madame Patricia Mirallès

Commémoration du départ du Train de la Mort (79e anniversaire)

Dimanche 2 juillet 2023, les membres de l’Amicale de Dachau se sont retrouvés, comme tous les ans, à la crypte du Mémorial des Martyrs de la Déportation (Paris) afin de rendre hommage à tous les déportés du convoi n°7909, dit « Train de la Mort », parti de Compiègne le 2 juillet 1944 et arrivé à Dachau le 5 juillet avec des centaines de morts à son bord.

Dans un même temps, la ville de Margny-lès Compiègne commémorait l’événement et fleurissait le Mémorial du Wagon de la Déportation, situé en gare de Margny-Compiègne.

Rappelons que 2024 marquera le 80e anniversaire du Train de la Mort et qu’à cette occasion, l’Amicale de Dachau s’associera étroitement avec le Mémorial de Compiègne pour l’organisation de son congrès annuel et d’un circuit mémoriel passant par les lieux de la tragédie.

Conférence sur la tragédie de la baie de Lübeck

22 septembre 2023, Paris

Vendredi 22 septembre 2023, les membres de nos amicales de camps se retrouvaient à l’Institut historique allemand (Paris) pour assister à une table ronde sur la tragédie de la baie de Lübeck. L’Union des associations de mémoire des camps nazis (UAMCN), dont fait partie l’Amicale de Dachau, avait initialement prévu de présenter ce sujet, qui appartient plus spécifiquement à l’histoire du camp de concentration de Neuengamme, lors de la précédente édition des Rendez-vous de l’Histoire de Blois, ayant pour thème « la mer ». Malheureusement, notre proposition de table ronde avait été refusée par le conseil scientifique des Rendez-vous, et nous avions alors pris la décision de la présenter à une autre occasion.

La tragédie de la baie de Lübeck, qui eut lieu le 3 mai 1945, est profondément ressentie dans l’Amicale de Neuengamme, mais aussi au sein des autres associations de mémoire des camps. Cette tragédie, qui constitue l’une des plus grandes catastrophes navales de tous les temps, relève de l’incompréhensible et les responsabilités s’embrouillent. La tragédie de Lübeck a des parts d’innomé, ce qui lui confère une dimension mémorielle particulière. Ce vendredi 22 septembre, elle revêtait également un caractère emblématique, puisqu’il s’agissait du premier rendez-vous public de notre Union des associations de mémoire des camps nazis depuis sa création officielle.

Après les mots d’accueil de Jürgen Finger (directeur du département Histoire contemporaine de l’Institut historique allemand) et de Daniel Simon (président de l’Union des associations de mémoire des camps nazis), les deux intervenants de cette journée nous ont été présentés. Avant de répondre aux questions de l’assemblée, Christine Eckel – membre de la Fondation des mémoriaux et lieux didactiques de Hambourg, en charge du site du Stadthaus – se chargerait de nous présenter le camp de Neuengamme et les événements du 3 mai dans leur dimension historique ; quant à Lars Hellwinkel – professeur d’histoire, responsable pédagogique du Mémorial du camp de Sandbostel – il aborderait plutôt la dimension mémorielle liée à la tragédie.

Un aperçu de l’histoire du camp de concentration de Neuengamme

À l’automne 1938, l’entreprise SS de terrassement et de carrières Deutsche Erd- und Steinwerke GmbH fait l’acquisition d’une briqueterie désaffectée et de terrains situés près du bourg de Neuengamme, à une trentaine de kilomètres au sud-est de Hambourg. En décembre 1938, un premier kommando de 100 détenus allemands arrive du camp de Sachsenhausen afin de remettre la briqueterie en état. Les conditions de détention sont alors bien différentes de celles que connaîtront les déportés dans les années à venir.

Après le déclenchement de la guerre, la décision est prise de faire de Neuengamme un grand camp de concentration. La ville de Hambourg programme le réaménagement de la rive de l’Elbe pour y construire les « bâtiments du Führer » en briques. En avril 1940, la ville et l’entreprise SS Deutsche Erd- und Steinwerke signent un contrat. La ville de Hambourg accorde un prêt à l’entreprise SS pour la construction d’une briqueterie plus grande et plus moderne. Elle s’engage également à apporter son aide pour l’installation des infrastructures du camp. En échange, la SS s’engage à fournir gratuitement la main-d’œuvre concentrationnaire ainsi que les équipes de garde nécessaires.

Au printemps 1940, Neuengamme devient un camp de concentration autonome. Ce sont alors les détenus eux-mêmes qui construisent les baraques, miradors, ateliers et autres bâtiments nécessaires à l’agrandissement du camp. Les kommandos de travail les plus importants sont ceux de la construction de la nouvelle briqueterie, le kommando de l’élargissement du bras de l’Elbe, ainsi que le kommando des glaisières (matière destinée à la production de briques).

Dès la fin 1940, le camp compte environ 2 900 détenus, essentiellement des Allemands. À partir de 1941, la majorité des déportés à Neuengamme viennent des territoires occupés par l’Allemagne. Jusqu’à la fin de la guerre, les plus de 100 000 déportés de Neuengamme, parmi lesquels figurent plus de 13 000 femmes, viennent surtout de l’Union soviétique et de Pologne. Les déportés de France représentent le troisième grand groupe, avec environ 11 500 hommes et femmes. À partir de 1941 arrivent également à Neuengamme des prisonniers de guerre soviétiques, puis en 44-45 encore beaucoup de détenus juifs, venant principalement des pays occupés à l’est.

La majorité des déportés de France arrivent en 1944, avec quatre convois venus de Compiègne et un de Belfort. À ce moment, le camp de Neuengamme dispose de nombreux camps satellites, pour la plupart attachés à la production d’armement, à des sites de construction ou des installations industrielles. Souvent, les conditions de détention y sont encore pires que dans le camp central. À partir de 1944, la majorité des détenus sont transférés vers ces camps annexes, le camp principal de Neuengamme devenant pour beaucoup un simple lieu de passage, qu’ils ne connaissent parfois que durant quelques jours. Cela correspond à l’évolution du système concentrationnaire en général.

Le camp de Neuengamme a longtemps été peu présent dans la mémoire collective des camps, tant en Allemagne qu’en France. Ceci s’explique par les circonstances de sa libération : l’entrée des troupes britanniques, début mai 1945, s’est faite dans un camp vide et nettoyé. Il n’y avait plus de détenus, plus de preuves visuelles des crimes commis au quotidien sur le site. Cette situation, contrairement à la libération d’autres camps, n’a pas produit d’images chocs dans la presse. Puis, dès 1948, la ville de Hambourg a construit des prisons sur le site de l’ancien camp de Neuengamme, le rendant presque invisible pour le public.

Chronologie du 3 mai 1945

Les bombardements des bateaux le 3 mai 1945 constituent l’un des points culminants de l’évacuation des camps durant les dernières semaines de la guerre. Le contexte est alors marqué par l’augmentation de la violence et de la brutalisation, y compris de la part de la société civile, qui entrevoit la défaite allemande. Pendant l’évacuation des camps, des centaines de milliers de détenus meurent de faim, d’épuisement, ou sont massacrés. Rien que dans le nord de l’Allemagne, plus de 50 000 personnes ont emprunté les routes et les voies ferrées. Ces derniers jours avant la libération sont restés gravés, dans la mémoire de nombreux survivants, comme les plus terribles de toute leur captivité.

Dès 1944, à l’approche du front, des dizaines de commandants de camps de concentration (voire des milliers si l’on prend en compte les camps satellites) prennent la décision, indépendamment les uns des autres, de faire évacuer leur camp. Les camps sont donc vidés, nettoyés, les uns après les autres. On peut supposer qu’un ordre d’évacuation centralisé a existé, mais il n’en existe pas de preuve écrite. Cela n’a en réalité rien de surprenant, puisqu’à la fin de la guerre, les responsables nazis et SS ont tenté de détruire toutes les preuves les accablant. Bien que l’existence d’un tel ordre constitue une question intéressante, il convient de préciser que les commandants de camps disposaient d’une marge de manœuvre individuelle importante, qui pouvait être influencée par des facteurs situationnels, tels que la destruction des voies de transport. Quoi qu’il en soit, le déroulement des événements montre que les SS s’efforçaient de garder les détenus en leur pouvoir et, en ce qui concerne Neuengamme et ses camps satellites, de les emmener plus au nord quoi qu’il en coûte.

En mars 1945, des milliers de détenus scandinaves sont rassemblés au camp de Neuengamme dans le but d’être transférés vers le Danemark et la Suède. Ce mouvement s’inscrit dans le cadre d’une mission de sauvetage organisée par la Croix-Rouge suédoise, parvenue à passer des accords avec Max Pauly, le commandant du camp de Neuengamme. Au camp principal de Neuengamme, des blocks de détenus doivent êtres vidés pour faire place temporairement aux Scandinaves évacués. Cette mesure s’applique également au « block de repos » : les détenus gravement malades qui y sont entassés sont alors transportés vers les camps extérieurs, ce qui signifie la mort pour bon nombre d’entre eux. Quand certains se voient secourus, d’autres, malheureusement, se voient donc condamnés.

Le 19 avril 1945, à l’approche des forces britanniques, Max Pauly ordonne l’évacuation du camp central. Les dirigeants politiques et militaires de Hambourg voient dans la présence de plusieurs milliers de détenus de camp, à Neuengamme et dans la zone du centre-ville, un obstacle à leur intention de livrer la ville aux Alliés sans combat. N’oublions pas non plus que les entreprises, qui avaient exploité sans merci la main-d’œuvre des travailleurs forcés et des détenus concentrationnaires, voulaient elles aussi se débarrasser rapidement de toutes ces personnes émaciées et épuisées. En effet, elles n’auraient certainement pas donné une bonne image lors de la remise de la ville aux Alliés. Selon le chef supérieur de la SS et de la police, le Gauleiter de Hambourg, Karl Kaufmann, estime aussi que la présence des détenus des camps représente « un danger pour la sécurité de la population ».

Le 20 avril 1945 à Neuengamme se déroulent deux mouvements parallèles : d’une part l’évacuation des détenus scandinaves arrivés en mars, et d’autre part le début du transfert de 10 000 détenus, transportés par 500 dans des wagons à bestiaux jusqu’au port industriel de Lübeck pour y être chargés sur des bateaux. C’est probablement le 26 avril 1945 que le dernier convoi d’évacuation de Neuengamme arrive dans la baie de Lübeck.

Entre-temps, des détenus d’un kommando d’Auschwitz sont également arrivés dans la baie. Au total, on dénombre presque 10 000 détenus qui se retrouvent en même temps au même endroit, et on peut facilement imaginer le chaos. Dans un premier temps, 2 300 détenus sont logés sur le cargo Thielbek, d’autres sur le cargo Athen. Les détenus qui sont encore à terre, sur les quais du port de Lübeck, sont enfermés dans la cave du silo à vins en attendant de monter à bord des bateaux. Les épreuves du transport et la brutalité des gardiens SS dans cette situation chaotique causent déjà de nombreuses morts.

L’hébergement sur les navires préalablement réquisitionnés était le résultat d’une action planifiée. Lors de l’enquête judiciaire menée contre lui en 1946, le chef supérieur de la SS et de la police déclara que l’idée de l’hébergement sur les bateaux lui avait été suggérée par le Gauleiter de Hambourg, Karl Kaufmann. L’aménagement de ces bateaux en camps lui paraissant aisé, sans parler de la surveillance qui en serait facilitée, il avait adopté la proposition et chargé Max Pauly de se mettre immédiatement en rapport avec Kaufmann afin d’examiner, sur place avec ses délégués, la possibilité d’établir un camp de repli sur les navires.

Kaufmann réquisitionne alors les cargos Athen et Thielbek, ainsi que le paquebot Cap Arcona. Depuis la fin des années 20, le Cap Arcona navigue comme paquebot de luxe sur la route de l’Amérique du Sud. Mi-avril 1945, le paquebot, incapable de manœuvrer en raison d’une panne de moteur, est remorqué dans la baie. Les deux cargos Thielbek et Athen présentent également des dommages, mais sont quand même remorqués vers le port industriel de Lübeck le 19 avril 1945. Le capitaine du Cap Arcona refuse d’abord de prendre des détenus à bord. Ce n’est qu’après avoir été directement menacé par les SS qu’il se plie aux ordres.

Le 26 avril, les 2 500 premiers détenus embarquent sur le Cap Arcona. Avec par moments plus de 7 500 détenus à bord, le navire est totalement surpeuplé. Lors de l’occupation des bateaux, le principe de hiérarchisation des détenus des camps est maintenu : les prisonniers soviétiques et polonais sont logés dans les cales, tandis que les détenus français, allemands, hollandais et belges sont installés sur les ponts. Le surpeuplement, l’approvisionnement insuffisant en eau et en nourriture ainsi que le manque d’installations sanitaires, entraînent déjà des conditions catastrophiques, menant elles seules à la mort de nombreux détenus. Les corps sont alors ramenés à terre, ou simplement jetés à l’eau. Afin d’améliorer les conditions à bord, environ 2 000 détenus du Cap Arcona sont transférés sur l’Athen le 30 avril 1945, ce qui signifiera la survie pour nombre d’entre eux.

Début mai 1945, la situation dans la baie est complexe. Au-delà des navires concentrationnaires s’y trouvent plus de 130 bateaux de toutes sortes. L’attaque aérienne britannique de la Royal Air Force fait partie d’une série de raids aériens qui ont déjà eu lieu depuis le 2 mai sur les bateaux rassemblés dans la ville de Lübeck. La reconnaissance aérienne britannique avait observé la concentration croissante de troupes allemandes dans la région, et l’avait naturellement interprétée comme un mouvement de désertion depuis de la mer Baltique en direction du Danemark ou de la Norvège. Le 2 mai, les troupes britanniques entrent dans la ville de Lübeck. En début de l’après-midi du 3 mai, les navires de détenus – qui, plus précisément, se trouvent dans la baie au niveau de la ville de Neustadt – sont pris pour cibles quelques heures seulement avant l’entrée des troupes alliées dans Neustadt. Des chasseurs mènent des attaques sur les navires en trois vagues. À ce moment-là, 4 200 détenus se trouvent à bord du Cap Arcona, ainsi que 70 membres d’équipage et 400 soldats de la marine affectés à la SS. Sur le Thielbek sont entassés plus de 2 800 détenus ; sur l’Athen, resté ancré dans le port, se trouvent 2 000 détenus.

Au moment de l’attaque, les pilotes ne savent pas que les navires ont été transformés en camps de concentration flottants. Pourtant, le soir du 2 mai, après la prise de Lübeck, un officier britannique apprend d’un représentant de la Croix-Rouge suisse que des détenus de camps se trouvent sur les bateaux. Malheureusement, cette information n’est pas transmise rapidement. Cet enchaînement tragique mènera à la mort de milliers de détenus, tués par leurs libérateurs potentiels dans les dernières heures de combat dans la région.

Après avoir été touché à plusieurs reprises, le Thielbek prend feu et coule en quelques minutes. Des 2 800 détenus à bord, seule une cinquantaine parvient à se sauver. Le Cap Arcona prend feu de la poupe jusqu’à la coque centrale. Il chavire avec plus de 4 200 détenus à son bord, mais en raison du faible niveau de l’eau, il ne sombre pas complètement. Pour la plupart des détenus entassés dans les cales, il n’y a pas d’échappatoire. De nombreux détenus tentent de se sauver en se jetant à l’eau, mais meurent noyés ou de froid. L’eau n’a une température que de 7 à 8 degrés. Les membres de l’équipage et les gardiens à bord du Cap Arcona s’approprient quelques canots de sauvetage (il y en a peu, la plupart ayant été enlevés avant l’arrivée des déportés). Les actions de sauvetage organisées depuis la rive se dirigent vers les SS et les membres d’équipage à bord des canots. Les détenus qui parviennent à atteindre les canots se font frapper sur les mains jusqu’à ce qu’ils retombent à l’eau. Beaucoup de ceux qui réussissent à rejoindre la rive y sont massacrés. Par ailleurs, les avions britanniques de basse altitude mitraillent les survivants dans l’eau. Seulement 4 à 500 détenus du Cap Arcona parviennent à survivre aux bombardements. Quant au cargo Athen, resté dans le port, il n’est que légèrement touché, et tous les détenus qui s’y trouvent échappent à la mort.

Le Cap Arcona en feu

Les équipes de garde quittent le bateau puis, vers 3 heures 15 dans l’après-midi, les unités de la deuxième armée britannique arrivent dans le port de Neustadt et libèrent les survivants. Nous parlons donc d’un délai très court entre la première vague d’attaques à 2 heures 30 et l’entrée des premiers chars britanniques sur la place du marché de Neustadt, seulement deux heures plus tard. Les soldats rencontrent des rescapés, qui les informent de l’événement tragique. Pourtant, il faut du temps avant que les premières opérations de sauvetage des naufragés soient lancées. Selon un rapport d’enquête britannique, un temps vital s’est écoulé : « Alors que l’attaque est encore en cours, les troupes britanniques sont entrées dans Neustadt. L’officier de liaison de la marine qui accompagnait les troupes est arrivé à 16 heures aux casernes de la marine de Neustadt et a donné l’ordre qu’aucun bateau ne quitte le port. Il ne savait pas qu’il y avait des détenus à bord des bateaux. Il lui semblait plus important d’empêcher d’éventuelles évasions de Neustadt que de respecter l’ancienne règle de venir en aide aux naufragés, qu’ils soient amis ou ennemis. Ce n’est que vers 18 heures que l’officier a été informé de la présence des détenus sur les bateaux. Des dispositions ont alors été prises pour faire partir des bateaux de sauvetage. »

C’est ainsi que les troupes britanniques sauvent encore quelques survivants sur le Cap Arcona et commencent à mettre en place les premiers soins pour les rescapés. En même temps débute l’enterrement, souvent sommaire, des innombrables morts qui gisent dans l’eau et sur la plage, ainsi que de ceux qui échouent, de nombreuses semaines, de nombreux mois, et même des années plus tard, sur les rives de la baie entière. Encore aujourd’hui, on estime à 3 000 le nombre de cadavres non retrouvés dans la mer.

La mémoire

En tant que professeur d’histoire détaché au Mémorial du camp de Sandbostel, Lars Hellwinkel nous a davantage parlé des marches de la mort dans leur dimension mémorielle.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Sandbostel était le stalag (camp pour prisonniers de guerre) pour le nord de l’Allemagne. Il pouvait accueillir aux alentours de 20 000 prisonniers et, au total, environ 300 000 personnes y furent enregistrées, dont 90 000 soldats français. À la fin de la guerre, à partir du mois d’avril 1945, il devint un lieu vers lequel les déportés de différents kommandos de Neuengamme étaient évacués. Il se transforma alors en mouroir pour plus de 10 000 déportés, dont 3 000 environ décédèrent au cours des deux mois précédant la libération par les troupes britanniques. C’est par Sandbostel que sont passées les différentes marches de la mort en direction de Lübeck.

Le site de Sandbostel compte encore de nombreux baraquements et bâtiments historiques, ce qui est rare et rend le Mémorial un peu spécial. Il dispose également d’un cimetière, où reposent encore 2 400 déportés inconnus du camp de Neuengamme. Depuis sa création il y a seulement une dizaine d’années, le Mémorial de Sandbostel réalise des recherches sur les marches de la mort et se charge d’entretenir leur mémoire dans la région. Les équipes du Mémorial se sont notamment interrogées sur l’existence de vestiges (dont des morts) liés à ces marches de la mort.

Dans certains villages de la région, on trouve des tombes de prisonniers de guerre et de déportés inconnus. Mais seule une pierre apposée il y a 20 ans par un agriculteur local, en mémoire de ce dont il avait été témoin étant jeune, évoquait spécifiquement le souvenir des marches de la mort. Le Mémorial de Sandbostel a voulu remédier à cette situation en érigeant une série de stèles sur le trajet des marches. La dernière stèle a d’ailleurs été inaugurée le 13 avril de cette année. Cela a provoqué de nombreux débats à l’échelle locale, les habitants des villages s’interrogeant sur la raison de cette démarche : ils ignoraient la tragédie qui s’était déroulée à deux pas de chez eux ! L’agriculteur qui avait posé la pierre mémorielle il y a 20 ans avait d’ailleurs confié ne pas avoir été cru lorsqu’il avait affirmé avoir vu des déportés exécutés par des gardes allemands. Pour appuyer ses dires, les équipes du Mémorial de Sandbostel ont entrepris des fouilles et deux corps, tués par balles, ont été retrouvés. Il faut également souligner que c’est à la suite de l’installation des stèles que, non seulement les habitants ont commencé à poser des questions, mais aussi que les langues se sont déliées : certaines personnes âgées ont choisi ce moment-là pour se manifester et témoigner. Des habitants avaient donc vu et savaient, mais s’étaient tus ou n’en parlaient tout simplement plus. L’une des missions du Mémorial est de faire revivre ces témoignages.

Enfin, le grand défi du Mémorial est d’éduquer les jeunes, qui bien souvent ne connaissent qu’Auschwitz et Anne Franck, alors qu’à quelques pas de chez eux se sont déroulées des tragédies dont ils ignorent tout ou presque. Pendant très longtemps, les commémorations étaient entretenues par les rescapés et leurs familles. Mais, pour clore sur une note positive, remarquons qu’on assiste à un regain d’intérêt ces dernières années, avec notamment de nombreux tours en bateau sur les lieux des naufrages. Le Mémorial de Sandbostel essaie d’impliquer au maximum les jeunes des collèges et lycées, en les faisant participer à divers projets (notons, par exemple, que ce sont des élèves d’écoles techniques locales qui ont conçu les stèles et les ont érigées avec les équipes du Mémorial), mais aussi en leur faisant rencontrer et interagir avec les rescapés et leurs descendants. Il existe une mise en réseau qui n’existait pas il y a 20 ans.

Après avoir retracé en détail les événements tragiques liés à l’évacuation du camp de Neuengamme, Christine Eckel et Lars Hellwinkel ont répondu aux nombreuses questions de l’assemblée. La tragédie de Lübeck résulte-elle d’un enchaînement de circonstances et hasards malheureux, ou peut-on envisager une stratégie perfide de la part des nazis ? Quelle fut la réaction britannique en termes de communication, auprès des autres nations alliées ainsi que dans la presse, à la suite de la tragédie ? Pour prendre connaissance de toutes les questions posées et approfondir le sujet, nous vous invitons à visionner l’enregistrement de la conférence. Un lien vous sera prochainement communiqué pour accéder à la vidéo.

Alicia GENIN

Congrès 2019 à Sarlat

Vendredi 27 septembre 2019

Inauguration de trois expositions : l’expo DACHAU, l’expo de la FNDIRP sur la Seconde Guerre mondiale et l’expo sur l’oeuvre de l’affichiste Alain Carrier

Alain Carrier reçoit le prix du général André Delpech lors de l’inauguration. Ici entouré de Jean-Michel Thomas et Sonja Holtz, Président et Trésorière du CID.

Samedi 28 septembre 2019

Assemblée Générale de l’Amicale

La journée du samedi a débuté avec notre Assemblée Générale, dont vous trouverez le compte rendu détaillé en pages 7 à 11 de notre bulletin n°749. Elle s’est poursuivie l’après-midi avec notre colloque public et une cérémonie-hommage au général Delpech au cimetière de Vitrac.

Colloque public : « La déportation : pourquoi et comment assurer le passage de mémoire ? »

Ce 74e congrès portait sur le thème du devoir de mémoire et était présidé par Joëlle Delpech-Boursier, fille du général André Delpech, résistant quercinois qui fut déporté à Dachau par le Train de la Mort du 2 juillet 1944, et par Dominique Boueilh, fils de Didier Boueilh et actuel Président de l’Amicale du camp de concentration de Dachau. Joëlle Delpech-Boursier a rappelé que le général Delpech fut également Président de l’Amicale et qu’il défendait déjà des valeurs communes relatives au devoir de mémoire, en visant la nouvelle génération. (cf. Avoir vingt ans à Dachau de Joëlle Delpech-Boursier, disponible sur notre boutique en ligne)

La dynamique de ce colloque a démarré avec Sylvie Graffard, qui distribuait la parole aux anciens déportés Pierre Schillio et Roger Poulet. Tous deux ont témoigné de leur vécu et évoqué ce qui les aidait à tenir malgré l’atrocité de chaque instant. À travers une lettre, notre Vice-Président Jean Samuel s’est excusé de son absence pour raisons de santé, mais a tenu à apporter son témoignage, s’estimant chanceux d’être encore vivant à l’âge de 95 ans. Surpris de l’engouement des jeunes, il se dit heureux de pouvoir saluer les valeurs pour lesquelles « nous avons combattu » et se réjouit de la transmission de ce patrimoine. Décédé le 19 septembre 2019, Clément Quentin avait demandé, 11 jours avant le colloque, à son petit-fils, Wilfried Quentin, de témoigner en son nom. L’émotion était palpable au son du récit évoquant l’importance du lieu de ce colloque pour Clément Quentin. Venu aux Eyzies en Dordogne en reconnaissance pour rejoindre la Résistance, il était revenu en convalescence après la guerre à Giversac. (cf. Stück 72889, cobaye humain à Dachau de Clément Quentin, disponible sur notre boutique en ligne)

Roger Poulet et Pierre Schillio

Avant d’écouter plus longuement les témoignages, nous étions environ 150 à regarder un extrait de film sur la libération du camp de Dachau. Après la projection, le temps est resté suspendu quelques instants dans la salle. Ce film relate aussi le parcours du Train de la Mort du 2 juillet 1944, dont le bilan fut de 984 morts. Aux survivants, les nazis avaient demandé de déposer trois choses : leurs Biens personnels, leurs Droits et leur Dignité. Le travail avait ensuite été réparti selon les états de santé et l’âge de chacun, et ils étaient quotidiennement tenus à effectuer entre 12 et 16 h de travail forcené. Entassés jusqu’à 400 dans des chambres, certains mouraient d’épuisement et de maladie. 13000 prisonniers sont décédés dans les derniers mois, et quelque 2206 autres après leur libération. Pour garder le moral, ils confectionnaient en cachette des drapeaux pour les 26 pays représentés au camp… La libération devenait une célébration de la vraie vie, jour de travail et de la liberté. Il est rappelé que les vivres manquaient, et qu’ils étaient tourmentés par l’incertitude et les interrogations. « Comment venir à bout de tout ce qui a été vécu ? » Ils avaient décidé entre eux d’œuvrer pour ne plus qu’il y ait un autre Dachau.

Sylvie Graffard a ensuite repris la parole pour demander : « Pourquoi la création de l’Amicale et que souhaitaient-ils transmettre à leurs proches et aux générations suivantes ? »

C’est d’abord Wilfried Quentin, porte-drapeau de l’Amicale, qui a répondu au nom de Clément Quentin et a repris ses mots sur le sens des valeurs et des devoirs par rapport à la France. Après moultes humiliations et tortures, il ne cessait de rappeler, comme ce fut le cas lors du congrès à l’Assemblée Nationale en mars 2013, qu’il restait optimiste et vigilant. Clément Quentin, homme de foi, avait pardonné après 10 ans de cheminement. Mais il n’oubliait pas et prônait le devoir de mémoire afin de ne pas reproduire les erreurs du passé. L’intonation, le rythme de la voix de Wilfried Quentin résonnaient dans la salle, et nous étions suspendus aux maux décrits et subis. Nous avions la gorge serrée, et on pouvait sentir que chacun d’entre nous retenait ses larmes.

Puis Pierre Schillio, ce gamin déporté avec son père en 1943, à l’âge de treize ans et demi, le plus jeune français du camp, a pris la parole. Chacun à leur tour, son père et lui se sont sauvé la vie. Ils avaient d’abord été envoyés ensemble au ghetto de Varsovie en octobre/novembre 1943. À Dachau, l’hiver suivant fut très froid et ils connurent des séjours à l’infirmerie, dont ils parvinrent à sortir grâce à une manœuvre du jeune Pierre s’exprimant en allemand avec les SS. Le docteur Weil de Versailles, arrivé par le Convoi de la Mort, informa Pierre qu’il existait une antichambre des fours crématoires à l’infirmerie. Son père et lui évitèrent le pire. Ils ont toujours réussi à se soutenir, même pendant la période de séparation de 8 mois qui précéda leurs retrouvailles le 29 avril 1945. « Quand l’un était plus faible, l’autre était plus fort. L’Union fait la Force. » Ils sont toujours restés unis au sein de l’Amicale.

Edmond Michelet disait qu’il fallait de nouvelles générations actives pour continuer la tradition initiée.

Sylvie Graffard a alors demandé à Pierre Schillio : « Qu’est-ce que l’Amicale t’a apporté ? ». Réponse de Pierre : « Je suis rentré à l’Amicale en 1952, après mes études. La liberté et le travail vont ensemble, ma famille est sur quatre générations de pianos. J’ai beaucoup appris grâce au général Delpech et aux Anciens de Dachau, ceux qui au début ne parlaient pas par peur de ne pas être crus. J’ai aussi témoigné dans des écoles aux côtés des historiens. Et j’en ai appris presque plus dans les livres que ce que j’ai vu là-bas, car nous ne pouvions pas tout voir. »

Puis est venu le tour de Roger Poulet, 98 ans, qui nous a fait vivre sa détresse du Train de la Mort. Il avait été dénoncé par un « gars » dans un maquis et, selon ses dires, son ultime but était de sauver sa peau. Il a travaillé à l’usine BMW.

Que ce soit au Comité International de Dachau ou à l’Amicale française, les Anciens ont voulu transmettre et associer la jeunesse au souvenir. C’était déjà une préoccupation lors du congrès à Reims. André Fournier en parlait : il était important de recevoir le message de leur combat. C’est André Delpech qui disait que l’Europe avait commencé à se façonner dans le camp, et il a continuellement veillé à maintenir la mémoire.

Afin de conclure cette première table ronde, Joëlle Delpech-Boursier nous a rappelé qu’il ne faut pas déformer, mais expliquer le « pourquoi » pour ne pas reproduire les erreurs du passé, et mettre en lumière les valeurs pour lesquelles les Anciens ont combattu. Un extrait vidéo a ensuite été diffusé, sur lequel apparaît le portail à l’entrée du camp de Dachau, avec la devise Arbeit Macht Frei, et où le général Delpech aimait dire : « On n’a pas à se glorifier d’avoir été un esclave parce qu’on a vu la nature humaine dans toute son horreur et on ne peut pas être fier, à ce moment-là, d’être un être humain. » Il était persuadé que l’expérience devait servir, pour que les générations futures puissent réfléchir.

Après ces poignants témoignages, nous avons assisté à la deuxième table ronde, animée par Romain Bondonneau, professeur d’histoire au lycée Pré de Cordy, et par Marie-Claire Dardevet, professeure d’histoire au collège de Belvès, près de Sarlat. Quatre jeunes participaient à cette table ronde. Deux d’entre eux, à savoir Valentine Amado de Souza, 16 ans, et Alexis Doublein, 15 ans, sont lauréats du Concours de la Résistance et de la Déportation grâce à des projets innovants : une bande dessinée et un court métrage avec la République espagnole présente à Dachau. Les deux autres jeunes, Inès Quentin et Paul Boueilh, sont des petits-enfants de déportés.

Alexis, Paul, Valentine et Inès

Alexis Doublein avait à cœur de préciser que le fait de savoir rendrait meilleur, qu’il était essentiel de transmettre la mémoire, que tout n’était peut-être pas suffisant mais nécessaire. Quant à Valentine, elle a expliqué qu’elle avait toujours été intéressée par ce sujet et qu’elle avait voulu le montrer avec Alexis à travers l’art et la musique. Elle avait été touchée par le film Le Pianiste, et c’est par la suite que lui est venue l’envie de dessiner quelques pages.

C’est aussi grâce à l’implication de professeurs passionnés que le travail de mémoire demeure. À juste titre, elle remerciait les élèves présents au colloque et nous faisait prendre conscience que c’était aussi l’occasion pour ceux-ci de rencontrer de vrais témoins. Les lieux de mémoire, eux aussi, sont très importants.

Un débat d’idées sur le devoir de mémoire a ensuite pris forme. Inès Quentin a pris le parti de dire que communiquer est une bonne initiative, tandis que Romain Bondonneau et les élèves ont défendu le positionnement de l’Éducation nationale, qui laisse les professeurs d’histoire libres d’aborder ce sujet. Marie-Claire Dardevet a précisé qu’elle a fait son choix d’en parler, qu’elle a engagé ses élèves dans le projet, avec tous les moyens visuels et audio, comme les vidéos et les sites internet.

Nous sommes ensuite arrivés à la troisième et dernière partie du colloque, où chacun était invité à parler du « pourquoi », du sens de l’Amicale, et plus précisément de l’intérêt d’une telle association. À commencer par le Président de l’Amicale de Dachau, Dominique Boueilh, qui a remercié les organisateurs pour ce magnifique colloque, riche et captivant. Issu d’un milieu rural, il nous a parlé de ses origines et a confié avoir été initié par son père qui, très tôt, a partagé avec lui ses ressentis vis-à-vis de l’Amicale, pour l’inviter au fur et à mesure à prendre le relais. « Je me suis investi, tout comme Joëlle et Serge, pour porter ce souvenir. » En exposant sa démarche, il nous dit encore : « Dans chaque déporté, il y a un peu des autres. Notre action n’a de sens que si elle est collective. » En effet, si chacun individuellement prend la mesure et apporte son savoir personnel, nous pouvons collectivement coordonner et transmettre des valeurs. Dominique Boueilh s’est dit heureux de voir des jeunes s’investir, et nous a demandé qui prendrait le relais au sein de l’Amicale. Les bonnes volontés sont accueillies au sein du bureau.

La parole est passée au Sous-Préfet de Sarlat, Sébastien Lepetit, qui a félicité les enseignants de leur engagement et a souligné l’importance des témoignages. Ce sont ensuite les jeunes qui, dans un échange plus global, ont évoqué l’importance des réseaux sociaux et des témoignages, même au travers de personnes interposées, pour parler de ce qui a été. La communication semble au cœur du système, elle est nécessaire pour perpétuer l’histoire au-delà des témoignages qui se font de plus en plus rares. L’idée serait de faire vivre les textes. Il est rappelé également que la vigilance et la précaution sont de mise face aux jeunes enfants qui découvrent ce pan de l’histoire, autour de la violence des mots, des images, des émotions. Il est ainsi nécessaire de prévenir les jeunes de ce qu’ils sont susceptibles de voir et d’entendre, afin de préserver le respect de la dignité et transmettre les valeurs dans un contexte bienveillant.

Ce fut ensuite le tour de Laurent Soutenet, Président de la Fraternité Edmond Michelet, de remercier notre travail de transmission et de saluer notre initiative. Enfin, Monseigneur Perrier – évêque de Tarbes et de Lourdes, qui sortira une biographie d’Edmond Michelet pour le 50e anniversaire de sa mort en 2020 – nous a fait part de sa vive émotion quant à l’humanité du personnage. Il était lui aussi impressionné par l’intérêt et l’engagement des jeunes.

Hommage au général Delpech au cimetière de Vitrac

Un peu plus tard dans la journée, nous nous sommes rendus au cimetière de Vitrac, où repose le général Delpech (1 octobre 1924 – 18 juillet 2012). Au travers de discours, les valeurs du grand homme ont été saluées. Président du CID entre 1992 et 2005, André Delpech a toujours œuvré pour rapprocher les nations de l’Europe et s’est toujours accroché avec détermination, humilité et attention dans la mission qu’il s’était fixée. Monsieur Frédéric Traverse, maire de Vitrac, nous a conté brièvement son parcours et a évoqué les honneurs rendus au nom de ses actions. Aujourd’hui, sa fille Joëlle Delpech-Boursier est Secrétaire Générale adjointe de l’Amicale… Une bien belle manière de passer le relais, avec honneur, amour et humanité.

Enfin, nous avons prolongé notre recueillement en entonnant le chant des marais. En quittant le cimetière, les mots d’Angela Merkel, cités plus tôt par monsieur le Maire, résonnaient encore à nos oreilles : « La Liberté n’est pas un cadeau du ciel, mais devrait se conquérir chaque jour. »

Dîner de gala aux Milandes

Dominique Boueilh (Président de l’Amicale), Rosemary Phillips (chanteuse) et Alex Boursier (Trésorier de l’Amicale et organisateur du congrès)

Pour clôturer cette belle journée du samedi 28 septembre, nous nous sommes rendus au parc de Joséphine Baker (Milandes) pour profiter d’une magnifique soirée de gala. Au cours du long et délicieux dîner, nous avons notamment pu écouter Frédéric Périssat, Préfet de la Dordogne depuis novembre 2018, défendre les valeurs de la Liberté dans le refus de l’oppression. Enfin, nos oreilles sont tombées sous le charme de la chanteuse Rosemary Phillips et de son orchestre, qui ont repris avec beaucoup de talent les chansons de Joséphine Baker.

Dimanche 29 septembre 2019

Cérémonie commémorative au Monument aux Morts

Notre congrès s’est clôturé le dimanche 29 septembre par une cérémonie commémorative au Monument aux Morts, suivie d’un office religieux à la cathédrale Saint-Sacerdos.

Au cours de cette cérémonie, le Président de notre Amicale a rendu hommage aux victimes de la déportation originaires du Périgord et s’est attaché à rappeler dans quelle mesure cette région avait fait acte de résistance et de sacrifice au moment de combattre l’ennemi nazi.

Vous pouvez lire ici l’intégralité des discours prononcés à cette occasion par notre Président et par monsieur Sébastien Lepetit, Sous-Préfet de Sarlat.

La presse parue à la suite de notre congrès est consultable ici.

Journée nationale du Souvenir des Victimes et des Héros de la Déportation – 2023

Grandrupt-de-Bains

7 septembre 1944 au matin, alors que le canon libérateur tonne non loin, en limite du département, le maquis de Grandrupt-de-Bains est attaqué par plus d’un millier d’hommes de la Wehrmacht. La bataille est rude : les maquisards, motivés et aguerris après une formation intensive de 12 jours, verrouillent le dispositif tactique et ne cèdent pas une bribe de terrain.

Les nazis, qui se sont emparés d’otages et qui ne veulent pas subir de lourdes pertes, choisissent le chantage. En fin de matinée, ils lancent un ultimatum sans appel : « soit se rendre et être considérés comme prisonniers de guerre », « soit poursuivre le combat et entraîner la mort des otages ainsi que la destruction des villages de Grandrupt-de-Bains et de Vioménil ».

Les chefs du maquis ne veulent pas que leurs hommes aient du sang d’innocents sur les mains. Ils décident la reddition. 223 hommes se rendent à l’ennemi alors que 144 demeurent terrés dans la forêt jusqu’à la nuit où ils disparaîtront.

Les prisonniers ne seront jamais considérés comme prisonniers de guerre mais connaîtront l’enfer des camps nazis, dont Dachau principalement.

En ce samedi 29 mai 2023, veille de la Journée nationale des victimes et héros de la déportation, l’Amicale Lorraine du camp de concentration de Dachau se devait de se souvenir de ces 223 déportés. Elle devait, comme chaque année, honorer les 117 d’entre eux morts dans les camps, loin de cette belle ligne bleue qu’ils voulaient libre.

La cérémonie devant le mémorial à la Croix de Lorraine du maquis de Grandrupt, cadencée par la Balnéenne – Harmonie du Val de Vôge, a débuté par la remise d’insignes de porte-drapeaux. Ont été ainsi décorés pour avoir été porte-drapeaux pendant 10 ans : madame Jocelyne Fäh, secrétaire et trésorière de l’Amicale Lorraine, et monsieur René Lecard, porte-drapeau en titre de l’Amicale Lorraine. A également été décorée madame Nathalie Thietry, pour 3 ans de porte-drapeau. C’est monsieur Roland Thomas, réfractaire au STO, maquisard de Grandrupt, déporté à Dachau et à Muldhorf, qui leur a remis l’insigne.

La cérémonie s’est poursuivie par la montée des couleurs françaises, l’interprétation du Chant des partisans et du Chant des Marais. Elle s’est terminée par l’hommage aux morts avec les dépôts de gerbes, dont celle de l’Amicale Lorraine de Dachau, par monsieur Thomas accompagné des personnalités.

Émouvante cette cérémonie en présence de cet ancien du camp de concentration de Dachau, centenaire plus un an, qui a montré une nouvelle fois sa fidélité à ses camarades du maquis de Grandrupt-de-Bains, dont les noms sont inscrits en lettres d’or sur le mémorial à la Croix de Lorraine.

André BOBAN
Président de l’Amicale de Lorraine

Roland Thomas, 101 ans, remet à Jocelyne Fäh, René Lecard et Nathalie Thietry leurs insignes de porte-drapeaux.

Cognac

L’heure était solennelle devant le monument aux morts de Cognac, ce dimanche 30 avril 2023.

Pour la Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation, élus et militaires leur ont rendu hommage à travers discours, dépôts de gerbes et minute de silence.

La classe Défense du collège Elisée Mousnier était présente lors de l’événement, tout comme les jeunes sapeurs-pompiers de Cognac, venus honorer Hervé Bazoin (pompier, résistant déporté et décédé à Dachau) et Roger Favre (pompier résistant, torturé à mort).

Michèle Jubeau-Denis, présidente de l’Amicale de Dachau Nouvelle-Aquitaine et fille de Jean Denis, résistant déporté, a rappelé la signification du partage de la « bouchée de pain ».

À Dachau, lors du terrible hiver 1944, le docteur Lafitte avait demandé, à tous les déportés à peu près valides, de prélever une part sur leur maigre ration, qui diminuait pourtant chaque jour, afin d’aider leurs compagnons qui n’avaient plus la force de travailler et ne recevaient donc pas de nourriture. Cette initiative et ce sacrifice supplémentaire ont permis de sauver des vies humaines.

Et pour compléter l’émotion, en fin de cérémonie, deux personnes qui attendaient sagement, très émues, sont venues se présenter : le neveu et la nièce de Roger Favre

Belle journée !

Michèle JUBEAU-DENIS
Présidente de l’Amicale de Nouvelle-Aquitaine

Dijon

À Dijon, la cérémonie du 30 avril s’est tenue au square Debeaumarché, devant la prison où beaucoup de résistants ont été incarcérés avant leur déportation. Elle s’est déroulée en présence des autorités civiles et militaires, ainsi que de nombreuses associations d’anciens combattants et des Amicales des camps de concentration de Dachau et du Struthof, de Oranienburg-Sachsenhausen et du CNSRD.

La colonne où sont déposées les gerbes est en pierre du camp du Struthof, et une plaque rappelle que ce monument contient une urne rassemblant des cendres et de la terre recueillies dans tous les camps de concentration hitlériens.

Edmond Debeaumarché est né à Dijon. Résistant et déporté à Bergen-Belsen, il reçut le titre de compagnon de la Libération en 1945.

Avant la guerre, il entre aux PTT. Il rejoint le groupe de Résistance ACTION PTT, puis crée en 1942 l’État-Major PTT ou EM-PTT. Ce dernier prend en main les liaisons postales de la Confrérie Notre-Dame (CND), le réseau de renseignement créé par le colonel Rémy.

Edmond Debeaumarché (dit « Dury », alias « l’Ami ») et ses ambulants les LSGD (Lignes souterraines à grande distance) assurent le transport de l’ensemble du courrier des organisations de la Résistance.

Après une première arrestation le 2 janvier 1944 par la Gestapo, il réussit à se procurer trois codes secrets de codification utilisés par la milice française de Darnand et à s’en servir pour déchiffrer les copies de tous les télégrammes chiffrés qui transitent par le central télégraphique de Paris. Il les fait ensuite passer au SOE.

De nouveau arrêté le 3 août 1944, il est emmené 11 rue des Saussaies, siège de la SIPO. Il y est interrogé par le capitaine Wagner, qui brisera deux nerfs de bœuf au cours de cet interrogatoire. Pendant plusieurs jours, il subit toutes les tortures infligées par la Gestapo, mais ne parlera jamais. Il dira après la guerre : « Je n’ai jamais eu conscience d’être un héros, mais seulement un homme qui s’est dressé contre une insulte à sa dignité d’homme ».

Il est déporté le 15 août 1944, via le dernier convoi massif de déportation de la région parisienne. Après diverses péripéties du convoi, il arrive à Buchenwald, puis est transféré à Dora le 2 septembre 1944.

Instigateur du complot de Dora, il est condamné à mort par pendaison le 11 novembre 1944, mais il est à nouveau envoyé à Dora le 17 mars 1945, puis libéré le 15 avril 1945 par la 11e division blindée britannique.

De retour à Paris, il organise avec trois de ses camarades, le 1er mai 1945, le défilé sur les Champs-Elysées.

Il décède le 28 mars 1959 à Suresnes, et ses obsèques sont célébrées dans la cour d’honneur des Invalides.

Il est inhumé au cimetière des Péjoces à Dijon.

Sa tenue de déporté est exposée au musée de l’Ordre de la Libération.

Françoise GINIER-POULET
Délégation Bourgogne

Visite du Centre de documentation sur l’histoire du national-socialisme

Munich, 29 avril 2023

Dans la matinée du samedi 29 avril, les membres de l’Amicale française de Dachau ont visité le Centre de documentation sur l’histoire du national-socialisme (NS-Dokumentationszentrum München) en compagnie de deux guides francophones.

Ouvert au public en avril 2015, à l’occasion du 70e anniversaire de la libération de Munich, ce fabuleux musée fournit des explications détaillées sur la création et l’accession au pouvoir du régime nazi, ainsi que sur ses suites et sur les orientations futures de la société. C’est donc un lieu d’enseignement historique, mais aussi de questionnement politique résolument tourné vers le futur.

Le musée est implanté à un endroit particulièrement symbolique. Tout d’abord, parce que c’est à Munich que fut fondé le parti national-socialiste, et que cette ville en resta le siège jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Plus précisément encore, parce que le musée se situe à l’emplacement même où se trouvait la « maison brune », le quartier général du parti nazi, presque entièrement détruit par les bombardements alliés. Ses ruines avaient finalement été enlevées en 1947, laissant le terrain vacant jusqu’en 2011, année à laquelle le chantier du musée débuta.

À l’intérieur, ce sont quatre étages d’apprentissage historique, dont un étage dédié aux expositions temporaires et trois étages réservés à l’exposition permanente. C’est cette dernière que nos guides nous ont fait parcourir pendant presque deux heures. Deux heures denses en informations, et qui pourtant auront laissé un goût de trop peu à une grande partie d’entre nous, tant nos conférencières, passionnantes, avaient à dire sur le sujet !

Composée de panneaux illustrés grands formats, mais aussi de nombreuses ressources multimédias pour une étude plus approfondie des thématiques et éléments abordés sur les panneaux, il est vrai que l’exposition permanente mériterait presque une journée complète de visite. Mais pour nous, nouveaux visiteurs, ce fut une première approche déjà très enrichissante.

Avec pour support ces grands panneaux dévoilant des photos et des documents d’époque, nos guides nous ont entraînés dans un parcours chronologique, couvrant dans un premier temps la période 1918-1933 afin de nous présenter le contexte social et politique particulier qui permit au parti nazi, dans un premier temps marginal, de devenir un parti de masse.

C’est ainsi que nous remontons à la fin de la Première Guerre mondiale et à la naissance de la république de Weimar, qui succède au IIe Reich dans un climat politique et économique extrêmement troublé. Une partie de la population et certains politiques s’indignent alors de la signature du traité de Versailles, qu’ils jugent humiliante. Désarmée et contrainte à payer de lourdes indemnités aux nations alliées, l’Allemagne souffre sur le plan économique et social, et les conséquences ne se font pas attendre : les communistes tentent une révolution en 1919, puis l’extrême droite un coup d’état en 1920.

Dans ce contexte, un certain Adolf Hitler, vétéran de la Première Guerre mondiale mais parfait inconnu, apparaît sur la scène politique. En 1919, il entre au parti ouvrier allemand (DAP), où il se fait très rapidement remarquer pour ses talents d’orateur. C’est également un excellent organisateur, et il multiplie les meetings de ce petit groupuscule qui, en quelques mois, devient sous son impulsion un véritable parti politique doté d’un programme.

Rebaptisé « Parti national-socialiste des travailleurs allemands » (NSDAP) le 24 février 1920, celui que nous appelons plus communément « parti nazi » est né. Et tout en s’adressant aux citoyens allemands issus de toutes classes, il affiche clairement ses intentions : ouvertement racistes, antisémites, antidémocratiques, antimarxistes, belliqueux et revanchards, ses membres rêvent de rendre à l’Allemagne sa grandeur. Et cela passe nécessairement par l’abrogation du traité de Versailles.

Encouragé et soutenu par les cercles nationalistes et antisémites de Munich, le parti nazi affiche un programme apte à séduire un peuple allemand dérouté par la défaite et accablé par les sanctions économiques. Mais, à ses débuts, ce mouvement réactionnaire et marginal s’oppose encore à un Munich libéral et démocratique.

Mais les années passent et le parti prospère. Hitler évince ses dirigeants et se rapproche des hautes sphères munichoises…

À l’automne 1923, la Bavière est au bord de la rupture avec Berlin. Les 8 et 9 novembre, Hitler profite du climat politique tendu pour tenter de s’emparer du pouvoir avec l’aide des SA (organisation paramilitaire du parti nazi). Sans succès. Son putsch manqué le conduit tout droit en prison, où il écrira Mein Kampf, mais lui permet aussi d’acquérir une certaine notoriété. Par ailleurs, cet événement est clé dans l’histoire du national-socialisme, dans la mesure où il permet à Hitler de prendre conscience qu’il ne parviendra à instaurer le nazisme en Allemagne que par voie légale.

En décembre 1924, Hitler sort de prison et retrouve un parti nazi très affaibli qui, jusqu’en 1929, n’obtiendra qu’un très faible pourcentage des suffrages lors des élections. Mais, au cours de ces années, Hitler travaille d’arrache-pied au sein de son parti, qu’il structure et hiérarchise. C’est aussi à cette époque que, sentant le contrôle des SA lui échapper, il se crée sa propre garde personnelle : les SS.

En 1929 survient la crise économique mondiale. L’Allemagne est touchée de plein fouet, et la population allemande insatisfaite se tourne plus volontiers vers les extrêmes. Le parti nazi compte de plus en plus d’adeptes.

En 1932, le chômage atteint 25 % de la population active allemande, et l’État ne peut même plus indemniser les chômeurs. Le mécontentement grandit, et le peuple se cherche un sauveur. Pour Hitler, qui promet monts et merveilles aux Allemands (du moins aux Allemands de race aryenne), c’est une chance inespérée d’accéder légalement au pouvoir. En juillet 1932, il obtient la majorité des voix au Parlement et, en janvier 1933, il est nommé chancelier, ce qui lui permet d’instaurer légalement le nazisme en Allemagne.

Voilà, dans les grandes lignes, les circonstances qui ont permis à un parti ouvertement raciste d’accéder au pouvoir. Mais il reste encore à comprendre comment les nazis sont parvenus à asseoir leur autorité. Nos guides nous ont alors fait découvrir une seconde tranche de l’histoire, celle qui s’étale de 1933 à 1939, juste avant le début de la Seconde Guerre mondiale.

La seconde partie de l’exposition retrace donc la destruction de la démocratie et l’instauration d’une dictature de la terreur.

Devenu chancelier, Hitler s’emploie à anéantir toute forme d’opposition. Et les choses vont vite. En février 1933, alors qu’il est chancelier depuis un mois à peine, Hitler interdit les partis socialistes, communistes et démocrates. La raison, ou plutôt le prétexte ? L’incendie du Reichstag, le siège du Parlement allemand à Berlin, dans la nuit du 27 au 28 février 1933. Les nazis attribuent cet acte criminel à un complot communiste et s’ensuit une campagne de répression contre les opposants de gauche. Encore aujourd’hui, le mystère demeure quant aux motivations des criminels. S’agissait-il d’un acte criminel qui fut exploité par les nazis à des fins politiques ? Certains vont même jusqu’à soutenir que ce fut une opération commanditée par les nazis pour justifier un durcissement du régime…

Le 22 mars 1933, le régime nazi amène les premiers prisonniers, des opposants politiques, au camp de concentration nouvellement créé à Dachau.

En juillet, le parti nazi est désormais le seul légal. Le 30 juin 1934, c’est la Nuit des longs couteaux, pendant laquelle Hitler se débarrasse des SA avec l’aide de sa garde personnelle, les SS. En effet, depuis son accession au pouvoir, Hitler doit faire face à des tensions qui opposent la SA aux partis conservateurs et à l’armée de la République de Weimar. Or, Hitler a pour ambition de succéder au président Hindenburg, et il a pour cela besoin du soutien des partis conservateurs et de l’armée…

Et, justement, en août 1934, Hindenburg meurt, laissant le champ libre à Hitler pour cumuler les fonctions de chancelier et de président. Le nazisme est dès lors pleinement ancré en Allemagne.

Au fil des années, l’idéologie nazie s’étend à tous les domaines de la vie, y compris l’art et la culture. La diversité culturelle du modernisme, considérée comme « dégénérée », est interdite. L’exclusion de ceux qui ne correspondent pas à l’idéologie raciale nazie, et en particulier les Juifs, se transforme en persécution. Certains citoyens allemands décident de se joindre à l’action. Les autres détournent simplement le regard. Il existait pourtant bel et bien une opposition au régime nazi (dans l’Église par exemple), mais très peu de gens osaient traduire leurs pensées en actes, tant il était avéré que les nazis punissaient sévèrement leurs opposants.

Le 10 novembre 1938 se dessinent déjà les prémices de la Shoah : c’est la Nuit de cristal, un pogrom contre les Juifs ordonné par Hitler et perpétré par ses sbires, mais officiellement présenté par les dirigeants nazis comme une réaction spontanée de la population à la suite de l’attentat commis par un jeune Juif contre un secrétaire de l’ambassade allemande à Paris. Au cours de cette Nuit de cristal, des centaines de lieux de culte juifs sont détruits, des milliers de commerces et entreprises tenus par des Juifs sont saccagés, des centaines de Juifs sont assassinés ou meurent de leurs blessures, et des dizaines de milliers sont par la suite déportés en camp de concentration. Une manière, pour les nazis, de donner un coup d’accélérateur à l’émigration juive, qu’ils jugent trop lente.

En Allemagne, la violence ne cesse donc de s’intensifier, et les Juifs ne sont pas les seules victimes : les Sinti, les Roms, mais aussi les personnes handicapées et les malades mentaux, font les frais de ce que l’on qualifie aujourd’hui de véritable programme d’euthanasie.

Parallèlement à ces événements, Hitler a enclenché le réarmement de l’Allemagne dès son accession au pouvoir, dénonçant officiellement le traité de Versailles et se préparant ouvertement à la guerre. La France et le Royaume-Uni, pourtant, ne réagissent pas, espérant peut-être éviter un nouveau conflit armé en se montrant conciliants. Par ailleurs, l’armée allemande ne leur semble pas en mesure d’inquiéter les leurs, ce qui favorise une certaine inaction.

En novembre 1937, Hitler fait part de ses ambitions expansionnistes à son état-major. Selon lui, il est impératif de conquérir rapidement de nouveaux territoires afin d’éviter une famine en Allemagne, où les réserves manquent. Et le 12 mars 1938, la conquête est lancée avec l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie.

S’ensuit l’annexion des Sudètes, une région de Tchécoslovaquie majoritairement peuplée d’Allemands. Dans un premier temps, la France et le Royaume-Uni mobilisent leurs troupes pour soutenir la Tchécoslovaquie. Mais finalement, le 30 septembre 1938, dans l’espoir vain d’éviter une nouvelle guerre, la France et le Royaume-Uni signent les accords de Munich, entérinant l’annexion des Sudètes. Un événement qui marque définitivement la capitulation des démocraties face aux agressions d’Hitler.

Le 15 mars, Hitler annexe le reste de la Tchécoslovaquie, en dépit de ce qui avait été convenu lors des accords de Munich.

Le 23 août 1939, Hitler – qui s’était déjà allié à l’Italie de Mussolini en 1936 (formation de l’Axe Rome-Berlin) – signe le pacte germano-soviétique avec Staline. Cette alliance, qui laisse sous le choc les démocraties, peut sembler contre-nature tant leurs idéologies s’opposent. Et pourtant, chacun cherche à servir ses intérêts personnels et, dans cette optique, l’alliance fait sens. D’un côté, Staline ne se sent pas prêt à affronter l’Allemagne, qui se prépare manifestement à la guerre. Dans un même temps, il est conscient que le fossé ne cesse de se creuser entre la dictature communiste et les démocraties. Or, ces dernières commencent à montrer leurs faiblesses, et une alliance avec le dictateur nazi lui semble plus judicieuse. De son côté, Hitler sait que son armée n’est pas (encore) en mesure de se battre sur deux fronts, et il doit s’assurer la paix, du moins temporairement, du côté est.

Nos guides nous ont ensuite fait découvrir la troisième partie de l’exposition, celle qui nous entraîne en plein cœur de la Seconde Guerre mondiale, depuis le déclenchement de la guerre jusqu’à l’effondrement du régime nazi. Conscientes de nos connaissances plus approfondies sur cette partie de l’Histoire, mais aussi faute de temps, nos guides ont choisi de nous faire parcourir cette section plus rapidement. Nous nous contenterons donc nous aussi d’une plus brève description.

Ici, l’exposition présente d’une part les crimes perpétrés par les soldats et policiers munichois, et d’autre part la vie quotidienne dans la ville en temps de guerre, et en particulier pour les personnes persécutées. À Munich, il est impossible pour la population de ne pas remarquer les personnes déportées, qui arrivent en masse des territoires occupés pour effectuer des travaux forcés, notamment dans l’industrie de l’armement.

Et pourtant, les actes de résistance ne sont pas communs, car le régime nazi intensifie sa politique de persécution à mesure que la guerre avance, et tous ceux qui s’opposent à lui s’exposent à des conséquences dramatiques. Ceci fut particulièrement vrai dans la phase finale de la guerre, durant laquelle le régime nazi poussa la violence à son paroxysme. Ainsi, de nombreux résistants payèrent leur courage de leur vie. Ce fut notamment le cas des membres du groupe de résistants allemands La Rose blanche, qui furent condamnés à mort et exécutés.

Le 30 avril 1945, l’armée américaine entre dans Munich, marquant la fin du régime nazi.

Enfin, il est très intéressant de constater que le Centre de documentation sur l’histoire du national-socialisme a dédié une section importante de son exposition à la période de l’après-guerre, alors même que le régime nazi s’était écroulé.

Au-delà de la dénazification et de la reconstruction de l’Allemagne après sa défaite, la dernière partie de l’exposition aborde la manière dont le pays s’est confronté aux crimes qu’il avait perpétrés. À l’aide d’exemples, le Centre nous montre à quel point cette confrontation, lente, hésitante et souvent maladroite, fut compliquée pour Munich et ses habitants.

Si, d’un côté, Munich est parvenue à se redémocratiser à l’issue de la guerre, il faut noter que nombreux furent ceux qui nièrent toute responsabilité personnelle, voire qui se refusèrent à éprouver un quelconque sentiment de culpabilité. Lorsqu’ils étaient jugés, les coupables n’étaient condamnés qu’à une peine légère, du moins dans la plupart des cas.

Pendant longtemps après la guerre, les attitudes des Allemands à l’égard de leur passé nazi ont oscillé entre honte, remise en question, mais aussi déni, voire continuité. Et bien que l’extrémisme de droite et l’antisémitisme soient sévèrement condamnés par l’opinion publique depuis 1945, l’intolérance et les discriminations persistent au sein de la société, donnant parfois lieu à des actes de terrorisme (attentat lors de l’Oktoberfest de Munich en 1980, meurtres commis par le groupe néonazi Nationalsozialistischer Untergrund au début des années 2000…).

Ces attitudes fluctuantes s’illustrent également dans l’architecture munichoise et dans la manière dont furent traités les symboles du national-socialisme depuis la fin de la guerre. Il y eut beaucoup de débats concernant les volontés de destruction ou de conservation des édifices nazis, les opinions voulant d’une part les transformer en lieux dédiés au souvenir et à la mémoire des victimes, et souhaitant d’autre part faire table rase du passé et éviter les rassemblements néonazis sur ces lieux.

Dans un premier temps, la tendance fut plutôt à l’abandon ou à la destruction des bâtiments nazis, témoignant d’une volonté d’oublier ou de nier le passé. Ce n’est que dans les années 1980 que les citoyens de Munich ont commencé à militer en faveur d’une culture du souvenir. Ouvert en 2015, le Centre de documentation sur l’histoire du national-socialisme en est l’un des aboutissements.

Enfin, avant de nous quitter, notre guide nous a alertés quant au retour des extrêmes sur le devant de la scène politique allemande. Le parti Alternative pour l’Allemagne (AFD) rencontre un succès croissant, l’extrême droite atteignant l’un de ses plus hauts niveaux de popularité depuis l’après-guerre. Dans un contexte d’inflation, de récession et d’inquiétude liée à la guerre en Ukraine, la coalition actuellement au pouvoir est bien loin de faire l’unanimité auprès de la population allemande, ce qui profite directement à l’AFD.

Une situation que l’on retrouve dans de nombreux pays d’Europe, et qui doit évidemment nous inciter à redoubler de vigilance.

Alicia GENIN

C’est en souvenir du groupe résistant La Rose blanche que le maire de Dachau donne chaque année une rose blanche aux jeunes au début de la cérémonie au crématorium de l’ancien camp de concentration de Dachau.

Pèlerinage 2023 à Dachau

Vendredi 28 avril

Notre pèlerinage à Dachau a débuté le vendredi 28 avril en fin d’après-midi, avec une commémoration et un dépôt de gerbe au cimetière d’honneur du camp de concentration de Dachau, au Leitenberg.

Entre février et avril 1945, la colline du Leitenberg, située non loin du camp de Dachau, avait été le théâtre d’un sinistre spectacle : celui de détenus de Dachau contraints par les SS à creuser huit fosses communes pour y ensevelir les cadavres de plus de 4 000 de leurs camarades. En effet, vers le mois de février 1945, en raison de la pénurie de charbon, les fours crématoires du camp avaient cessé de fonctionner, forçant les nazis à trouver une alternative pour se débarrasser des corps de leurs victimes.

Après la libération, les Américains avaient ordonné la construction de deux autres fosses communes pour y enterrer deux milliers de morts supplémentaires… Le lugubre travail étant cette fois confié à des nazis et des paysans de Dachau. Ce n’est qu’en 1949 que le site fut réaménagé afin de fournir un lieu de sépulture digne des victimes, donnant naissance au cimetière d’honneur que nous connaissons aujourd’hui.

Au fil des ans, les services de recherche procédèrent à des exhumations et rapatrièrent les morts identifiés, les autres restant au Leitenberg, mais cette fois inhumés dans des tombes individuelles. Aujourd’hui, plus de 7 400 victimes du régime nazi sont enterrées sur la colline du Leitenberg.

Le Leitenberg est donc un lieu du souvenir important pour les descendants de déportés. Tous les ans, le Comité International de Dachau y tient une cérémonie, durant laquelle ses membres fleurissent la grande croix chrétienne érigée au sommet de la colline. L’Amicale française était présente au rendez-vous pour honorer la mémoire des déportés qui y furent enterrés.

Cette année, Dominique Boueilh, nouveau président du CID, avait choisi d’y faire lire le « serment de Dachau », prononcé pour la première fois par les anciens de Dachau à cet endroit même, le 29 mai 1955, à l’occasion du 10e anniversaire de la libération du camp :

« Dix ans après la libération, réunis à Dachau, au lieu même où des centaines de milliers de concentrationnaires de tous pays connurent la souffrance et mêlèrent leur sang, unissant dans notre pensée leur martyr à celui de tous ceux qui tombèrent en défendant leur patrie contre l’oppression,

Nous jurons de garder vivant le souvenir des victimes de la barbarie nazie

Nous jurons de lutter pour empêcher le retour des camps de la mort et l’emploi de tout autre moyen d’extermination massive,

Nous jurons de nous opposer à ce que les bourreaux, leurs chefs et leurs maîtres retrouvent des armes pour attaquer et asservir les peuples,

Nous jurons, pour rester fidèles à l’union et à la camaraderie nées dans la souffrance et dans le combat, de nous consacrer au rapprochement des peuples dans la paix en vue d’assurer leur sécurité, leur indépendance et leur liberté. »

Après le Leitenberg, nous nous sommes rendus au cimetière de Waldfriedhof, situé à quelques minutes à peine.

Dans ce cimetière se trouve un carré funéraire aménagé pour 1 312 victimes du camp de concentration de Dachau, décédées des suites de leur déportation au cours des mois qui suivirent leur libération par les Américains. À la fin des années 50, les corps de certains déportés furent rapatriés dans leur pays d’origine, et les tombes laissées vacantes furent utilisées comme lieux de sépulture pour des victimes des « marches de la mort », initialement enterrées dans des cimetières qui jalonnaient leur trajet.

Le cimetière de Waldfriedhof fait lui aussi l’objet d’une cérémonie annuelle avec dépôt de gerbe, qui clôturait cette année la première journée de notre pèlerinage.

Samedi 29 avril

Le samedi 29 avril au matin, notre groupe a quitté Dachau pour se rendre à Munich. Nous étions attendus au Centre de documentation sur l’histoire du national-socialisme, pour une visite guidée de presque deux heures. En raison de sa teneur historique, nous avons décidé de consacrer un article dédié au compte rendu de cette visite. Rendez-vous ici pour des explications sur la création et l’accession au pouvoir du régime nazi, ainsi que sur ses suites et sur les orientations futures de la société.

Notre parcours terminé en début d’après-midi, nous sommes retournés à Dachau pour une seconde visite guidée, cette fois à l’ancien camp de concentration. Pendant presque trois heures, notre guide nous a fait explorer l’ensemble du site, le crématorium, les baraques, et s’est longuement attardée au sein de l’ancien bâtiment d’intendance, qui abrite l’exposition principale du Mémorial de Dachau. Inaugurée en 2003, cette exposition a pour objectif de retracer le « chemin » des déportés, dont le destin tragique est reconstitué depuis leur incarcération jusqu’à leur libération, en passant par les souffrances endurées quotidiennement dans le camp, où la mort était omniprésente.

Rappelons qu’au cours des prochaines années, le Mémorial de Dachau fera l’objet d’une refonte complète et que son musée bénéficiera d’une toute nouvelle exposition. En effet, l’exposition actuelle a désormais 20 ans et, en matière de contenu, de concept, de didactique et de design, est donc quelque peu « datée ». Elle sera prochainement restructurée en prenant en compte les informations historiques récentes, les nouvelles technologies, l’adaptation aux malvoyants et malentendants ainsi que l’accès aux personnes à mobilité réduite. Une nouvelle exposition est également en préparation pour les baraques, qui actuellement reconstituent l’espace tel qu’il se présentait en 1933-1934, en 1937-1938 et en 1944-1945. Par ailleurs, une extension de la superficie totale du site commémoratif, avec l’inclusion de certains bâtiments d’importance historique, est prévue afin d’accueillir au mieux le nombre croissant de visiteurs (approximativement 900 000 par an).

Notre visite au camp de Dachau s’est terminée aux alentours de 17 heures, alors que les membres du Comité International de Dachau procédaient à un dépôt de gerbe au pied du monument de la flamme, situé sur l’ancienne place d’appel du camp.

Sandra Quentin porte le drapeau du CID. Jean Lafaurie et Dominique Boueilh déposent la gerbe.

Enfin, nous avons quitté tous ensemble l’enceinte du camp pour nous diriger vers le monument commémoratif des marches de la mort. C’est là qu’eut lieu la dernière cérémonie de cette journée, afin de rendre un hommage particulier aux milliers de prisonniers de Dachau et de ses camps annexes qui, plusieurs jours avant la libération du camp, furent évacués par les SS et contraints d’entreprendre des marches forcées. Au cours de ces marches de la mort, nombreux furent ceux qui perdirent la vie, terrassés par la maladie, la faim ou par les coups de leurs bourreaux, qui punissaient sévèrement quiconque, à bout de forces, avait le malheur de s’arrêter ou de ralentir la cadence.

Dimanche 30 avril

Cérémonies de commémoration du 78e anniversaire de la libération du camp de concentration de Dachau

Dimanche 30 avril 2023, une multitude de visiteurs – dont 15 survivants de Dachau, deux libérateurs américains et de très nombreux descendants de déportés – avaient répondu à l’invitation de Dominique Boueilh, président du CID, Gabriele Hammermann, directrice du Mémorial de Dachau, et Karl Freller, directeur de la Fondation des mémoriaux bavarois, les conviant à la commémoration du 78e anniversaire de la libération du camp de concentration de Dachau. De nombreuses personnalités publiques – ambassadeurs, politiques, représentants de différentes confessions religieuses – étaient également présentes pour rendre hommage aux victimes du camp de Dachau et à leurs libérateurs.

La journée a débuté par différents services religieux, puis s’est poursuivie par une cérémonie à l’ancien crématorium du camp, ponctuée par des discours émouvants, notamment celui d’Abba Naor, survivant de la Shoah et vice-président du CID. Après un premier dépôt de gerbe, l’assemblée s’est dirigée en cortège jusqu’à l’ancienne place d’appel du camp, avec en tête le général Jean-Michel Thomas, qui portait le Livre des morts de Dachau, et les porte-drapeaux des pays d’origine des quelque 200 000 personnes déportées vers Dachau et ses camps satellites.

Abba Naor lors de son discours.

La cérémonie principale, sur l’ancienne place d’appel, a été marquée par les discours de Gabriele Hammermann, Karl Freller, Michael Piazolo (ministre de l’Éducation) et Dominique Boueilh, mais aussi par les messages commémoratifs émouvants de plusieurs survivants et libérateurs. Karl Freller a souligné, à l’aide de l’exemple historique de la République de Weimar et de l’histoire des premiers camps sous la dictature nazie, la nécessité de défendre la démocratie en restant vigilant et en se défendant.

À l’issue de la cérémonie, ce sont pas moins de 98 couronnes de fleurs qui ont solennellement été déposées, parmi lesquelles des couronnes de représentants de groupes de victimes, de la politique locale, régionale et fédérale, et notamment du président fédéral et du chancelier fédéral.

Enfin, nous nous sommes rendus au centre Max Mannheimer, qui convie chaque année les membres de notre Amicale à un généreux repas. L’occasion pour nous de clore notre pèlerinage dans la convivialité.

Vous trouverez ci-dessous le discours prononcé par Dominique Boueilh ci-dessous sur l’ancienne place d’appel et, pour finaliser cet article dédié à notre pèlerinage 2023 à Dachau, nous vous proposons un message de Serena Adler, de l’Amicale roumaine de Dachau, nous expliquant pourquoi il est essentiel pour elle de revenir chaque année sur le site commémoratif du camp.

Alicia GENIN

Allocution du président du CID – Mémorial de Dachau, 30 avril 2023

« C’est avec un immense honneur que je m’adresse à vous toutes et tous, en qualité de nouveau président du CID. Depuis de nombreuses années, je participe à la vie du Comité International de Dachau, et aux commémorations annuelles de la libération du camp. Pourautant, je ne vous cache pas être envahi en ce moment précis d’une grande émotion.

Permettez-moi d’avoir une pensée intime pour mon père, Didier Boueilh. Âgé de 18 ans, l’âge précis de son arrière-petit-fils Enzo ici présent, il est arrivé au camp de Dachau le 5 juillet 1944, à bord du sinistre convoi 7909, dit « Train de la Mort », et auquel il survivra par miracle. Il sera libéré, à l’aube du 29 avril 1945 par les soldats américains, à qui il vouera toute sa vie une reconnaissance sans limite.

Pour la fin des souffrances de milliers de détenus, pour cette liberté retrouvée, nous devons tous nous honorer aujourd’hui de la présence parmi nous de libérateurs, arrachés à leur jeunesse pour libérer de l’envahisseur nazi une Europe qui leur était lointaine.

Je souhaite également rendre un vif hommage à mon prédécesseur, le général Jean-Michel Thomas, et à toute son équipe, pour les actions menées durant ses deux mandatures, et pour les liens étroits développés avec la Fondation des mémoriaux bavarois et avec le Mémorial du camp de Dachau. Ces liens ont permis en particulier de traverser la crise sanitaire avec résilience et solidarité. Je tiens ici, au nom du CID, à en remercier très sincèrement le Ministère bavarois de l‘Éducation et de la Culture, la Fondation des mémoriaux bavarois et le Mémorial du camp de Dachau.

C’est avec joie que nous retrouvons aujourd’hui le caractère public, chaleureux et fraternel de nos commémorations. Le temps des projets et de notre engagement est revenu, plus fort encore, et motivé par le contexte d’une actualité européenne préoccupante et par la persistance d’atteintes à nos valeurs fondamentales.

Notre première volonté sera de soutenir et d’accompagner le nouveau projet de rénovation du Mémorial. C’est un projet innovant, ambitieux et nécessaire pour susciter l’écoute des nouvelles générations. Nous sommes confiants dans la capacité des différents acteurs à se réunir pour surmonter les difficultés actuelles et inhérentes à un projet d’une telle envergure. La vision d’un champ de Mémoire rénové, mais toujours fidèle à sa mission première, pourra alors être menée à son terme. Il sera bâti sur l’héritage du Mémorial de Dachau érigé en 1965, lequel est resté très précieux au Comité International de Dachau.

Enfin notre champ d’action ne saurait s’arrêter aux murs de cette enceinte. La Mémoire de la Déportation doit continuer à s’exercer dans tous les pays de notre Europe, pour éveiller la conscience et susciter la responsabilité de chaque citoyen, pour faire face à la montée des extrêmes et pour protéger nos modèles de démocratie. Il nous appartient de raviver et accompagner cette Mémoire partout où elle s’affaiblit, par l’intermédiaire de nos représentations nationales et des instances dédiées de chaque pays, mais aussi avec la collaboration des autres comités internationaux. Le Comité International de Dachau restera très attaché à cet objectif.

La Mémoire des camps est fédératrice et point d’attache des descendants de déportés. Elle demeure le lien indéfectible entre le crime d’histoire passé, et les espoirs d’un monde apaisé et libre de toute atteinte à la dignité humaine.

Les sacrifices de nos héros d’hier et les efforts considérables mis dans ce mémorial ne doivent pas rester vains.

Vous seul, cher public, pouvez faire de nos espoirs, de vos espoirs, la réalité de demain, après votre visite en ces lieux.

Je vous remercie pour votre attention.»

Message de Serena Adler, Amicale roumaine (AERVH)

« Cette année, je suis revenue à Dachau pour les cérémonies commémoratives et pour la rencontre annuelle du Comité International de Dachau. Depuis 2002, je reviens toujours avec la même émotion à cette rencontre avec l’histoire de nos familles, projetée sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.

Nous, les membres du CID, sommes spirituellement liés par les histoires similaires que nos parents ont vécues pendant cette période.

Je pense que nous réunir une fois par an est une bonne occasion de partager notre expérience personnelle sur la façon dont chacun d’entre nous garde et honore la mémoire des anciens. Nous faisons cela pour donner plus de sens au « plus jamais », que tout le monde connaît.

Chacun de nous a sa propre histoire de famille et le souvenir de ce qui s’est passé, ce qui nous ramène à Dachau.

Mon grand-père et mon père ont été libérés à Dachau, et malheureusement ils sont revenus à la maison sans ma grand-mère, qui n’a pas eu la chance d’échapper au triage de Mengele, fait à Birkenau, au début de leur déportation. Histoire d’une famille, histoire des familles.

L’histoire nous suit. Nous revivons cette histoire aujourd’hui, comme une répétition troublante dans notre région, dans le monde.

En mémoire des membres de ma famille, mais aussi des millions tués en ce temps-là, je considère comme un devoir moral d’honneur de faire tout ce que je fais volontairement pour continuer à faire vivre leur mémoire.

Par l’intermédiaire de mes éditions, que je réalise depuis plusieurs années, je continue à parler de ce sujet avec le soutien de mes amis, des survivants que je rencontre, des historiens, des journalistes, des enseignants et des étudiants. Même si c’est difficile, et pour que l’histoire ne se répète pas, pour le salut de nos âmes, je tiens au devoir de mémoire.

La législation, la politique de mon pays prévoit des cours dédiés à la mémoire.

Les jeunes écoutent et posent des questions qui montrent à quel point il est difficile pour eux de comprendre les actes que des hommes ont commis à l’encontre d’autres êtres humains.

Par conséquent, nous, les générations suivantes, avons l’obligation de continuer à raconter nos histoires de famille. Il en est de notre devoir moral.

Pour moi, le respect est important. C’est pour cette raison que nous sommes présents chaque année à Dachau : pour notre propre respect et pour celui de nos familles.

Quand je dis « nos familles », je pense aussi aux personnalités du CID qui ne sont plus avec nous, mais qui restent présentes, veillent sur nous, pour voir ce que nous faisons et comment nous poursuivons leurs efforts… Mais je pense aussi à nos jeunes familles, à qui nous voulons montrer pourquoi elles devraient nous rejoindre et continuer à transmettre la mémoire de la vraie histoire de la Seconde Guerre mondiale.

C’est notre devoir de continuer, pour que jamais de tels actes ne se reproduisent dans le monde.

Nous avons envie de mieux nous connaître, d’être comme une famille avec ceux qui ont souffert dans les mêmes conditions pendant la guerre. Chacun d’entre nous mérite un respect égal à celui de n’importe quel autre d’entre nous !

Nous devons nous concentrer sur l’avenir. Faisons-le, en tenant compte du présent.

Nous sommes capables d’agir ensemble dans ce devoir moral. »

Rencontre bisannuelle de l’Union des associations de mémoire des camps nazis (UAMCN) et Assemblée Générale 2023 de l’Amicale de Dachau

L’Union des associations de mémoire des camps nazis vous invite à sa rencontre bisannuelle le samedi 25 novembre 2023 à la mairie du 20e arrondissement de Paris.

Programme :

  • 9 h – Rendez-vous au cimetière du Père-Lachaise, à l’entrée de la rue des Rondeaux. Des hommages et dépôts de gerbes auront lieu aux six monuments de nos associations.
  • 10 h 15 – Dépôt de gerbe au monument aux morts de la mairie du 20e
  • 10 h 30 – Débat : l’UAMCN face à elle-même, à l’écoute de ses adhérents.
    L’échange portera sur les préoccupations qui nous agitent et nous rassemblent, dans la perspective du 80e anniversaire de la libération des camps. La parole des participants sera sollicitée. (en préparation)
  • 12 h 30 – Déjeuner sur place (buffet) avec participation de 35 €
  • 14 h 30 – Réunions statutaires de chacune de nos associations. L’Amicale de Dachau tiendra à cette occasion son Assemblée Générale 2023.

Nous vous attendons nombreux pour ce rassemblement qui fait suite à l’officialisation de l’Union des amicales, et pour notre Assemblée Générale 2023.

Merci de bien vouloir vous inscrire auprès du secrétariat de l’Amicale de Dachau avant le 5 novembre 2023.

3 mai 1945 – La tragédie de la baie de Lübeck

L’Union des associations de mémoire des camps nazis (UAMCN) et l’Institut historique allemand (IHA) vous invitent à une table ronde sur :

3 mai 1945 – La tragédie de la baie de Lübeck

Avec la participation de trois historiens :

  • Christine Eckel, membre de la Fondation des mémoriaux et lieux didactiques de Hambourg, en charge du site du Stadthaus
  • Dr Lars Hellwinkel, enseignant, responsable pédagogique du Mémorial du camp de Sandbostel
  • Dr Christel Trouvé, directrice scientifique au Denkort Bunker Valentin, Bremen-Farge

Modérateur : Dr Jürgen Finger, directeur du département Histoire contemporaine de l’Institut historique allemand

le vendredi 22 septembre 2023 (de 14 à 17 h)

à l’Institut historique allemand (8, rue du Parc royal, 75003 Paris)

  • Inscription par mail avant le 8 septembre : interamicale1945@gmail.com. Nombre limité de places.
  • Possibilité d’assister à cette rencontre en visioconférence. Informations et inscription par mail : interamicale1945@gmail.com
  • Pour préparer cette rencontre, projection en ligne quelques jours avant (date à définir) du film documentaire d’Isabelle Saunois « Ma mémoire d’Adrien », sorti en France en 2010. Informations et inscription par mail : interamicale1945@gmail.com

3 mai 1945. En pleine baie de Lübeck sur la mer Baltique, plus de 7 000 déportés de diverses nationalités disparaissent en quelques heures. C’est l’une des plus grandes catastrophes maritimes de l’histoire. Quelques jours plus tard, la guerre était finie…

Fin avril 1945, pour répondre à un ordre du Reichsführer-SS Heinrich Himmler, le gouverneur de Hambourg, Karl Kaufmann, et le commandant du camp de concentration de Neuengamme, Max Pauly, décident de réquisitionner quelques bateaux stationnant en baie de Lübeck et d’y entasser plusieurs milliers de détenus, transformant ainsi ces bateaux en KZ flottants.

L’après-midi du 3 mai, deux de ces bateaux, le cargo Thielbek et le paquebot Cap Arcona, sont la cible de bombardements par des avions britanniques. Le Thielbek sombre en 20 minutes, le Cap Arcona flambe de la poupe à la proue et se couche sur le flanc. Sur les plus de 4 500 déportés à bord du Cap Arcona, environ 350 survivront, sur les 2 800 déportés du Thielbek, 50 survivront.

Comment et pourquoi tant de victimes en si peu de temps ? Comment et pourquoi cela fut-il possible alors que la paix était si proche ?

C’est ce que nos amis historiens vont analyser, expliquer et nous aider à comprendre.