22 septembre 2023, Paris
Vendredi 22 septembre 2023, les membres de nos amicales de camps se retrouvaient à l’Institut historique allemand (Paris) pour assister à une table ronde sur la tragédie de la baie de Lübeck. L’Union des associations de mémoire des camps nazis (UAMCN), dont fait partie l’Amicale de Dachau, avait initialement prévu de présenter ce sujet, qui appartient plus spécifiquement à l’histoire du camp de concentration de Neuengamme, lors de la précédente édition des Rendez-vous de l’Histoire de Blois, ayant pour thème « la mer ». Malheureusement, notre proposition de table ronde avait été refusée par le conseil scientifique des Rendez-vous, et nous avions alors pris la décision de la présenter à une autre occasion.
La tragédie de la baie de Lübeck, qui eut lieu le 3 mai 1945, est profondément ressentie dans l’Amicale de Neuengamme, mais aussi au sein des autres associations de mémoire des camps. Cette tragédie, qui constitue l’une des plus grandes catastrophes navales de tous les temps, relève de l’incompréhensible et les responsabilités s’embrouillent. La tragédie de Lübeck a des parts d’innomé, ce qui lui confère une dimension mémorielle particulière. Ce vendredi 22 septembre, elle revêtait également un caractère emblématique, puisqu’il s’agissait du premier rendez-vous public de notre Union des associations de mémoire des camps nazis depuis sa création officielle.
Après les mots d’accueil de Jürgen Finger (directeur du département Histoire contemporaine de l’Institut historique allemand) et de Daniel Simon (président de l’Union des associations de mémoire des camps nazis), les deux intervenants de cette journée nous ont été présentés. Avant de répondre aux questions de l’assemblée, Christine Eckel – membre de la Fondation des mémoriaux et lieux didactiques de Hambourg, en charge du site du Stadthaus – se chargerait de nous présenter le camp de Neuengamme et les événements du 3 mai dans leur dimension historique ; quant à Lars Hellwinkel – professeur d’histoire, responsable pédagogique du Mémorial du camp de Sandbostel – il aborderait plutôt la dimension mémorielle liée à la tragédie.
Un aperçu de l’histoire du camp de concentration de Neuengamme
À l’automne 1938, l’entreprise SS de terrassement et de carrières Deutsche Erd- und Steinwerke GmbH fait l’acquisition d’une briqueterie désaffectée et de terrains situés près du bourg de Neuengamme, à une trentaine de kilomètres au sud-est de Hambourg. En décembre 1938, un premier kommando de 100 détenus allemands arrive du camp de Sachsenhausen afin de remettre la briqueterie en état. Les conditions de détention sont alors bien différentes de celles que connaîtront les déportés dans les années à venir.
Après le déclenchement de la guerre, la décision est prise de faire de Neuengamme un grand camp de concentration. La ville de Hambourg programme le réaménagement de la rive de l’Elbe pour y construire les « bâtiments du Führer » en briques. En avril 1940, la ville et l’entreprise SS Deutsche Erd- und Steinwerke signent un contrat. La ville de Hambourg accorde un prêt à l’entreprise SS pour la construction d’une briqueterie plus grande et plus moderne. Elle s’engage également à apporter son aide pour l’installation des infrastructures du camp. En échange, la SS s’engage à fournir gratuitement la main-d’œuvre concentrationnaire ainsi que les équipes de garde nécessaires.
Au printemps 1940, Neuengamme devient un camp de concentration autonome. Ce sont alors les détenus eux-mêmes qui construisent les baraques, miradors, ateliers et autres bâtiments nécessaires à l’agrandissement du camp. Les kommandos de travail les plus importants sont ceux de la construction de la nouvelle briqueterie, le kommando de l’élargissement du bras de l’Elbe, ainsi que le kommando des glaisières (matière destinée à la production de briques).
Dès la fin 1940, le camp compte environ 2 900 détenus, essentiellement des Allemands. À partir de 1941, la majorité des déportés à Neuengamme viennent des territoires occupés par l’Allemagne. Jusqu’à la fin de la guerre, les plus de 100 000 déportés de Neuengamme, parmi lesquels figurent plus de 13 000 femmes, viennent surtout de l’Union soviétique et de Pologne. Les déportés de France représentent le troisième grand groupe, avec environ 11 500 hommes et femmes. À partir de 1941 arrivent également à Neuengamme des prisonniers de guerre soviétiques, puis en 44-45 encore beaucoup de détenus juifs, venant principalement des pays occupés à l’est.
La majorité des déportés de France arrivent en 1944, avec quatre convois venus de Compiègne et un de Belfort. À ce moment, le camp de Neuengamme dispose de nombreux camps satellites, pour la plupart attachés à la production d’armement, à des sites de construction ou des installations industrielles. Souvent, les conditions de détention y sont encore pires que dans le camp central. À partir de 1944, la majorité des détenus sont transférés vers ces camps annexes, le camp principal de Neuengamme devenant pour beaucoup un simple lieu de passage, qu’ils ne connaissent parfois que durant quelques jours. Cela correspond à l’évolution du système concentrationnaire en général.
Le camp de Neuengamme a longtemps été peu présent dans la mémoire collective des camps, tant en Allemagne qu’en France. Ceci s’explique par les circonstances de sa libération : l’entrée des troupes britanniques, début mai 1945, s’est faite dans un camp vide et nettoyé. Il n’y avait plus de détenus, plus de preuves visuelles des crimes commis au quotidien sur le site. Cette situation, contrairement à la libération d’autres camps, n’a pas produit d’images chocs dans la presse. Puis, dès 1948, la ville de Hambourg a construit des prisons sur le site de l’ancien camp de Neuengamme, le rendant presque invisible pour le public.
Chronologie du 3 mai 1945
Les bombardements des bateaux le 3 mai 1945 constituent l’un des points culminants de l’évacuation des camps durant les dernières semaines de la guerre. Le contexte est alors marqué par l’augmentation de la violence et de la brutalisation, y compris de la part de la société civile, qui entrevoit la défaite allemande. Pendant l’évacuation des camps, des centaines de milliers de détenus meurent de faim, d’épuisement, ou sont massacrés. Rien que dans le nord de l’Allemagne, plus de 50 000 personnes ont emprunté les routes et les voies ferrées. Ces derniers jours avant la libération sont restés gravés, dans la mémoire de nombreux survivants, comme les plus terribles de toute leur captivité.
Dès 1944, à l’approche du front, des dizaines de commandants de camps de concentration (voire des milliers si l’on prend en compte les camps satellites) prennent la décision, indépendamment les uns des autres, de faire évacuer leur camp. Les camps sont donc vidés, nettoyés, les uns après les autres. On peut supposer qu’un ordre d’évacuation centralisé a existé, mais il n’en existe pas de preuve écrite. Cela n’a en réalité rien de surprenant, puisqu’à la fin de la guerre, les responsables nazis et SS ont tenté de détruire toutes les preuves les accablant. Bien que l’existence d’un tel ordre constitue une question intéressante, il convient de préciser que les commandants de camps disposaient d’une marge de manœuvre individuelle importante, qui pouvait être influencée par des facteurs situationnels, tels que la destruction des voies de transport. Quoi qu’il en soit, le déroulement des événements montre que les SS s’efforçaient de garder les détenus en leur pouvoir et, en ce qui concerne Neuengamme et ses camps satellites, de les emmener plus au nord quoi qu’il en coûte.
En mars 1945, des milliers de détenus scandinaves sont rassemblés au camp de Neuengamme dans le but d’être transférés vers le Danemark et la Suède. Ce mouvement s’inscrit dans le cadre d’une mission de sauvetage organisée par la Croix-Rouge suédoise, parvenue à passer des accords avec Max Pauly, le commandant du camp de Neuengamme. Au camp principal de Neuengamme, des blocks de détenus doivent êtres vidés pour faire place temporairement aux Scandinaves évacués. Cette mesure s’applique également au « block de repos » : les détenus gravement malades qui y sont entassés sont alors transportés vers les camps extérieurs, ce qui signifie la mort pour bon nombre d’entre eux. Quand certains se voient secourus, d’autres, malheureusement, se voient donc condamnés.
Le 19 avril 1945, à l’approche des forces britanniques, Max Pauly ordonne l’évacuation du camp central. Les dirigeants politiques et militaires de Hambourg voient dans la présence de plusieurs milliers de détenus de camp, à Neuengamme et dans la zone du centre-ville, un obstacle à leur intention de livrer la ville aux Alliés sans combat. N’oublions pas non plus que les entreprises, qui avaient exploité sans merci la main-d’œuvre des travailleurs forcés et des détenus concentrationnaires, voulaient elles aussi se débarrasser rapidement de toutes ces personnes émaciées et épuisées. En effet, elles n’auraient certainement pas donné une bonne image lors de la remise de la ville aux Alliés. Selon le chef supérieur de la SS et de la police, le Gauleiter de Hambourg, Karl Kaufmann, estime aussi que la présence des détenus des camps représente « un danger pour la sécurité de la population ».
Le 20 avril 1945 à Neuengamme se déroulent deux mouvements parallèles : d’une part l’évacuation des détenus scandinaves arrivés en mars, et d’autre part le début du transfert de 10 000 détenus, transportés par 500 dans des wagons à bestiaux jusqu’au port industriel de Lübeck pour y être chargés sur des bateaux. C’est probablement le 26 avril 1945 que le dernier convoi d’évacuation de Neuengamme arrive dans la baie de Lübeck.
Entre-temps, des détenus d’un kommando d’Auschwitz sont également arrivés dans la baie. Au total, on dénombre presque 10 000 détenus qui se retrouvent en même temps au même endroit, et on peut facilement imaginer le chaos. Dans un premier temps, 2 300 détenus sont logés sur le cargo Thielbek, d’autres sur le cargo Athen. Les détenus qui sont encore à terre, sur les quais du port de Lübeck, sont enfermés dans la cave du silo à vins en attendant de monter à bord des bateaux. Les épreuves du transport et la brutalité des gardiens SS dans cette situation chaotique causent déjà de nombreuses morts.
L’hébergement sur les navires préalablement réquisitionnés était le résultat d’une action planifiée. Lors de l’enquête judiciaire menée contre lui en 1946, le chef supérieur de la SS et de la police déclara que l’idée de l’hébergement sur les bateaux lui avait été suggérée par le Gauleiter de Hambourg, Karl Kaufmann. L’aménagement de ces bateaux en camps lui paraissant aisé, sans parler de la surveillance qui en serait facilitée, il avait adopté la proposition et chargé Max Pauly de se mettre immédiatement en rapport avec Kaufmann afin d’examiner, sur place avec ses délégués, la possibilité d’établir un camp de repli sur les navires.
Kaufmann réquisitionne alors les cargos Athen et Thielbek, ainsi que le paquebot Cap Arcona. Depuis la fin des années 20, le Cap Arcona navigue comme paquebot de luxe sur la route de l’Amérique du Sud. Mi-avril 1945, le paquebot, incapable de manœuvrer en raison d’une panne de moteur, est remorqué dans la baie. Les deux cargos Thielbek et Athen présentent également des dommages, mais sont quand même remorqués vers le port industriel de Lübeck le 19 avril 1945. Le capitaine du Cap Arcona refuse d’abord de prendre des détenus à bord. Ce n’est qu’après avoir été directement menacé par les SS qu’il se plie aux ordres.
Le 26 avril, les 2 500 premiers détenus embarquent sur le Cap Arcona. Avec par moments plus de 7 500 détenus à bord, le navire est totalement surpeuplé. Lors de l’occupation des bateaux, le principe de hiérarchisation des détenus des camps est maintenu : les prisonniers soviétiques et polonais sont logés dans les cales, tandis que les détenus français, allemands, hollandais et belges sont installés sur les ponts. Le surpeuplement, l’approvisionnement insuffisant en eau et en nourriture ainsi que le manque d’installations sanitaires, entraînent déjà des conditions catastrophiques, menant elles seules à la mort de nombreux détenus. Les corps sont alors ramenés à terre, ou simplement jetés à l’eau. Afin d’améliorer les conditions à bord, environ 2 000 détenus du Cap Arcona sont transférés sur l’Athen le 30 avril 1945, ce qui signifiera la survie pour nombre d’entre eux.
Début mai 1945, la situation dans la baie est complexe. Au-delà des navires concentrationnaires s’y trouvent plus de 130 bateaux de toutes sortes. L’attaque aérienne britannique de la Royal Air Force fait partie d’une série de raids aériens qui ont déjà eu lieu depuis le 2 mai sur les bateaux rassemblés dans la ville de Lübeck. La reconnaissance aérienne britannique avait observé la concentration croissante de troupes allemandes dans la région, et l’avait naturellement interprétée comme un mouvement de désertion depuis de la mer Baltique en direction du Danemark ou de la Norvège. Le 2 mai, les troupes britanniques entrent dans la ville de Lübeck. En début de l’après-midi du 3 mai, les navires de détenus – qui, plus précisément, se trouvent dans la baie au niveau de la ville de Neustadt – sont pris pour cibles quelques heures seulement avant l’entrée des troupes alliées dans Neustadt. Des chasseurs mènent des attaques sur les navires en trois vagues. À ce moment-là, 4 200 détenus se trouvent à bord du Cap Arcona, ainsi que 70 membres d’équipage et 400 soldats de la marine affectés à la SS. Sur le Thielbek sont entassés plus de 2 800 détenus ; sur l’Athen, resté ancré dans le port, se trouvent 2 000 détenus.
Au moment de l’attaque, les pilotes ne savent pas que les navires ont été transformés en camps de concentration flottants. Pourtant, le soir du 2 mai, après la prise de Lübeck, un officier britannique apprend d’un représentant de la Croix-Rouge suisse que des détenus de camps se trouvent sur les bateaux. Malheureusement, cette information n’est pas transmise rapidement. Cet enchaînement tragique mènera à la mort de milliers de détenus, tués par leurs libérateurs potentiels dans les dernières heures de combat dans la région.
Après avoir été touché à plusieurs reprises, le Thielbek prend feu et coule en quelques minutes. Des 2 800 détenus à bord, seule une cinquantaine parvient à se sauver. Le Cap Arcona prend feu de la poupe jusqu’à la coque centrale. Il chavire avec plus de 4 200 détenus à son bord, mais en raison du faible niveau de l’eau, il ne sombre pas complètement. Pour la plupart des détenus entassés dans les cales, il n’y a pas d’échappatoire. De nombreux détenus tentent de se sauver en se jetant à l’eau, mais meurent noyés ou de froid. L’eau n’a une température que de 7 à 8 degrés. Les membres de l’équipage et les gardiens à bord du Cap Arcona s’approprient quelques canots de sauvetage (il y en a peu, la plupart ayant été enlevés avant l’arrivée des déportés). Les actions de sauvetage organisées depuis la rive se dirigent vers les SS et les membres d’équipage à bord des canots. Les détenus qui parviennent à atteindre les canots se font frapper sur les mains jusqu’à ce qu’ils retombent à l’eau. Beaucoup de ceux qui réussissent à rejoindre la rive y sont massacrés. Par ailleurs, les avions britanniques de basse altitude mitraillent les survivants dans l’eau. Seulement 4 à 500 détenus du Cap Arcona parviennent à survivre aux bombardements. Quant au cargo Athen, resté dans le port, il n’est que légèrement touché, et tous les détenus qui s’y trouvent échappent à la mort.
Les équipes de garde quittent le bateau puis, vers 3 heures 15 dans l’après-midi, les unités de la deuxième armée britannique arrivent dans le port de Neustadt et libèrent les survivants. Nous parlons donc d’un délai très court entre la première vague d’attaques à 2 heures 30 et l’entrée des premiers chars britanniques sur la place du marché de Neustadt, seulement deux heures plus tard. Les soldats rencontrent des rescapés, qui les informent de l’événement tragique. Pourtant, il faut du temps avant que les premières opérations de sauvetage des naufragés soient lancées. Selon un rapport d’enquête britannique, un temps vital s’est écoulé : « Alors que l’attaque est encore en cours, les troupes britanniques sont entrées dans Neustadt. L’officier de liaison de la marine qui accompagnait les troupes est arrivé à 16 heures aux casernes de la marine de Neustadt et a donné l’ordre qu’aucun bateau ne quitte le port. Il ne savait pas qu’il y avait des détenus à bord des bateaux. Il lui semblait plus important d’empêcher d’éventuelles évasions de Neustadt que de respecter l’ancienne règle de venir en aide aux naufragés, qu’ils soient amis ou ennemis. Ce n’est que vers 18 heures que l’officier a été informé de la présence des détenus sur les bateaux. Des dispositions ont alors été prises pour faire partir des bateaux de sauvetage. »
C’est ainsi que les troupes britanniques sauvent encore quelques survivants sur le Cap Arcona et commencent à mettre en place les premiers soins pour les rescapés. En même temps débute l’enterrement, souvent sommaire, des innombrables morts qui gisent dans l’eau et sur la plage, ainsi que de ceux qui échouent, de nombreuses semaines, de nombreux mois, et même des années plus tard, sur les rives de la baie entière. Encore aujourd’hui, on estime à 3 000 le nombre de cadavres non retrouvés dans la mer.
La mémoire
En tant que professeur d’histoire détaché au Mémorial du camp de Sandbostel, Lars Hellwinkel nous a davantage parlé des marches de la mort dans leur dimension mémorielle.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Sandbostel était le stalag (camp pour prisonniers de guerre) pour le nord de l’Allemagne. Il pouvait accueillir aux alentours de 20 000 prisonniers et, au total, environ 300 000 personnes y furent enregistrées, dont 90 000 soldats français. À la fin de la guerre, à partir du mois d’avril 1945, il devint un lieu vers lequel les déportés de différents kommandos de Neuengamme étaient évacués. Il se transforma alors en mouroir pour plus de 10 000 déportés, dont 3 000 environ décédèrent au cours des deux mois précédant la libération par les troupes britanniques. C’est par Sandbostel que sont passées les différentes marches de la mort en direction de Lübeck.
Le site de Sandbostel compte encore de nombreux baraquements et bâtiments historiques, ce qui est rare et rend le Mémorial un peu spécial. Il dispose également d’un cimetière, où reposent encore 2 400 déportés inconnus du camp de Neuengamme. Depuis sa création il y a seulement une dizaine d’années, le Mémorial de Sandbostel réalise des recherches sur les marches de la mort et se charge d’entretenir leur mémoire dans la région. Les équipes du Mémorial se sont notamment interrogées sur l’existence de vestiges (dont des morts) liés à ces marches de la mort.
Dans certains villages de la région, on trouve des tombes de prisonniers de guerre et de déportés inconnus. Mais seule une pierre apposée il y a 20 ans par un agriculteur local, en mémoire de ce dont il avait été témoin étant jeune, évoquait spécifiquement le souvenir des marches de la mort. Le Mémorial de Sandbostel a voulu remédier à cette situation en érigeant une série de stèles sur le trajet des marches. La dernière stèle a d’ailleurs été inaugurée le 13 avril de cette année. Cela a provoqué de nombreux débats à l’échelle locale, les habitants des villages s’interrogeant sur la raison de cette démarche : ils ignoraient la tragédie qui s’était déroulée à deux pas de chez eux ! L’agriculteur qui avait posé la pierre mémorielle il y a 20 ans avait d’ailleurs confié ne pas avoir été cru lorsqu’il avait affirmé avoir vu des déportés exécutés par des gardes allemands. Pour appuyer ses dires, les équipes du Mémorial de Sandbostel ont entrepris des fouilles et deux corps, tués par balles, ont été retrouvés. Il faut également souligner que c’est à la suite de l’installation des stèles que, non seulement les habitants ont commencé à poser des questions, mais aussi que les langues se sont déliées : certaines personnes âgées ont choisi ce moment-là pour se manifester et témoigner. Des habitants avaient donc vu et savaient, mais s’étaient tus ou n’en parlaient tout simplement plus. L’une des missions du Mémorial est de faire revivre ces témoignages.
Enfin, le grand défi du Mémorial est d’éduquer les jeunes, qui bien souvent ne connaissent qu’Auschwitz et Anne Franck, alors qu’à quelques pas de chez eux se sont déroulées des tragédies dont ils ignorent tout ou presque. Pendant très longtemps, les commémorations étaient entretenues par les rescapés et leurs familles. Mais, pour clore sur une note positive, remarquons qu’on assiste à un regain d’intérêt ces dernières années, avec notamment de nombreux tours en bateau sur les lieux des naufrages. Le Mémorial de Sandbostel essaie d’impliquer au maximum les jeunes des collèges et lycées, en les faisant participer à divers projets (notons, par exemple, que ce sont des élèves d’écoles techniques locales qui ont conçu les stèles et les ont érigées avec les équipes du Mémorial), mais aussi en leur faisant rencontrer et interagir avec les rescapés et leurs descendants. Il existe une mise en réseau qui n’existait pas il y a 20 ans.
Après avoir retracé en détail les événements tragiques liés à l’évacuation du camp de Neuengamme, Christine Eckel et Lars Hellwinkel ont répondu aux nombreuses questions de l’assemblée. La tragédie de Lübeck résulte-elle d’un enchaînement de circonstances et hasards malheureux, ou peut-on envisager une stratégie perfide de la part des nazis ? Quelle fut la réaction britannique en termes de communication, auprès des autres nations alliées ainsi que dans la presse, à la suite de la tragédie ? Pour prendre connaissance de toutes les questions posées et approfondir le sujet, nous vous invitons à visionner l’enregistrement de la conférence. Un lien vous sera prochainement communiqué pour accéder à la vidéo.
Alicia GENIN