Munich, 29 avril 2023
Dans la matinée du samedi 29 avril, les membres de l’Amicale française de Dachau ont visité le Centre de documentation sur l’histoire du national-socialisme (NS-Dokumentationszentrum München) en compagnie de deux guides francophones.
Ouvert au public en avril 2015, à l’occasion du 70e anniversaire de la libération de Munich, ce fabuleux musée fournit des explications détaillées sur la création et l’accession au pouvoir du régime nazi, ainsi que sur ses suites et sur les orientations futures de la société. C’est donc un lieu d’enseignement historique, mais aussi de questionnement politique résolument tourné vers le futur.
Le musée est implanté à un endroit particulièrement symbolique. Tout d’abord, parce que c’est à Munich que fut fondé le parti national-socialiste, et que cette ville en resta le siège jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Plus précisément encore, parce que le musée se situe à l’emplacement même où se trouvait la « maison brune », le quartier général du parti nazi, presque entièrement détruit par les bombardements alliés. Ses ruines avaient finalement été enlevées en 1947, laissant le terrain vacant jusqu’en 2011, année à laquelle le chantier du musée débuta.
À l’intérieur, ce sont quatre étages d’apprentissage historique, dont un étage dédié aux expositions temporaires et trois étages réservés à l’exposition permanente. C’est cette dernière que nos guides nous ont fait parcourir pendant presque deux heures. Deux heures denses en informations, et qui pourtant auront laissé un goût de trop peu à une grande partie d’entre nous, tant nos conférencières, passionnantes, avaient à dire sur le sujet !
Composée de panneaux illustrés grands formats, mais aussi de nombreuses ressources multimédias pour une étude plus approfondie des thématiques et éléments abordés sur les panneaux, il est vrai que l’exposition permanente mériterait presque une journée complète de visite. Mais pour nous, nouveaux visiteurs, ce fut une première approche déjà très enrichissante.
Avec pour support ces grands panneaux dévoilant des photos et des documents d’époque, nos guides nous ont entraînés dans un parcours chronologique, couvrant dans un premier temps la période 1918-1933 afin de nous présenter le contexte social et politique particulier qui permit au parti nazi, dans un premier temps marginal, de devenir un parti de masse.
C’est ainsi que nous remontons à la fin de la Première Guerre mondiale et à la naissance de la république de Weimar, qui succède au IIe Reich dans un climat politique et économique extrêmement troublé. Une partie de la population et certains politiques s’indignent alors de la signature du traité de Versailles, qu’ils jugent humiliante. Désarmée et contrainte à payer de lourdes indemnités aux nations alliées, l’Allemagne souffre sur le plan économique et social, et les conséquences ne se font pas attendre : les communistes tentent une révolution en 1919, puis l’extrême droite un coup d’état en 1920.
Dans ce contexte, un certain Adolf Hitler, vétéran de la Première Guerre mondiale mais parfait inconnu, apparaît sur la scène politique. En 1919, il entre au parti ouvrier allemand (DAP), où il se fait très rapidement remarquer pour ses talents d’orateur. C’est également un excellent organisateur, et il multiplie les meetings de ce petit groupuscule qui, en quelques mois, devient sous son impulsion un véritable parti politique doté d’un programme.
Rebaptisé « Parti national-socialiste des travailleurs allemands » (NSDAP) le 24 février 1920, celui que nous appelons plus communément « parti nazi » est né. Et tout en s’adressant aux citoyens allemands issus de toutes classes, il affiche clairement ses intentions : ouvertement racistes, antisémites, antidémocratiques, antimarxistes, belliqueux et revanchards, ses membres rêvent de rendre à l’Allemagne sa grandeur. Et cela passe nécessairement par l’abrogation du traité de Versailles.
Encouragé et soutenu par les cercles nationalistes et antisémites de Munich, le parti nazi affiche un programme apte à séduire un peuple allemand dérouté par la défaite et accablé par les sanctions économiques. Mais, à ses débuts, ce mouvement réactionnaire et marginal s’oppose encore à un Munich libéral et démocratique.
Mais les années passent et le parti prospère. Hitler évince ses dirigeants et se rapproche des hautes sphères munichoises…
À l’automne 1923, la Bavière est au bord de la rupture avec Berlin. Les 8 et 9 novembre, Hitler profite du climat politique tendu pour tenter de s’emparer du pouvoir avec l’aide des SA (organisation paramilitaire du parti nazi). Sans succès. Son putsch manqué le conduit tout droit en prison, où il écrira Mein Kampf, mais lui permet aussi d’acquérir une certaine notoriété. Par ailleurs, cet événement est clé dans l’histoire du national-socialisme, dans la mesure où il permet à Hitler de prendre conscience qu’il ne parviendra à instaurer le nazisme en Allemagne que par voie légale.
En décembre 1924, Hitler sort de prison et retrouve un parti nazi très affaibli qui, jusqu’en 1929, n’obtiendra qu’un très faible pourcentage des suffrages lors des élections. Mais, au cours de ces années, Hitler travaille d’arrache-pied au sein de son parti, qu’il structure et hiérarchise. C’est aussi à cette époque que, sentant le contrôle des SA lui échapper, il se crée sa propre garde personnelle : les SS.
En 1929 survient la crise économique mondiale. L’Allemagne est touchée de plein fouet, et la population allemande insatisfaite se tourne plus volontiers vers les extrêmes. Le parti nazi compte de plus en plus d’adeptes.
En 1932, le chômage atteint 25 % de la population active allemande, et l’État ne peut même plus indemniser les chômeurs. Le mécontentement grandit, et le peuple se cherche un sauveur. Pour Hitler, qui promet monts et merveilles aux Allemands (du moins aux Allemands de race aryenne), c’est une chance inespérée d’accéder légalement au pouvoir. En juillet 1932, il obtient la majorité des voix au Parlement et, en janvier 1933, il est nommé chancelier, ce qui lui permet d’instaurer légalement le nazisme en Allemagne.
Voilà, dans les grandes lignes, les circonstances qui ont permis à un parti ouvertement raciste d’accéder au pouvoir. Mais il reste encore à comprendre comment les nazis sont parvenus à asseoir leur autorité. Nos guides nous ont alors fait découvrir une seconde tranche de l’histoire, celle qui s’étale de 1933 à 1939, juste avant le début de la Seconde Guerre mondiale.
La seconde partie de l’exposition retrace donc la destruction de la démocratie et l’instauration d’une dictature de la terreur.
Devenu chancelier, Hitler s’emploie à anéantir toute forme d’opposition. Et les choses vont vite. En février 1933, alors qu’il est chancelier depuis un mois à peine, Hitler interdit les partis socialistes, communistes et démocrates. La raison, ou plutôt le prétexte ? L’incendie du Reichstag, le siège du Parlement allemand à Berlin, dans la nuit du 27 au 28 février 1933. Les nazis attribuent cet acte criminel à un complot communiste et s’ensuit une campagne de répression contre les opposants de gauche. Encore aujourd’hui, le mystère demeure quant aux motivations des criminels. S’agissait-il d’un acte criminel qui fut exploité par les nazis à des fins politiques ? Certains vont même jusqu’à soutenir que ce fut une opération commanditée par les nazis pour justifier un durcissement du régime…
Le 22 mars 1933, le régime nazi amène les premiers prisonniers, des opposants politiques, au camp de concentration nouvellement créé à Dachau.
En juillet, le parti nazi est désormais le seul légal. Le 30 juin 1934, c’est la Nuit des longs couteaux, pendant laquelle Hitler se débarrasse des SA avec l’aide de sa garde personnelle, les SS. En effet, depuis son accession au pouvoir, Hitler doit faire face à des tensions qui opposent la SA aux partis conservateurs et à l’armée de la République de Weimar. Or, Hitler a pour ambition de succéder au président Hindenburg, et il a pour cela besoin du soutien des partis conservateurs et de l’armée…
Et, justement, en août 1934, Hindenburg meurt, laissant le champ libre à Hitler pour cumuler les fonctions de chancelier et de président. Le nazisme est dès lors pleinement ancré en Allemagne.
Au fil des années, l’idéologie nazie s’étend à tous les domaines de la vie, y compris l’art et la culture. La diversité culturelle du modernisme, considérée comme « dégénérée », est interdite. L’exclusion de ceux qui ne correspondent pas à l’idéologie raciale nazie, et en particulier les Juifs, se transforme en persécution. Certains citoyens allemands décident de se joindre à l’action. Les autres détournent simplement le regard. Il existait pourtant bel et bien une opposition au régime nazi (dans l’Église par exemple), mais très peu de gens osaient traduire leurs pensées en actes, tant il était avéré que les nazis punissaient sévèrement leurs opposants.
Le 10 novembre 1938 se dessinent déjà les prémices de la Shoah : c’est la Nuit de cristal, un pogrom contre les Juifs ordonné par Hitler et perpétré par ses sbires, mais officiellement présenté par les dirigeants nazis comme une réaction spontanée de la population à la suite de l’attentat commis par un jeune Juif contre un secrétaire de l’ambassade allemande à Paris. Au cours de cette Nuit de cristal, des centaines de lieux de culte juifs sont détruits, des milliers de commerces et entreprises tenus par des Juifs sont saccagés, des centaines de Juifs sont assassinés ou meurent de leurs blessures, et des dizaines de milliers sont par la suite déportés en camp de concentration. Une manière, pour les nazis, de donner un coup d’accélérateur à l’émigration juive, qu’ils jugent trop lente.
En Allemagne, la violence ne cesse donc de s’intensifier, et les Juifs ne sont pas les seules victimes : les Sinti, les Roms, mais aussi les personnes handicapées et les malades mentaux, font les frais de ce que l’on qualifie aujourd’hui de véritable programme d’euthanasie.
Parallèlement à ces événements, Hitler a enclenché le réarmement de l’Allemagne dès son accession au pouvoir, dénonçant officiellement le traité de Versailles et se préparant ouvertement à la guerre. La France et le Royaume-Uni, pourtant, ne réagissent pas, espérant peut-être éviter un nouveau conflit armé en se montrant conciliants. Par ailleurs, l’armée allemande ne leur semble pas en mesure d’inquiéter les leurs, ce qui favorise une certaine inaction.
En novembre 1937, Hitler fait part de ses ambitions expansionnistes à son état-major. Selon lui, il est impératif de conquérir rapidement de nouveaux territoires afin d’éviter une famine en Allemagne, où les réserves manquent. Et le 12 mars 1938, la conquête est lancée avec l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie.
S’ensuit l’annexion des Sudètes, une région de Tchécoslovaquie majoritairement peuplée d’Allemands. Dans un premier temps, la France et le Royaume-Uni mobilisent leurs troupes pour soutenir la Tchécoslovaquie. Mais finalement, le 30 septembre 1938, dans l’espoir vain d’éviter une nouvelle guerre, la France et le Royaume-Uni signent les accords de Munich, entérinant l’annexion des Sudètes. Un événement qui marque définitivement la capitulation des démocraties face aux agressions d’Hitler.
Le 15 mars, Hitler annexe le reste de la Tchécoslovaquie, en dépit de ce qui avait été convenu lors des accords de Munich.
Le 23 août 1939, Hitler – qui s’était déjà allié à l’Italie de Mussolini en 1936 (formation de l’Axe Rome-Berlin) – signe le pacte germano-soviétique avec Staline. Cette alliance, qui laisse sous le choc les démocraties, peut sembler contre-nature tant leurs idéologies s’opposent. Et pourtant, chacun cherche à servir ses intérêts personnels et, dans cette optique, l’alliance fait sens. D’un côté, Staline ne se sent pas prêt à affronter l’Allemagne, qui se prépare manifestement à la guerre. Dans un même temps, il est conscient que le fossé ne cesse de se creuser entre la dictature communiste et les démocraties. Or, ces dernières commencent à montrer leurs faiblesses, et une alliance avec le dictateur nazi lui semble plus judicieuse. De son côté, Hitler sait que son armée n’est pas (encore) en mesure de se battre sur deux fronts, et il doit s’assurer la paix, du moins temporairement, du côté est.
Nos guides nous ont ensuite fait découvrir la troisième partie de l’exposition, celle qui nous entraîne en plein cœur de la Seconde Guerre mondiale, depuis le déclenchement de la guerre jusqu’à l’effondrement du régime nazi. Conscientes de nos connaissances plus approfondies sur cette partie de l’Histoire, mais aussi faute de temps, nos guides ont choisi de nous faire parcourir cette section plus rapidement. Nous nous contenterons donc nous aussi d’une plus brève description.
Ici, l’exposition présente d’une part les crimes perpétrés par les soldats et policiers munichois, et d’autre part la vie quotidienne dans la ville en temps de guerre, et en particulier pour les personnes persécutées. À Munich, il est impossible pour la population de ne pas remarquer les personnes déportées, qui arrivent en masse des territoires occupés pour effectuer des travaux forcés, notamment dans l’industrie de l’armement.
Et pourtant, les actes de résistance ne sont pas communs, car le régime nazi intensifie sa politique de persécution à mesure que la guerre avance, et tous ceux qui s’opposent à lui s’exposent à des conséquences dramatiques. Ceci fut particulièrement vrai dans la phase finale de la guerre, durant laquelle le régime nazi poussa la violence à son paroxysme. Ainsi, de nombreux résistants payèrent leur courage de leur vie. Ce fut notamment le cas des membres du groupe de résistants allemands La Rose blanche, qui furent condamnés à mort et exécutés.
Le 30 avril 1945, l’armée américaine entre dans Munich, marquant la fin du régime nazi.
Enfin, il est très intéressant de constater que le Centre de documentation sur l’histoire du national-socialisme a dédié une section importante de son exposition à la période de l’après-guerre, alors même que le régime nazi s’était écroulé.
Au-delà de la dénazification et de la reconstruction de l’Allemagne après sa défaite, la dernière partie de l’exposition aborde la manière dont le pays s’est confronté aux crimes qu’il avait perpétrés. À l’aide d’exemples, le Centre nous montre à quel point cette confrontation, lente, hésitante et souvent maladroite, fut compliquée pour Munich et ses habitants.
Si, d’un côté, Munich est parvenue à se redémocratiser à l’issue de la guerre, il faut noter que nombreux furent ceux qui nièrent toute responsabilité personnelle, voire qui se refusèrent à éprouver un quelconque sentiment de culpabilité. Lorsqu’ils étaient jugés, les coupables n’étaient condamnés qu’à une peine légère, du moins dans la plupart des cas.
Pendant longtemps après la guerre, les attitudes des Allemands à l’égard de leur passé nazi ont oscillé entre honte, remise en question, mais aussi déni, voire continuité. Et bien que l’extrémisme de droite et l’antisémitisme soient sévèrement condamnés par l’opinion publique depuis 1945, l’intolérance et les discriminations persistent au sein de la société, donnant parfois lieu à des actes de terrorisme (attentat lors de l’Oktoberfest de Munich en 1980, meurtres commis par le groupe néonazi Nationalsozialistischer Untergrund au début des années 2000…).
Ces attitudes fluctuantes s’illustrent également dans l’architecture munichoise et dans la manière dont furent traités les symboles du national-socialisme depuis la fin de la guerre. Il y eut beaucoup de débats concernant les volontés de destruction ou de conservation des édifices nazis, les opinions voulant d’une part les transformer en lieux dédiés au souvenir et à la mémoire des victimes, et souhaitant d’autre part faire table rase du passé et éviter les rassemblements néonazis sur ces lieux.
Dans un premier temps, la tendance fut plutôt à l’abandon ou à la destruction des bâtiments nazis, témoignant d’une volonté d’oublier ou de nier le passé. Ce n’est que dans les années 1980 que les citoyens de Munich ont commencé à militer en faveur d’une culture du souvenir. Ouvert en 2015, le Centre de documentation sur l’histoire du national-socialisme en est l’un des aboutissements.
Enfin, avant de nous quitter, notre guide nous a alertés quant au retour des extrêmes sur le devant de la scène politique allemande. Le parti Alternative pour l’Allemagne (AFD) rencontre un succès croissant, l’extrême droite atteignant l’un de ses plus hauts niveaux de popularité depuis l’après-guerre. Dans un contexte d’inflation, de récession et d’inquiétude liée à la guerre en Ukraine, la coalition actuellement au pouvoir est bien loin de faire l’unanimité auprès de la population allemande, ce qui profite directement à l’AFD.
Une situation que l’on retrouve dans de nombreux pays d’Europe, et qui doit évidemment nous inciter à redoubler de vigilance.
Alicia GENIN