Colloque sur le thème : « L’avenir de nos associations »
Le 20 novembre dernier avait lieu le rassemblement de l’Union des associations de mémoire des camps nazis (Amicales de Buchenwald-Dora, Dachau, Mauthausen, Neuengamme, Sachsenhausen-Oranienburg et Ravensbrück), que nous appelons informellement « Interamicale ». Organisée tous les deux ans, cette rencontre a débuté comme à l’accoutumée, par un parcours commémoratif au cimetière du Père-Lachaise, où les monuments des camps représentés ont été fleuris. Nous nous sommes ensuite dirigés vers la Mairie du XXe. Après avoir déposé une gerbe au pied du Monument aux Morts et entonné la Marseillaise, nous nous sommes rendus à la salle des fêtes, où a débuté notre colloque.
Comme nous vous l’annoncions dans notre invitation à ce rassemblement, l’idée était ici de proposer une réflexion collective, où chaque membre de l’assemblée serait libre de partager sur le thème de cette année : l’avenir de nos associations. Cette problématique obsédante est évidemment régulièrement et largement abordée entre nous, mais il s’agissait cette fois d’ouvrir le débat à tous.
Il était au préalable nécessaire de réaliser un tour d’horizon des forces et faiblesses de nos Amicales, exercice auquel Daniel Simon (Amicale de Mauthausen) s’est livré avec son éloquence habituelle et dont nous reprenons ci-dessous les grandes lignes :
Il y a environ 10 ou 20 ans, les déportés commençaient à passer la main à leurs enfants, qui constituent aujourd’hui le fer de lance de nos associations. Depuis lors, les secondes générations peuvent se féliciter sur un point : aucune dérive n’a été constatée, aucune insignifiance non plus. La fidélité est plus que tangible, car nos Amicales continuent à recevoir des dons importants, à bénéficier de la disponibilité de bénévoles et à répondre à de nombreuses sollicitations. En revanche, nous ne pouvons que nous inquiéter du lent déclin du nombre de nos adhérents. Nous devons dès lors nous interroger : ce déclin est-il le résultat d’une fatalité inéluctable, ou reflète-t-il un effort insuffisant de renouvellement de nos pratiques et de nos modes de fonctionnement ?
Crise sanitaire mise à part, nos Amicales sont aujourd’hui plus que jamais présentes sur les sites des anciens camps, qui sont un vecteur essentiel de la transmission de la connaissance de la réalité concentrationnaire – connaissance que nous complétons en nous nourrissant des nombreux témoignages de déportés et ouvrages historiques disponibles. Plus que cela, les sites sont aussi des lieux de rencontre et de partage avec les mémoriaux, les autorités et les associations locales. C’est une dimension qui ne s’amenuise pas, bien au contraire : elle est même en pleine construction. Nous tenons toute notre place dans les dispositifs de valorisation, et nos contributions sont attendues. Les commémorations sur les sites sont des rendez-vous qui rassemblent un large public et qui transcendent de nombreux clivages. Les sites sont donc bien vivants.
Nous sommes en revanche conscients de deux périls internes et de deux périls externes qui pourraient sceller le déclin de nos associations. Du côté interne, nous nous accordons sur le fait qu’un familialisme fermé condamnerait nos Amicales. La question maintenant est de savoir si nous sommes capables de dépasser cette « modalité affective » de la mémoire des camps. Nous convergeons également sur un autre point : la menace que représente une confiance excessive dans les rituels (gerbes, minutes de silence, chants, etc.). Si nous demeurons et souhaitons demeurer attachés à ces symboles, nous devons également nous interroger : la mémoire individualisée des morts constitue-t-elle l’essentiel de notre quête ?
En ce qui concerne les « périls externes », nous avons tout d’abord identifié l’invisibilisation en cours des camps nazis dans le champ social. En effet, nombreuses aujourd’hui sont les causes humanistes qui, légitimement, appellent à des engagements mais qui, malheureusement, repoussent dans une temporalité trop lointaine le souvenir des camps. Ces deux dimensions peuvent pourtant cohabiter en nous. Par ailleurs, le génocide perpétré par les nazis fut tel qu’aujourd’hui, il met à l’arrière-plan le système concentrationnaire, y compris dans le stade ultime de ce dernier, lorsque les déportés arrivant par masses étaient tous promis à la mort au camp. Face à la mémoire de la Shoah, sommes-nous capables de porter solidement la mémoire des camps de concentration ? Enfin, il ne faut pas négliger un dernier péril externe : celui que représente la crise du modèle associatif. À l’heure actuelle, les jeunes préfèrent défendre une cause plutôt que de s’engager au sein d’une association, le bénévolat se faisant plus « discret », et la tendance est plutôt d’organiser des événements ponctuels et inattendus.
Pourtant, parmi nos activités, certains éléments sont indiscutablement transgénérationnels. Les leçons que nous ont transmises les déportés sont profondément humanistes et véhiculent des messages à vocation universelle. Face à la résurgence des racismes et la montée de l’extrême droite au sein de nos sociétés européennes, ces messages sont plus que jamais porteurs de sens. Nous sommes des militants antinazis, antifascistes, antitotalitaires, mais nous devons refonder en permanence nos positionnements sur la catastrophe, jusqu’à présent sans égal, que furent les camps de concentration nazis. Au-delà de notre bonne conscience individuelle, pouvons-nous mettre en œuvre une capacité collective de résistance ? Et qui est légitime à parler et peut aujourd’hui être entendu ? Comment redonner place à la pensée argumentée à l’époque des réseaux sociaux, où l’opinion est délivrée de manière pulsionnelle et instantanée ? Nous sommes porteurs de convictions, et même de certitudes, alors comment pouvons-nous les vivifier en actes ?
Il est évident que la tâche ne sera pas aisée, mais comme le conclut si bien Daniel Simon avant de laisser la parole à l’assemblée, « si nous pensions que la partie est perdue, nous ne serions pas réunis dans cette salle. »
Après cette introduction de Daniel Simon, ce fut au tour d’Olivier Lalieu (Amicale de Buchenwald-Dora) de prendre le micro afin de distribuer la parole aux membres du public, qui étaient très nombreux à vouloir se faire entendre. Certains se sont montrés pessimistes quant à notre avenir et au passage de relais aux troisièmes générations, notamment en évoquant le désintérêt croissant de l’Éducation nationale et des élèves pour l’histoire des camps ; d’autres au contraire ont relaté des actions concrètes menées avec succès auprès des jeunes, pour qui l’éloignement temporel avec la Seconde Guerre mondial n’est pas un obstacle dès lors qu’on leur démontre la pertinence avec le présent.
Arrivés au terme de notre colloque, les mains étaient encore nombreuses à se lever pour solliciter la parole. Mais il était temps de conclure. Bien que satisfait de l’enthousiasme de l’assemblée, Daniel Simon a néanmoins déploré le fait que les diverses interventions se trouvaient pour la plupart « en amont de son préambule » et que les questions qu’il avait posées n’avaient pas véritablement été abordées. Mais il s’agissait ici d’un premier colloque sur le thème qui nous préoccupe et, selon lui, il était probablement nécessaire d’évoquer des situations personnelles pour finalement nous diriger, lors de prochains colloques, vers le champ du traumatisme philosophique et culturel que furent les camps de concentration dans nos sociétés, et au niveau duquel doit se situer notre champ d’actions. Persuadé que la tragédie portée par nos Amicales est sans équivalent, il s’est dit convaincu que les drames suivants n’invisibilisent pas un tel traumatisme. Pour véritablement aborder les questions qui nous préoccupent, il sera donc nécessaire de proposer de nouveaux colloques sur le thème, et probablement de les structurer davantage.
Alicia GENIN