Commémoration du départ du Train de la Mort (78e anniversaire)

Mémorial des Martyrs de la Déportation, 2 juillet 2022

Le 2 juillet 1944, le convoi n°7909 partait de la gare de Compiègne à destination du camp de concentration de Dachau, transportant à son bord plus de 2000 détenus. Entassés par groupes de 100 dans des wagons à bestiaux ne pouvant en principe accueillir plus de 40 hommes, les prisonniers allaient voyager debout pendant trois jours, chacun disposant d’un espace vital aux dimensions comparables à celles d’une feuille de papier A4. À ces conditions inhumaines s’en ajouteraient d’autres au cours du trajet : le manque de ravitaillement, mais aussi une chaleur suffocante, car les déportés eurent la terrible malchance de voyager par temps caniculaire. Le 5 juillet, à l’arrivée en gare de Dachau, des corps innombrables et sans vie furent extraits des wagons. Selon certaines estimations, 984 cadavres prirent la direction du four crématoire du camp de Dachau, qu’ils alimentèrent quatre jours durant.

Pour des raisons évidentes, ce convoi n°7909, dit « Train de la Mort », tient une place importante dans le cœur des déportés de Dachau et leurs familles. Notre Amicale en rend compte le 2 juillet de chaque année à la crypte du Mémorial des Martyrs de la Déportation (Paris), où elle se réunit pour un moment de recueillement. Cette année, nous avons tenu à en faire un événement de plus grande ampleur, car nous avons de nouveau fait l’impasse sur l’organisation d’un congrès, 2022 restant marquée par de trop nombreuses incertitudes liées à la crise sanitaire. Ce samedi 2 juillet, vous étiez donc également invités à participer à un cocktail déjeunatoire ainsi qu’à notre Assemblée Générale, qui se sont tenus à la suite de la cérémonie dans une salle conviviale située à proximité.

Reflet de la reprise de notre vie associative, nous étions une quarantaine – soit près du double de l’année précédente – à nous rassembler à la crypte, où nous avons été accueillis par Dominique Boueilh, président de notre Amicale. Au cours de son allocution de bienvenue, notre président s’est également félicité d’un autre fait exceptionnel : quatre générations composaient notre assemblée ce jour-là, près d’un siècle séparant la plus jeune membre présente de notre représentant le plus âgé ! Preuve d’un véritable attachement transgénérationnel à la mémoire de la Déportation… Dominique Boueilh a également souligné notre incroyable privilège de compter parmi nous trois anciens de Dachau, dont deux témoins directs de la tragédie du Train de la Mort.

Jean Samuel, Jean Lafaurie et André Gaillard se tiennent devant la tombe de la crypte, où sont inhumés les restes d’un déporté inconnu. Sur la gauche, Estelle Samuel, épouse de Jean, et Jean-Michel Thomas, président du Comité International de Dachau. Sur la droite, Pierre-Antoine Quentin, qui portait notre drapeau ce jour-là, et Dominique Boueilh, président de notre Amicale nationale.

André GAILLARD
André Gaillard est né le 10 octobre 1922 et fêtera donc ses 100 ans cette année. Déporté par le Train de la Mort parti de Compiègne le 2 juillet 1944, il est arrivé le 5 juillet 44 à Dachau, où il a reçu le matricule 76834. André Gaillard avait été arrêté dans un collège d’Avon, où le directeur cachait des enfants juifs et des gens qui, comme lui, refusaient de se soumettre au service de travail obligatoire en Allemagne. André Gaillard était surveillant dans ce collège. Après son arrivée à Dachau, André Gaillard fut transféré vers le centre de l’Allemagne, au camp du Neckargerach. Il y fut employé dans une mine de gypse, où les Allemands voulaient construire une usine à l’abri des bombardements. André Gaillard fut libéré et pris en charge par les Américains début avril 1945.

Jean LAFAURIE
Né le 30 novembre 1923, Jean Lafaurie fêtera ses 99 ans en fin d’année. Il a quant à lui été déporté par un autre convoi, arrivé à Dachau le 20 juin 1944. À Dachau, il a reçu le matricule 73618. Maçon et cimentier, Jean Lafaurie était entré dans la Résistance dès l’appel du général de Gaulle, à l’époque en réécrivant des tracts qu’il distribuait. En décembre 1940, il avait rejoint l’Organisation Spéciale, puis, en 1942, les Francs-tireurs et partisans français, dans le maquis Guy-Moquet situé en Corrèze. Arrêté le 14 juillet 1943, il fut emprisonné à la prison de Tulle puis de Limoges, où il passa devant une section spéciale qui le condamna à 5 ans de travaux forcés. Muté à la centrale d’Eysses en octobre 1943, il participa aux diverses manifestations résistantes et à la tentative d’évasion avortée du 19 février 1944. Le 30 mai 1944, il fut livré aux SS par le gouvernement de Pétain et transféré au camp de Compiègne. Le 18 juin 1944, il partit pour le camp de concentration de Dachau, dont il fut finalement libéré le 29 avril 1945 par les Américains.

Jean SAMUEL
Né le 15 décembre 1923, Jean Samuel quitte Paris à la suite de la débâcle, et part travailler comme aide-comptable à Agen. En 1942, il participe au ravitaillement du maquis situé sur le plateau des Causses près de Millau. En 1943, il entre au réseau Plutus du mouvement Combat. Service des approvisionnements en faux-papiers de la plupart des mouvements ou organisations de la Résistance, d’abord en zone sud, puis en zone nord. En mai 1944, il est arrêté dans le bureau des faux-papiers, Cité des Fleurs, dans le 17e arrondissement, à Paris. Torturé pendant deux jours par la Gestapo, rue des Saussaies à Paris, il résiste au supplice de la baignoire. Il est transféré le 18 mai à la prison de Fresnes. Il en repart le 27 juin, pour Compiègne, où il reste environ une semaine. Déporté à Dachau le 2 juillet 1944 par le Train de la Mort, il est ensuite envoyé à Neckargerach. En 1945, il subit la marche de la mort de Neckargerach à Dachau. Jean sera libéré, à Dachau, le 29 avril 1945 par les Américains.

Après avoir retracé dans les grandes lignes le parcours des déportés présents à la cérémonie, Dominique Boueilh a encouragé ceux-ci à prendre la parole, concluant son allocution par ces mots : « Plus que les longs discours, je vous invite à profiter du privilège de la présence d’André Gaillard, de Jean Samuel et de Jean Lafaurie pour écouter leur témoignage direct. Faisons de leur voix encore présente le dernier instrument pour lutter contre le retour des courants et des idéaux obscurs qui encombrent notre société et notre monde géopolitique, pour lutter contre les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, et pour rappeler le sens du seul combat qui doit nous animer, celui de l’esprit de Dachau. »

Jean Samuel et André Gaillard, tous deux survivants du convoi du 2 juillet, ont ainsi évoqué leurs souvenirs. 78 ans après les faits, Jean Samuel s’est dit « étonné d’être là et de pouvoir [nous] en parler ». Il nous a rappelé que, en raison de l’épuisement, de la faim et du manque d’air dans les wagons, certains détenus étaient devenus fous et en étaient venus aux mains. Dans son wagon, on dénombra ainsi 60 morts à l’arrivée en gare de Dachau. Rescapé du Train de la Mort puis du camp de concentration de Dachau, où le typhus, le manque de sommeil et de nourriture continuaient d’emporter ses camarades, Jean a mesuré sa chance d’en revenir vivant, mais aussi d’avoir pleinement recouvré la santé après la libération. Marié à Estelle, qui l’accompagnait encore ce jour-là, ils vivent heureux depuis plus de 70 ans.

Quant à André Gaillard, il a souhaité rendre hommage à trois de ses bons amis de Compiègne : Guillaume d’Ussel, Marc Gervais et Jean Sordet, survivants eux aussi du terrible voyage débuté le 2 juillet 44. Guillaume d’Ussel mourut d’épuisement fin 1944 à Neckargerach. Marc Gervais, qui avait lui aussi été transféré à Neckargerach depuis Dachau, fut par la suite envoyé dans un autre camp, celui de Vaihingen, où il perdit la vie. Ce camp est une évocation terrible pour les déportés car, sur la centaine de détenus qui y fut transférée en décembre 44, moins de 10 en sont revenus vivants. Enfin, André Gaillard nous a parlé de Jean Sordet (dont le fils Guillaume se trouvait parmi nous ce jour-là), qui survécut à l’enfer des camps et put assister à la libération, mais qui décéda quelque temps après.

C’est ensuite Danièle Meyer qui est intervenue pour nous lire un petit mot de son père, Yves Meyer, autre déporté du Train de la Mort. Toujours fidèle à notre cérémonie annuelle, Yves Meyer n’a malheureusement pas pu se joindre à nous cette fois-ci pour raisons de santé, mais tenait à s’en excuser, nous accompagner par la pensée et nous assurer de son amitié.

Enfin, Dominique Boueilh a repris la parole pour inviter Joëlle Boursier – fille du général André Delpech, survivant de ce convoi de la mort et ancien président de l’Amicale de Dachau – à procéder au dépôt de gerbe. Joëlle a déposé la gerbe en compagnie d’Anne, sa petite-fille âgée de 8 ans. Elles étaient suivies de Dominique Boueilh et de madame Véronique Peaucelle-Delelis, directrice générale de l’ONACVG, qui nous a fait l’honneur, pour la deuxième année consécutive, de répondre favorablement à notre invitation. Nous avons ensuite observé quelques minutes de silence, puis avons entonné le Chant des Marais pour clore cette cérémonie.

Dominique Boueilh, Joëlle Boursier et Anne.

La cérémonie terminée, nous nous sommes attardés quelque temps dans les salles supérieures du Mémorial, afin de profiter du parcours pédagogique récemment enrichi. Puis, nous avons quitté les lieux pour nous rendre tous ensemble dans la salle où nous avons organisé notre cocktail déjeunatoire et tenu notre Assemblée Générale annuelle.

Alicia GENIN