Commémoration du 77e anniversaire de la libération au Mémorial de Dachau

Après une pause de deux ans due à la pandémie, le 77e anniversaire de la libération du camp de concentration de Dachau a de nouveau été célébré en présentiel ce dimanche 1er mai 2022. Au cours de la cérémonie, presque tous les orateurs ont fait référence à la guerre en Ukraine. Les quelque 250 visiteurs présents sur l’ancienne place d’appel du camp de concentration de Dachau étaient d’ailleurs nombreux à attendre le discours de Borys Zabarko, car ce survivant de la Shoah vient d’Ukraine. Trois semaines plus tôt, l’homme de 86 ans avait fui Kiev avec sa petite-fille de 17 ans, Ilona, et dans les trains bondés, avait été infecté par le corona virus. À peine rétabli pour cette journée commémorative, Borys Zabarko s’est dirigé vers la tribune des orateurs, empruntant au passage le drapeau ukrainien jusque-là porté par un étudiant. Notons que ce dimanche 1er mai, des étudiants portaient les drapeaux des 40 pays d’origine des quelque 200 000 personnes déportées vers Dachau et ses camps satellites. Seuls manquaient les drapeaux de la Russie et de la Biélorussie, les diplomates et consuls des deux pays ayant été écartés de la cérémonie. Borys Zabarko a expliqué : « Je me tiens ici en tant que représentant des Juifs. 1,5 million de Juifs ont été victimes du national-socialisme en Ukraine. Je viens de Kiev, la ville où en seulement deux jours 33 770 Juifs ont été abattus lors du massacre de Babi Yar. Nous, les survivants, n’aurions jamais pensé qu’il y aurait une autre guerre en Europe. »

Au cours de son allocution, le général Jean-Michel Thomas, président du Comité international de Dachau (CID), a rappelé que l’ancien camp de concentration de Dachau était un lieu de recueillement et de mémoire, et non une tribune pour des prises de position politiques, mais qu’il était impossible pour les intervenants aujourd’hui de ne pas exprimer leur indignation face à l’agression contre l’Ukraine. En effet, il a soutenu que le discours du Kremlin sur la « dénazification de l’Ukraine », argument utilisé pour justifier la guerre, était « une falsification inadmissible de l’histoire, une insulte insupportable à toutes les victimes du nazisme et du système concentrationnaire, dont le camp de Dachau fut le modèle ». Lors de sa prise de parole, Karl Freller, 1er vice-président du Parlement bavarois et directeur de la Fondation des Mémoriaux Bavarois, a quant à lui souligné à quel point il était surréaliste « que l’Armée rouge ait libéré de nombreux camps de concentration et que maintenant l’armée qui lui a succédé tire des roquettes sur les survivants des camps de concentration en Ukraine ». Le ministre bavarois de la Culture, Michael Piazolo, a lui aussi appelé à cesser la guerre en Ukraine, et la directrice du Mémorial, Gabriele Hammermann, a souligné que le nationalisme autoritaire avait de nouveau conduit à une guerre d’agression avec des crimes contre la population civile, ce qui contredit complètement les leçons tirées de l’histoire violente du XXe siècle.

« C’est une tragédie absolue. Les descendants de ceux qui nous ont libérés nous tirent maintenant dessus », a repris Borys Zabarko, qui aurait de loin préféré être chez lui, à Kiev, ce jour-là. « Je ne voulais pas partir, mais ma fille m’a persuadé d’emmener ma petite-fille Ilona, qui souffrait de cauchemars à cause des tirs de roquettes. » Tout est ensuite allé très vite : une demi-heure seulement pour emballer le strict nécessaire. Le manuscrit de son dernier livre est resté dans son appartement. « J’écris sur la dernière génération de survivants », a expliqué Borys Zabarko, qui est l’historien de la Shoah en Ukraine. En 2019, son ouvrage phare La vie et la mort à l’ère de l’Holocauste en Ukraine. Témoignages de survivants. a été publié en allemand.

Aujourd’hui, Borys Zabarko, président de l’association ukrainienne des anciens détenus juifs des ghettos et des camps de concentration nazis, séjourne à Stuttgart et organise des transports d’aide pour les survivants en Ukraine. Selon le dernier recensement de 2001, environ 103 000 Juifs vivent encore dans son pays. Mais personne ne le sait avec certitude car, comme l’a expliqué Borys Zabarko, beaucoup ne s’identifient pas comme juifs et beaucoup ont émigré depuis. Dans les trains bondés, Borys Zabarko n’avait pas trouvé de siège et s’était posté debout près d’une fenêtre dans l’allée. « Puis j’ai pensé aux trains de déportation avec des Juifs. Comment c’était pour ces personnes, dans des wagons à bestiaux surpeuplés, sans air ni eau. À l’époque, les gens passaient de la vie normale à la mort. Nous passons aujourd’hui de la mort à la vie normale. » Borys Zabarko a survécu au ghetto de Sharhorod à l’âge de cinq ans. Son père est mort en tant que soldat de l’Armée rouge au front, il ne sait pas exactement où, et son oncle a libéré Budapest avec son unité et a brûlé vif dans son char dans les derniers jours de la guerre.

Borys Zabarko a également parlé de l’antisémitisme et du racisme en Europe. Il prévient. Les autres survivants, accueillis par la directrice du Mémorial de Dachau, en ont fait de même : Jean Lafaurie, qui a combattu dans la Résistance et a été déporté à Allach en juin 1944, et qui est aujourd’hui président de l’Amicale d’Eysses ; Mario Candotto, résistant qui venait d’avoir 18 ans le 24 mars 1944, quand il fut contraint au travail forcé pour la firme BMW ; et Erich Finsches, le Juif viennois, dont les parents ont été assassinés pendant la Shoah et qui a survécu au camp annexe de Kaufering. Gabriele Hammermann a rappelé l’humiliation et la violence que ces hommes et des milliers d’autres ont subies à Dachau. Jean Lafaurie a mis en garde : la voix du racisme, de l’antisémitisme et de la haine noie déjà la voix des survivants. « La méconnaissance de notre histoire nous choque, et encore plus les tentatives de réécriture de l’histoire. » Le vice-président du CID, Abba Naor, a parlé devant l’ancien crématorium de sa mère et de son frère de cinq ans, qui ont été déportés du camp de concentration de Stutthof vers le camp de la mort d’Auschwitz-Birkenau. « Chaque jour, je pense à ma mère, encore aujourd’hui à 94 ans je lui demande conseil pour chaque décision importante que je dois prendre. » Le maire de Dachau, Florian Hartmann, a quant à lui déclaré qu’il faut développer une attitude et prendre des mesures décisives contre tous les propos et actes antisémites, en politique comme dans la vie quotidienne.

Traduction libre d’un article d’Helmut Zeller
(https://www.sueddeutsche.de/muenchen/dachau/dachau-gedenken-im-schatten-des-krieges-1.5576419)

Discours de Jean-Michel Thomas, président du CID

Mesdames et Messieurs,

Pour le CID, le Comité international de Dachau, créé dans un but d’unité et de paix lors de la libération du camp il y a 77 ans, cette place d’appel de l’ancien camp de concentration est un lieu de recueillement et de mémoire. Pas de tribune pour des prises de position politiques. Il est cependant impossible de ne pas réagir et de ne pas exprimer notre douloureuse compassion et notre stupeur face à l’agression contre l’Ukraine et aux violations du droit international.

Il ne m’appartient pas d’élucider les causes nombreuses et complexes de cette guerre. Mais lorsqu’elle est qualifiée de simple « opération militaire » et que sa justification consiste en la « dénazification » d’une partie de l’Europe, il est de notre devoir d’exprimer notre profonde indignation, précisément depuis cette place. Car l’utilisation du mot « dénazification » est une falsification inadmissible et une insulte insupportable à toutes les victimes du nazisme et du système concentrationnaire dont le camp de Dachau était le modèle.

Les survivants qui sont présents aujourd’hui sont là pour témoigner. Et la réalité est qu’en plus des prisonniers de guerre soviétiques, dont plus de 4000 ont été assassinés à Hebertshausen, des détenus d’origine ukrainienne ont également été enregistrés au camp de concentration de Dachau avec les Russes. Selon les estimations des archives du mémorial du camp de concentration, sur les 25 400 personnes détenues en tant que citoyens soviétiques, au moins 65 % étaient des habitants de la République soviétique d’Ukraine. Ils étaient tous marqués du même R sur leurs vêtements rayés. Souvenons-nous de cette souffrance commune, de ce martyre commun et de la lutte commune contre le nazisme jusqu’à son extermination.

L’appel au « plus jamais ça » et à la fin des guerres était une aspiration profonde, criée par les survivants des camps de concentration à leur libération. Malgré des progrès incomplets, comme on peut le constater, cet objectif reste toujours d’actualité et incontournable pour le monde entier. Les tristes événements que nous vivons rappellent à certains que la paix est un équilibre précaire, instable, qui ne s’obtient pas une fois pour toutes, mais qui doit être recherché sans relâche.

Comment pouvons-nous, modestement, y contribuer ? Tout d’abord en recherchant la vérité et l’objectivité. En évitant par exemple de rejeter les opinions divergentes par des instrumentalisations et des simplifications hâtives. La « reductio ad hitlerum », qui consiste à disqualifier les arguments d’un adversaire en les associant systématiquement à Adolf Hitler, est courante, mais indigne. Le national-socialisme ne doit pas être minimisé. Cela implique également de mettre un terme à l’utilisation inconsidérée du terme « fascisme » tout en appelant par son nom tout totalitarisme.

Mais il y a surtout une tâche qui nous concerne tous et à laquelle nous pouvons tous participer. C’est la mission initiée par le Comité international de Dachau, désormais portée par le Mémorial de Dachau et de nombreuses associations et communautés. C’est un devoir d’informer, d’enseigner, d’expliquer et de faire comprendre inlassablement notre histoire commune, avec ses nombreux aspects ethniques, religieux, nationaux, économiques et linguistiques. Ce travail de transmission est une tâche essentielle, une étape indispensable qui doit être poursuivie auprès de tous, jeunes comme visiteurs du monde entier, pour aider à construire la paix.

Pour cette tâche, les efforts et les démarches de la Fondation des mémoriaux bavarois et du gouvernement bavarois pour le réaménagement du mémorial du camp de concentration de Dachau sont encourageants et prometteurs. Merci pour ces décisions qui montrent la voie, nous ne devons pas nous relâcher.