Pèlerinage 2023 à Dachau

Vendredi 28 avril

Notre pèlerinage à Dachau a débuté le vendredi 28 avril en fin d’après-midi, avec une commémoration et un dépôt de gerbe au cimetière d’honneur du camp de concentration de Dachau, au Leitenberg.

Entre février et avril 1945, la colline du Leitenberg, située non loin du camp de Dachau, avait été le théâtre d’un sinistre spectacle : celui de détenus de Dachau contraints par les SS à creuser huit fosses communes pour y ensevelir les cadavres de plus de 4 000 de leurs camarades. En effet, vers le mois de février 1945, en raison de la pénurie de charbon, les fours crématoires du camp avaient cessé de fonctionner, forçant les nazis à trouver une alternative pour se débarrasser des corps de leurs victimes.

Après la libération, les Américains avaient ordonné la construction de deux autres fosses communes pour y enterrer deux milliers de morts supplémentaires… Le lugubre travail étant cette fois confié à des nazis et des paysans de Dachau. Ce n’est qu’en 1949 que le site fut réaménagé afin de fournir un lieu de sépulture digne des victimes, donnant naissance au cimetière d’honneur que nous connaissons aujourd’hui.

Au fil des ans, les services de recherche procédèrent à des exhumations et rapatrièrent les morts identifiés, les autres restant au Leitenberg, mais cette fois inhumés dans des tombes individuelles. Aujourd’hui, plus de 7 400 victimes du régime nazi sont enterrées sur la colline du Leitenberg.

Le Leitenberg est donc un lieu du souvenir important pour les descendants de déportés. Tous les ans, le Comité International de Dachau y tient une cérémonie, durant laquelle ses membres fleurissent la grande croix chrétienne érigée au sommet de la colline. L’Amicale française était présente au rendez-vous pour honorer la mémoire des déportés qui y furent enterrés.

Cette année, Dominique Boueilh, nouveau président du CID, avait choisi d’y faire lire le « serment de Dachau », prononcé pour la première fois par les anciens de Dachau à cet endroit même, le 29 mai 1955, à l’occasion du 10e anniversaire de la libération du camp :

« Dix ans après la libération, réunis à Dachau, au lieu même où des centaines de milliers de concentrationnaires de tous pays connurent la souffrance et mêlèrent leur sang, unissant dans notre pensée leur martyr à celui de tous ceux qui tombèrent en défendant leur patrie contre l’oppression,

Nous jurons de garder vivant le souvenir des victimes de la barbarie nazie

Nous jurons de lutter pour empêcher le retour des camps de la mort et l’emploi de tout autre moyen d’extermination massive,

Nous jurons de nous opposer à ce que les bourreaux, leurs chefs et leurs maîtres retrouvent des armes pour attaquer et asservir les peuples,

Nous jurons, pour rester fidèles à l’union et à la camaraderie nées dans la souffrance et dans le combat, de nous consacrer au rapprochement des peuples dans la paix en vue d’assurer leur sécurité, leur indépendance et leur liberté. »

Après le Leitenberg, nous nous sommes rendus au cimetière de Waldfriedhof, situé à quelques minutes à peine.

Dans ce cimetière se trouve un carré funéraire aménagé pour 1 312 victimes du camp de concentration de Dachau, décédées des suites de leur déportation au cours des mois qui suivirent leur libération par les Américains. À la fin des années 50, les corps de certains déportés furent rapatriés dans leur pays d’origine, et les tombes laissées vacantes furent utilisées comme lieux de sépulture pour des victimes des « marches de la mort », initialement enterrées dans des cimetières qui jalonnaient leur trajet.

Le cimetière de Waldfriedhof fait lui aussi l’objet d’une cérémonie annuelle avec dépôt de gerbe, qui clôturait cette année la première journée de notre pèlerinage.

Samedi 29 avril

Le samedi 29 avril au matin, notre groupe a quitté Dachau pour se rendre à Munich. Nous étions attendus au Centre de documentation sur l’histoire du national-socialisme, pour une visite guidée de presque deux heures. En raison de sa teneur historique, nous avons décidé de consacrer un article dédié au compte rendu de cette visite. Rendez-vous ici pour des explications sur la création et l’accession au pouvoir du régime nazi, ainsi que sur ses suites et sur les orientations futures de la société.

Notre parcours terminé en début d’après-midi, nous sommes retournés à Dachau pour une seconde visite guidée, cette fois à l’ancien camp de concentration. Pendant presque trois heures, notre guide nous a fait explorer l’ensemble du site, le crématorium, les baraques, et s’est longuement attardée au sein de l’ancien bâtiment d’intendance, qui abrite l’exposition principale du Mémorial de Dachau. Inaugurée en 2003, cette exposition a pour objectif de retracer le « chemin » des déportés, dont le destin tragique est reconstitué depuis leur incarcération jusqu’à leur libération, en passant par les souffrances endurées quotidiennement dans le camp, où la mort était omniprésente.

Rappelons qu’au cours des prochaines années, le Mémorial de Dachau fera l’objet d’une refonte complète et que son musée bénéficiera d’une toute nouvelle exposition. En effet, l’exposition actuelle a désormais 20 ans et, en matière de contenu, de concept, de didactique et de design, est donc quelque peu « datée ». Elle sera prochainement restructurée en prenant en compte les informations historiques récentes, les nouvelles technologies, l’adaptation aux malvoyants et malentendants ainsi que l’accès aux personnes à mobilité réduite. Une nouvelle exposition est également en préparation pour les baraques, qui actuellement reconstituent l’espace tel qu’il se présentait en 1933-1934, en 1937-1938 et en 1944-1945. Par ailleurs, une extension de la superficie totale du site commémoratif, avec l’inclusion de certains bâtiments d’importance historique, est prévue afin d’accueillir au mieux le nombre croissant de visiteurs (approximativement 900 000 par an).

Notre visite au camp de Dachau s’est terminée aux alentours de 17 heures, alors que les membres du Comité International de Dachau procédaient à un dépôt de gerbe au pied du monument de la flamme, situé sur l’ancienne place d’appel du camp.

Sandra Quentin porte le drapeau du CID. Jean Lafaurie et Dominique Boueilh déposent la gerbe.

Enfin, nous avons quitté tous ensemble l’enceinte du camp pour nous diriger vers le monument commémoratif des marches de la mort. C’est là qu’eut lieu la dernière cérémonie de cette journée, afin de rendre un hommage particulier aux milliers de prisonniers de Dachau et de ses camps annexes qui, plusieurs jours avant la libération du camp, furent évacués par les SS et contraints d’entreprendre des marches forcées. Au cours de ces marches de la mort, nombreux furent ceux qui perdirent la vie, terrassés par la maladie, la faim ou par les coups de leurs bourreaux, qui punissaient sévèrement quiconque, à bout de forces, avait le malheur de s’arrêter ou de ralentir la cadence.

Dimanche 30 avril

Cérémonies de commémoration du 78e anniversaire de la libération du camp de concentration de Dachau

Dimanche 30 avril 2023, une multitude de visiteurs – dont 15 survivants de Dachau, deux libérateurs américains et de très nombreux descendants de déportés – avaient répondu à l’invitation de Dominique Boueilh, président du CID, Gabriele Hammermann, directrice du Mémorial de Dachau, et Karl Freller, directeur de la Fondation des mémoriaux bavarois, les conviant à la commémoration du 78e anniversaire de la libération du camp de concentration de Dachau. De nombreuses personnalités publiques – ambassadeurs, politiques, représentants de différentes confessions religieuses – étaient également présentes pour rendre hommage aux victimes du camp de Dachau et à leurs libérateurs.

La journée a débuté par différents services religieux, puis s’est poursuivie par une cérémonie à l’ancien crématorium du camp, ponctuée par des discours émouvants, notamment celui d’Abba Naor, survivant de la Shoah et vice-président du CID. Après un premier dépôt de gerbe, l’assemblée s’est dirigée en cortège jusqu’à l’ancienne place d’appel du camp, avec en tête le général Jean-Michel Thomas, qui portait le Livre des morts de Dachau, et les porte-drapeaux des pays d’origine des quelque 200 000 personnes déportées vers Dachau et ses camps satellites.

Abba Naor lors de son discours.

La cérémonie principale, sur l’ancienne place d’appel, a été marquée par les discours de Gabriele Hammermann, Karl Freller, Michael Piazolo (ministre de l’Éducation) et Dominique Boueilh, mais aussi par les messages commémoratifs émouvants de plusieurs survivants et libérateurs. Karl Freller a souligné, à l’aide de l’exemple historique de la République de Weimar et de l’histoire des premiers camps sous la dictature nazie, la nécessité de défendre la démocratie en restant vigilant et en se défendant.

À l’issue de la cérémonie, ce sont pas moins de 98 couronnes de fleurs qui ont solennellement été déposées, parmi lesquelles des couronnes de représentants de groupes de victimes, de la politique locale, régionale et fédérale, et notamment du président fédéral et du chancelier fédéral.

Enfin, nous nous sommes rendus au centre Max Mannheimer, qui convie chaque année les membres de notre Amicale à un généreux repas. L’occasion pour nous de clore notre pèlerinage dans la convivialité.

Vous trouverez ci-dessous le discours prononcé par Dominique Boueilh ci-dessous sur l’ancienne place d’appel et, pour finaliser cet article dédié à notre pèlerinage 2023 à Dachau, nous vous proposons un message de Serena Adler, de l’Amicale roumaine de Dachau, nous expliquant pourquoi il est essentiel pour elle de revenir chaque année sur le site commémoratif du camp.

Alicia GENIN

Allocution du président du CID – Mémorial de Dachau, 30 avril 2023

« C’est avec un immense honneur que je m’adresse à vous toutes et tous, en qualité de nouveau président du CID. Depuis de nombreuses années, je participe à la vie du Comité International de Dachau, et aux commémorations annuelles de la libération du camp. Pourautant, je ne vous cache pas être envahi en ce moment précis d’une grande émotion.

Permettez-moi d’avoir une pensée intime pour mon père, Didier Boueilh. Âgé de 18 ans, l’âge précis de son arrière-petit-fils Enzo ici présent, il est arrivé au camp de Dachau le 5 juillet 1944, à bord du sinistre convoi 7909, dit « Train de la Mort », et auquel il survivra par miracle. Il sera libéré, à l’aube du 29 avril 1945 par les soldats américains, à qui il vouera toute sa vie une reconnaissance sans limite.

Pour la fin des souffrances de milliers de détenus, pour cette liberté retrouvée, nous devons tous nous honorer aujourd’hui de la présence parmi nous de libérateurs, arrachés à leur jeunesse pour libérer de l’envahisseur nazi une Europe qui leur était lointaine.

Je souhaite également rendre un vif hommage à mon prédécesseur, le général Jean-Michel Thomas, et à toute son équipe, pour les actions menées durant ses deux mandatures, et pour les liens étroits développés avec la Fondation des mémoriaux bavarois et avec le Mémorial du camp de Dachau. Ces liens ont permis en particulier de traverser la crise sanitaire avec résilience et solidarité. Je tiens ici, au nom du CID, à en remercier très sincèrement le Ministère bavarois de l‘Éducation et de la Culture, la Fondation des mémoriaux bavarois et le Mémorial du camp de Dachau.

C’est avec joie que nous retrouvons aujourd’hui le caractère public, chaleureux et fraternel de nos commémorations. Le temps des projets et de notre engagement est revenu, plus fort encore, et motivé par le contexte d’une actualité européenne préoccupante et par la persistance d’atteintes à nos valeurs fondamentales.

Notre première volonté sera de soutenir et d’accompagner le nouveau projet de rénovation du Mémorial. C’est un projet innovant, ambitieux et nécessaire pour susciter l’écoute des nouvelles générations. Nous sommes confiants dans la capacité des différents acteurs à se réunir pour surmonter les difficultés actuelles et inhérentes à un projet d’une telle envergure. La vision d’un champ de Mémoire rénové, mais toujours fidèle à sa mission première, pourra alors être menée à son terme. Il sera bâti sur l’héritage du Mémorial de Dachau érigé en 1965, lequel est resté très précieux au Comité International de Dachau.

Enfin notre champ d’action ne saurait s’arrêter aux murs de cette enceinte. La Mémoire de la Déportation doit continuer à s’exercer dans tous les pays de notre Europe, pour éveiller la conscience et susciter la responsabilité de chaque citoyen, pour faire face à la montée des extrêmes et pour protéger nos modèles de démocratie. Il nous appartient de raviver et accompagner cette Mémoire partout où elle s’affaiblit, par l’intermédiaire de nos représentations nationales et des instances dédiées de chaque pays, mais aussi avec la collaboration des autres comités internationaux. Le Comité International de Dachau restera très attaché à cet objectif.

La Mémoire des camps est fédératrice et point d’attache des descendants de déportés. Elle demeure le lien indéfectible entre le crime d’histoire passé, et les espoirs d’un monde apaisé et libre de toute atteinte à la dignité humaine.

Les sacrifices de nos héros d’hier et les efforts considérables mis dans ce mémorial ne doivent pas rester vains.

Vous seul, cher public, pouvez faire de nos espoirs, de vos espoirs, la réalité de demain, après votre visite en ces lieux.

Je vous remercie pour votre attention.»

Message de Serena Adler, Amicale roumaine (AERVH)

« Cette année, je suis revenue à Dachau pour les cérémonies commémoratives et pour la rencontre annuelle du Comité International de Dachau. Depuis 2002, je reviens toujours avec la même émotion à cette rencontre avec l’histoire de nos familles, projetée sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.

Nous, les membres du CID, sommes spirituellement liés par les histoires similaires que nos parents ont vécues pendant cette période.

Je pense que nous réunir une fois par an est une bonne occasion de partager notre expérience personnelle sur la façon dont chacun d’entre nous garde et honore la mémoire des anciens. Nous faisons cela pour donner plus de sens au « plus jamais », que tout le monde connaît.

Chacun de nous a sa propre histoire de famille et le souvenir de ce qui s’est passé, ce qui nous ramène à Dachau.

Mon grand-père et mon père ont été libérés à Dachau, et malheureusement ils sont revenus à la maison sans ma grand-mère, qui n’a pas eu la chance d’échapper au triage de Mengele, fait à Birkenau, au début de leur déportation. Histoire d’une famille, histoire des familles.

L’histoire nous suit. Nous revivons cette histoire aujourd’hui, comme une répétition troublante dans notre région, dans le monde.

En mémoire des membres de ma famille, mais aussi des millions tués en ce temps-là, je considère comme un devoir moral d’honneur de faire tout ce que je fais volontairement pour continuer à faire vivre leur mémoire.

Par l’intermédiaire de mes éditions, que je réalise depuis plusieurs années, je continue à parler de ce sujet avec le soutien de mes amis, des survivants que je rencontre, des historiens, des journalistes, des enseignants et des étudiants. Même si c’est difficile, et pour que l’histoire ne se répète pas, pour le salut de nos âmes, je tiens au devoir de mémoire.

La législation, la politique de mon pays prévoit des cours dédiés à la mémoire.

Les jeunes écoutent et posent des questions qui montrent à quel point il est difficile pour eux de comprendre les actes que des hommes ont commis à l’encontre d’autres êtres humains.

Par conséquent, nous, les générations suivantes, avons l’obligation de continuer à raconter nos histoires de famille. Il en est de notre devoir moral.

Pour moi, le respect est important. C’est pour cette raison que nous sommes présents chaque année à Dachau : pour notre propre respect et pour celui de nos familles.

Quand je dis « nos familles », je pense aussi aux personnalités du CID qui ne sont plus avec nous, mais qui restent présentes, veillent sur nous, pour voir ce que nous faisons et comment nous poursuivons leurs efforts… Mais je pense aussi à nos jeunes familles, à qui nous voulons montrer pourquoi elles devraient nous rejoindre et continuer à transmettre la mémoire de la vraie histoire de la Seconde Guerre mondiale.

C’est notre devoir de continuer, pour que jamais de tels actes ne se reproduisent dans le monde.

Nous avons envie de mieux nous connaître, d’être comme une famille avec ceux qui ont souffert dans les mêmes conditions pendant la guerre. Chacun d’entre nous mérite un respect égal à celui de n’importe quel autre d’entre nous !

Nous devons nous concentrer sur l’avenir. Faisons-le, en tenant compte du présent.

Nous sommes capables d’agir ensemble dans ce devoir moral. »