Colloque du 14 juin 2025 à Bagnères-de-Luchon

Première partie : La Libération racontée par Jean Lafaurie

Né le 30 novembre 1923 à Cajarc, Jean Lafaurie passa son enfance chez ses grands-parents à Souillac, de l’âge de 5 à 17 ans. Dès 1940, après l’appel du général de Gaulle, il rejoignit la Résistance et s’engagea aux côtés des FTPF (Francs-tireurs et partisans français). Arrêté le 14 juillet 1943, il fut successivement emprisonné à Tulle, Limoges, puis à la prison centrale d’Eysses, près de Villeneuve-sur-Lot, où les autorités de Vichy avaient regroupé plusieurs centaines de résistants, en majorité communistes.

Il participa à la tentative de mutinerie du 19 février 1944, écrasée quelques jours plus tard par les troupes allemandes de la division Das Reich, future responsable du massacre d’Oradour-sur-Glane. En représailles, douze de ses camarades furent fusillés.

Le 30 mai 1944, près de 1200 détenus d’Eysses furent transférés à Compiègne, puis déportés le 18 juin à Dachau. Jean y arriva le 20 juin 1944, matricule 73618. Il fut libéré par les troupes américaines au printemps 1945.

La conférence a débuté par un entretien avec Jean Lafaurie, centenaire, qui aborda trois sujets : sa vie aux camps de Dachau et d’Allach (et plus particulièrement les jours ayant précédé la libération), son retour en France, et enfin le sens de son engagement actuel, à travers ses nombreux témoignages auprès des collégiens et lycéens.

Jean Lafaurie au Théâtre du Casino, Bagnères-de-Luchon

L’arrivée à Dachau et la vie au camp d’Allach

Avant son affectation au camp annexe d’Allach, Jean Lafaurie passa par le camp principal de Dachau. C’était la première fois qu’un convoi d’une telle ampleur, composé en majorité des prisonniers de la centrale d’Eysses mais aussi de nombreux détenus venant de Bordeaux, arrivait de France. Plus de deux mille hommes y furent ainsi déportés le 18 juin 1944.

À l’arrivée, Jean et ses camarades furent accueillis par « une espèce de fou », connu pour ses insultes dans toutes les langues et son « marteau en caoutchouc », qu’il appelait ironiquement « son interprète » et dont il se servait pour frapper ceux qui ne comprenaient pas ses ordres.

Les nouveaux arrivés furent ensuite répartis dans quatre chambrées. Jean fut affecté à la quatrième, où résidait notamment un ancien député de Düsseldorf, l’un des rares internés à conserver une lucidité et une dignité intactes après douze années de détention. Il conseilla Jean et ses camarades afin de leur éviter certaines brutalités du camp.

Jean partageait un lit étroit avec deux compagnons — l’un couchant la tête aux pieds de l’autre. Après trois semaines à Dachau, une sélection par métiers fut organisée. Ses deux camarades se déclarèrent maçons, et Jean, bien qu’ayant exercé brièvement ce travail, se présenta de même. Quelques jours plus tard, ils furent envoyés au camp d’Allach, où Jean demeura jusqu’à la libération.

Le camp d’Allach avait été établi pour fournir de la main-d’œuvre à l’usine BMW. Les déportés y étaient employés soit à la maçonnerie et à la fortification des bâtiments, soit sur les machines-outils pour fabriquer des pièces d’avions. Jean fut intégré à un kommando de 12 détenus : six à la maçonnerie, et six affectés à l’épluchage de légumes pour la cantine voisine, tâche d’autant plus cruelle qu’ils travaillaient en permanence tenaillés par la faim.

Entre eux, les déportés avaient consigne de faire le moins possible et, lorsqu’ils travaillaient dans l’usine, de saboter la production dès qu’ils le pouvaient. Jean et ses compagnons appliquaient la même stratégie sur les chantiers. Leur kapo, bien que « triangle vert » (droit commun), se montrait relativement bienveillant.

Un jour, Jean se blessa grièvement à la main avec une pointe rouillée. La plaie s’infecta rapidement, mais son petit kommando, toujours rentré en dernier au camp, n’arrivait jamais à temps pour accéder à une infirmerie déjà bondée de malades. L’infection devint si grave que son bras enfla dangereusement. Ses camarades intervinrent alors auprès du kapo, qui obtint d’un SS âgé qu’ils puissent quitter le chantier plus tôt.

À l’infirmerie, Jean demanda à voir « Boris », un Roumain ancien résistant à Marseille, réputé pour sa bonté. Celui-ci soigna correctement sa blessure. Jean, craignant de rester trop longtemps dans une infirmerie où beaucoup mouraient, refusa la convalescence en dortoir. Boris lui aménagea alors un lit de camp dans la pharmacie même, à l’écart, afin qu’il puisse récupérer sans courir le même risque que les autres détenus.

La libération du camp d’Allach

À cette époque, Jean avait changé de kommando et travaillait à la garde publique, une zone bombardée pratiquement chaque jour. Les détenus étaient chargés de remplacer rails et traverses, sous les ordres d’un cheminot allemand qui leur répétait : « La guerre est finie, il n’y aura plus de morts. » Mais Jean n’y croyait plus : il avait déjà trop entendu ces paroles.

Le 27 avril, au retour du travail, les prisonniers furent surpris de ne trouver aucun gradé SS à l’entrée du camp. La fuite des SS avait commencé… Mais un nouvel appel rassembla les détenus. Les Allemands exigèrent que les Russes se mettent à part. Malgré la solidarité entre prisonniers qui tenta d’empêcher leur identification, les SS, aidés par certains kapos et chefs de baraques, réussirent. Les Russes furent emmenés à quelques kilomètres… et mitraillés.

Le 28 avril, Jean s’éveilla tard et, d’abord, crut avoir manqué l’appel. Mais en constatant que ses camarades étaient toujours couchés, il comprit qu’il se passait quelque chose d’inhabituel. L’un d’eux fut envoyé au comité international des déportés ; les autres restèrent cloîtrés, redoutant un piège. Il revint bientôt annoncer qu’il n’y avait plus de SS ni de kapos dans le camp. Les prisonniers accueillirent la nouvelle avec méfiance : la libération semblait proche, mais la peur d’un retour des nazis persistait.

Le 29 avril, la libération de Dachau fut confirmée. Les détenus d’Allach pensèrent être libres immédiatement, mais il leur fallut attendre encore un jour. Le 30 avril 1945, les canons se rapprochèrent, puis une jeep d’officiers américains entra dans le camp. Jean, affaibli et ne pesant plus que 36 kilos, dut être soutenu par deux camarades pour atteindre les barbelés et assister à cet instant.

Les Américains maintinrent les prisonniers un mois encore dans le camp, le temps d’organiser leur rapatriement. Durant cette période, le général Leclerc leur rendit visite, leur expliqua les raisons de cette attente et les salua comme de véritables soldats. En réponse, les déportés entonnèrent la Marseillaise.

La vie dans le camp restait cependant marquée par la faim, mais aussi par les excès alimentaires. Certains, affamés, mangèrent feuilles et herbes, au prix de nombreuses maladies. Plus tard, lors de l’arrivée de denrées, notamment de la charcuterie, beaucoup ne purent résister, malgré les avertissements des médecins. Leur organisme affaibli ne supporta pas ce choc : les décès se comptèrent alors par dizaines. Deux baraques entières durent être réquisitionnées pour soigner les malades, tant leur nombre était élevé.

Le retour en France

Après la libération de Dachau et Allach, Jean dut attendre un mois avant de pouvoir rentrer chez lui. Les survivants les plus valides furent rapatriés rapidement, mais Jean, qui ne pesait plus que 36 kilos, fit partie de ceux contraints de rester encore quelques semaines en Allemagne.

Il fut envoyé à Reichenau, sur le lac de Constance, dans une petite maison de pêcheurs réquisitionnée pour loger les rescapés. Il y vécut avec trois autres déportés. Le midi, un garde les menait à la cantine militaire, où des repas adaptés à leur état leur étaient servis. Le soir, ils cuisinaient eux-mêmes, profitant du potager, des lapins et des poulets laissés sur place, chacun préparant un plat de sa région.

Ils restèrent ainsi trois semaines, avant d’être conduits à la gare pour embarquer vers la France. En traversant la Suisse, Jean se souvient de tables dressées sur les quais, couvertes de croissants, de pain, de café, de chocolat, que des femmes suisses les encourageaient à manger. Mais le train ne s’attarda pas : malgré la bienvenue chaleureuse, un coup de sifflet rappela aussitôt les déportés à bord.

À Paris, gare de l’Est, ils furent dirigés vers l’hôtel Lutétia, centre d’accueil des rapatriés. Là, de nombreuses questions furent posées, ce qui agaça certains. En réalité, il s’agissait d’enquêtes destinées à identifier d’éventuels collaborateurs se faisant passer pour rescapés. On leur distribua aussi des tenues de miliciens, que Jean refusa catégoriquement de porter.

Alors qu’il attendait son titre de transport pour rentrer à Souillac, Jean fut appelé à l’accueil. Surprise : il ne connaissait personne à Paris. L’homme qui l’attendait était un certain Georges Lévy, que Jean avait aidé avant sa déportation, sans même mesurer l’importance de son geste. Un jour, Jean l’avait trouvé à la rue après avoir été chassé de son hôtel parce qu’il était juif. Il le recommanda à son employeur, qui manquait cruellement de main-d’œuvre, et il fut embauché malgré les interdictions. Jean lui avait aussi proposé une chambre libre chez sa grand-mère, proposition que Georges avait refusée pour ne pas la mettre en danger. Reconnaissant, Lévy invita Jean à passer la journée avec sa famille — malgré les 17 proches qui, eux, n’étaient jamais revenus.

Peu après, Jean prit le train pour Souillac, où un comité d’accueil l’attendait dans un hôtel du village, une grande table ayant été dressée pour fêter son retour. Il y retrouva notamment son oncle.

Durant le trajet, il avait fait la connaissance d’une jeune rescapée de Ravensbrück. À l’arrivée, leurs chemins se séparèrent : lorsqu’elle retrouva sa mère venue la chercher, cette dernière sombra sous le choc émotionnel. Jean, de son côté, refusa le taxi qui lui était attribué : il voulait parcourir à pied le dernier kilomètre, respirer l’air, voir les arbres en fleurs, entendre les oiseaux chanter. En marchant, il se mit à chanter. C’est ainsi qu’il rentra chez lui.

La transmission

À la fin de son récit, Jean confia que le monde actuel l’inquiétait, car il y retrouvait certains ingrédients des années 1933-1936, à l’époque de la montée des régimes totalitaires. C’est aussi pour cette raison qu’il tient à poursuivre ses interventions dans les écoles, afin de sensibiliser les jeunes et de leur rappeler comment, à peine plus âgés qu’eux, d’autres avaient su réagir.

Aux élèves, Jean insiste toujours sur l’importance de la solidarité, qui fut cruciale pour les déportés d’Eysses. À leur arrivée en Allemagne, ils furent dispersés : certains restèrent en grand groupe (notamment ceux qui furent envoyés à Allach), d’autres furent répartis dans divers kommandos isolés. Dans ces derniers, privés d’entraide, les pertes furent particulièrement lourdes.

À Dachau et Allach, les déportés d’Eysses mirent en place une règle simple : veiller les uns sur les autres et intervenir dès qu’un camarade perdait le moral. Ils l’encourageaient, lui racontaient des anecdotes, parfois même partageaient avec lui un peu de leur ration. Chaque jour, chacun prélevait un minuscule morceau de son pain. Individuellement insignifiant, mais collectivement, cela formait une réserve suffisante pour redonner des forces à ceux qui s’effondraient. Quelques mots réconfortants, une ration de pain partagée, et déjà une étincelle renaissait dans les yeux du camarade : il était sauvé.

Jean lui-même vécut cette expérience. Grièvement infecté à la main, abattu par la douleur, il avoua à ses proches qu’il voulait renoncer. Un camarade lui lança qu’il le réveillerait d’un coup de pied s’il se laissait mourir, et lui offrit une ration de pain supplémentaire. Ces gestes, simples et fraternels, l’ont sans doute sauvé.

Un jour, défiant les interdits, les résistants d’Eysses entonnèrent même la Marseillaise dans le camp. Un acte audacieux, témoin de leur esprit de résistance et de leur solidarité indéfectible.

Seconde partie : Résistance et passeurs dans les Pyrénées, en France et en Espagne

Après le témoignage de Jean, Dominique Boueilh a introduit la seconde partie de la conférence, consacrée aux passeurs dans les Pyrénées. Celle-ci s’est articulée en deux volets :

  1. l’intervention de Thomas Ferrer, qui a proposé un large panorama de l’histoire des passeurs pyrénéens ;
  2. l’intervention de Cristina Cristóbal, qui, à travers deux biographies d’Espagnols, a permis de mieux comprendre ce qui s’est joué de l’autre côté de la frontière franco-espagnole.

Intervention de Thomas Ferrer, auteur de Passeurs et Évadés dans les Pyrénées

Les sources historiques

La documentation issue des passages clandestins provient de deux types de sources :

  • Celles liées aux résistants et aux fugitifs eux-mêmes (témoignages d’après-guerre, objets comme des faux papiers ou des tampons transmis après la guerre aux archives départementales, etc.).
  • Celles produites par les forces de répression, beaucoup plus nombreuses : rapports d’arrestations, relevés établis par l’administration allemande.

Thomas Ferrer nous a notamment montré un document issu des archives départementales de Tarbes, recensant 737 arrestations allemandes dans le département, dont de nombreuses liées aux tentatives de franchissement de la frontière. Beaucoup des arrêtés étaient de jeunes hommes, âgés d’une vingtaine d’années, précisément la classe visée par le STO instauré en février 1943. En effet, plus de 600.000 jeunes furent envoyés en Allemagne pour le travail forcé, mais d’autres choisirent la clandestinité : maquis, cachettes… ou exil vers l’Espagne.

Toutes ces sources ont permis aux historiens de reconstituer l’histoire des passages à travers les Pyrénées, tout en mettant en lumière de nombreux parcours individuels. Lors de son intervention, Thomas Ferrer a illustré chacun de ses propos par des documents précis, ce qui lui a également donné l’occasion de raconter de multiples destins, parfois ceux de figures connues (comme les résistants Albert Marie Guérisse, alias Pat O’Leary, et Francisco Ponzán Vidal, qui créèrent des réseaux de passeurs), parfois ceux d’anonymes.

Qui étaient ceux qui franchissaient les Pyrénées ?

Entre 1939 et 1945, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont traversé les Pyrénées pour rejoindre l’Espagne. Il est intéressant de s’interroger sur l’identité de ces fugitifs.

  • Les familles juives : dès 1940, elles tentent d’échapper aux persécutions et à l’occupation nazie. Ces passages se poursuivent jusqu’en 1944.
  • Les militaires alliés : surtout des Anglais puis des Américains, notamment des aviateurs abattus en territoire français, qui devaient impérativement être exfiltrés pour regagner l’Angleterre. Leur sauvetage nécessita la mise en place de réseaux organisés.
  • Les évadés de France : il s’agit souvent de jeunes hommes, réfractaires au Service du Travail Obligatoire (STO). Ils franchissent la frontière dans l’espoir de rejoindre l’Afrique du Nord, d’y recevoir une formation militaire et de s’engager ensuite dans les Forces françaises libres. Certains de ces évadés participèrent notamment au débarquement de Provence, le 15 août 1944.
  • Les résistants identifiés : Français « grillés », c’est-à-dire repérés par la police ou la Gestapo. Beaucoup avaient déjà été arrêtés, parfois évadés, et étaient contraints de quitter la France pour sauver leur vie et continuer le combat.

On estime le nombre d’évadés à environ 30.000. Parmi eux, 25.000 s’engagèrent véritablement dans les Forces françaises libres. Les autres furent arrêtés (certains exécutés ou déportés sans retour), ou s’arrêtèrent en Espagne (certains ayant franchi la frontière trop tardivement, alors que la guerre touchait presque à sa fin).

Quant aux Juifs, les estimations oscillent très fortement, mais on pourrait évaluer à 25.000 à 30.000 ceux qui tentèrent de traverser les Pyrénées, pour gagner les États-Unis via le Portugal.

À noter que, parmi les fugitifs, il n’y eut pas que des Français : Belges, Anglais, Hollandais et autres nationalités européennes passèrent également la frontière, certains pour rejoindre l’Angleterre et reprendre le combat.

Outre les fugitifs, il y avait ceux qui les aidaient : les passeurs et leurs réseaux.

  • Les passeurs eux-mêmes devaient être de robustes marcheurs, habitués à la montagne. C’étaient souvent des skieurs, chasseurs, bergers ou contrebandiers. Thomas Ferrer a notamment évoqué le cas de François Vignole (Vignolas), champion de ski. Son cousin Marco, resté en Espagne, récupérait de l’autre côté de la frontière les personnes qu’il avait fait passer. Pour dissimuler ses activités clandestines, Vignole tenait avec sa femme un magasin d’articles de loisirs, tandis qu’il continuait ses compétitions officielles : ironie de l’histoire, il fut récompensé en 1943 par le régime de Vichy lors d’une course de ski, au moment même où il faisait passer des fugitifs tous les quinze jours.
  • Autour de ces passeurs gravitaient les agents de liaison, faussaires, hébergeurs, constituant une chaîne humaine diversifiée.
  • Des gendarmes et policiers résistants tenaient aussi un rôle essentiel, souvent au prix d’un double jeu dangereux. À la Libération, certains furent injustement soupçonnés, mais leurs chefs de réseau rédigèrent des rapports pour témoigner de leur action.
  • Les femmes jouèrent également un rôle central. Certaines devinrent des pivots logistiques, mettant leur domicile à disposition d’évacués, fournissant logement, matériel et préparation pour deux ou trois jours de marche.

Ces résistants étaient classés selon trois catégories :

  • P0 : agents occasionnels.
  • P1 : résistants conservant une vie publique normale, tout en aidant régulièrement.
  • P2 : clandestins à plein temps, consacrant toute leur énergie à la Résistance.

Les membres de ces réseaux risquaient leur propre vie pour en sauver d’autres, comme l’a rappelé Thomas Ferrer en présentant plusieurs rapports d’arrestation illustrant le destin tragique de quelques figures connues, mais aussi de nombreux anonymes.

Ainsi, le 10 juin 1943, trois jeunes résistants d’un même réseau – Eugène, Gabriel et Yvonne – sont arrêtés après avoir été dénoncés par un Alsacien qu’ils avaient aidé à franchir les Pyrénées. Capturé, celui-ci avait parlé sous la torture. Yvonne est déportée à Ravensbrück ; elle en revient gravement atteinte par la tuberculose et décède en 1946, après plusieurs séjours à l’hôpital. Gabriel est envoyé à Buchenwald, puis transféré au camp de Dora, où il meurt. Eugène, lui aussi interné à Buchenwald, est le seul des trois à survivre à la déportation.

Parmi les résistants célèbres, Thomas Ferrer a également évoqué les destins d’Albert Guérisse (dit Pat O’Leary) et de Francisco Ponzán Vidal, qui finirent tous deux par être arrêtés. Pat O’Leary fut déporté : il passa successivement par Neue Bremm (Sarrebruck), Mauthausen, Natzweiler-Struthof, puis Dachau, d’où il eut la chance de sortir vivant. En revanche, Francisco Ponzán Vidal, après sa capture le 28 avril 1943 et son incarcération à la prison Saint-Michel à Toulouse, ne fut pas déporté à l’instar de la plupart des résistants du Sud-Ouest. Malheureusement, le 17 août 1944, alors que les troupes allemandes évacuaient Toulouse, il fut extrait de sa cellule et sommairement exécuté à Buzet-sur-Tarn, avec une cinquantaine d’autres détenus. Parmi les victimes figurait également André Fourcade, grande figure de la Résistance à Tarbes.

Les traversées : un risque permanent

La traversée se faisait généralement de nuit, par des chemins escarpés, difficiles d’accès mais moins surveillés. Les passeurs s’appuyaient sur des informations concernant les itinéraires des patrouilles ennemies. Quelques centaines de soldats allemands et autrichiens, spécialisés en montagne, surveillaient la frontière : un nombre limité, mais suffisant pour faire de chaque passage une opération dangereuse, où la capture signifiait presque toujours interrogatoire et déportation.

Thomas Ferrer a présenté divers itinéraires, en insistant sur la zone de Luchon et sur le parcours mémoriel de Marignac, jalonné de panneaux explicatifs retraçant notamment le passage d’un groupe en octobre 1943.

Ce groupe comprenait Paul Mifsud, 18 ans, décidé à rejoindre les troupes libres, et la famille Duffoir – Paulette et Pierre, avec leur fille Josette, âgée de 11 ans. Les Duffoir, compromis dans la Résistance, avaient été identifiés et devaient fuir.

Lors du franchissement du col du Burat, une tempête de neige les surprend. Le passeur Bordes prit Josette sur ses épaules, tandis que sa mère perdit ses chaussures et acheva la traversée pieds nus dans la neige. L’épopée se conclut par un succès : tous atteignirent l’Espagne.

Chacun poursuivit ensuite son engagement : Paul Mifsud devint marin sur un torpilleur, les Duffoir partirent en Angleterre, puis Pierre fut parachuté en Bretagne en 1944 pour participer activement à la Libération.

Cette exfiltration par les Pyrénées, comme toutes les autres, fut rendue possible grâce à un vaste réseau hétéroclite : passeurs montagnards, paysans, cheminots, républicains espagnols réfugiés, résistants organisés.

C’est ce tissu de solidarité qui permit à des milliers de personnes – familles juives, aviateurs alliés, jeunes réfractaires, résistants traqués – d’échapper aux nazis et de poursuivre la lutte pour la liberté.

Intervention de Cristina Cristóbal, présidente de l’Amicale espagnole de Dachau

Les républicains espagnols devenus passeurs

À la fin de la guerre d’Espagne, entre 1939 et 1940, des centaines de milliers de républicains espagnols fuyant la victoire franquiste franchirent les Pyrénées pour trouver refuge en France. Cet exode massif, connu sous le nom de Retirada, conduisit hommes, femmes et enfants vers des camps d’internement improvisés dans le sud de la France. Malgré des conditions de vie difficiles, une partie importante de ces réfugiés choisit par la suite de s’engager activement dans la lutte contre l’Occupation nazie. Nombre d’entre eux rejoignirent la Résistance française et participèrent à des actions de sabotage, de renseignement et de combat, jouant ainsi un rôle notable dans la Libération.

Beaucoup se sont également illustrés en devenant passeurs dans les Pyrénées. Grâce à leur connaissance des itinéraires montagnards et de la frontière, ces passeurs espagnols ont permis à de nombreux Français, Juifs, résistants, aviateurs alliés et autres Européens poursuivis par l’occupant nazi de franchir clandestinement les cols pyrénéens.

Certains réseaux, comme celui de l’anarcho-syndicaliste espagnol Francisco Ponzán Vidal, ont organisé des centaines de passages vers l’Espagne, contribuant à sauver de nombreuses vies et à faire circuler des informations stratégiques. Leur engagement, motivé autant par leur lutte antifasciste que par l’espoir d’une future libération de l’Espagne, a marqué l’histoire locale et européenne de la Résistance.

Une fois arrivés en Espagne, le parcours restait dangereux : la frontière était sous strict contrôle du régime franquiste, et de nombreux fugitifs étaient d’ailleurs arrêtés par les douaniers ou carabineros espagnols dans les villages-frontière ou les fonds de vallée. Très souvent, ils étaient internés dans des prisons ou dans le camp de Miranda-del-Ebro (le plus tristement célèbre), avant éventuellement de pouvoir demander l’asile ou de poursuivre leur route, parfois vers le Portugal, Gibraltar ou en direction du Royaume-Uni et des forces alliées.

Deux histoires de passeurs espagnols

Les frères Hébrard Luis

Pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux fugitifs traversant les Pyrénées cherchaient à rejoindre Barcelone, afin de se réfugier auprès des consulats britannique et américain.

La première histoire contée par Cristina Cristóbal est justement celle de deux Espagnols nés à Barcelone et devenus passeurs dans les Pyrénées : Albert Hébrard Luis (1916-1993) et Jordi Hébrard Luis (1918-2006).

Jordi et Albert, 1941
(c) archives photos de la famille Ruiz Elias

Albert et Jordi avaient des origines françaises. François Hébrard, soldat de Napoléon, s’était installé en Espagne, au consulat de Tarragone. Tout en y faisant souche, il conserva des attaches en France, où il acheta même une maison. Son fils Léandre eut plusieurs enfants, dont Albert et Jordi, qui naquirent à Barcelone.

Lorsque la guerre civile espagnole éclata, la famille quitta l’Espagne pour rejoindre sa maison en France. Elle apporta également son aide à de nombreux réfugiés espagnols en fuite.

Albert, mécanicien dans l’aviation et homme très sportif, robuste, grand connaisseur de la montagne, était particulièrement apte à devenir passeur. Avec son frère Jordi, ils se trouvaient donc en France à cause de l’exil provoqué par la guerre civile espagnole… Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclata.

Être passeur était une mission extrêmement périlleuse. Après avoir parcouru une trentaine de kilomètres à pied dans les Pyrénées, il fallait encore continuer côté espagnol, souvent jusqu’à Nuria, puis Barcelone. À chaque étape, les passeurs étaient traqués à la fois par les autorités françaises, par les Allemands, et par la Guardia Civil espagnole. Pour échapper aux chiens lancés à leurs trousses, Albert et Jordi frottaient leurs chaussures de poivre afin de brouiller les pistes.

Ces traversées n’auraient pas été possibles sans les passeurs, mais aussi sans l’appui d’un large réseau de solidarité. Une fois arrivés en Catalogne, les fugitifs trouvaient refuge dans l’une des maisons de la famille, à Barcelone. C’était vital, car la ville comptait alors de nombreux SS allemands. Là, ils pouvaient se reposer, changer de vêtements pour se fondre dans la population catalane, puis repartir vers Madrid, Lisbonne ou encore plus au sud.

Cette famille, parlant français, espagnol, catalan et anglais, jouait un rôle essentiel. Albert et Jordi détenaient en outre la double nationalité, française et espagnole, ce qui pouvait leur sauver la vie en cas de contrôle.

Ainsi, la famille Hébrard, d’origine française, s’était réfugiée en France dès la guerre civile espagnole grâce à ses attaches et à sa maison de l’autre côté de la frontière. Elle avait déjà vécu une première traversée, de l’Espagne vers la France. Mais avec la Seconde Guerre mondiale, la route fut reprise en sens inverse : cette fois vers Barcelone, où Albert et Jordi finirent d’ailleurs leur vie.

Isidro Sánchez Sánchez

Né à Madroñera en Espagne, Isidro Sánchez Sánchez (1909-1977) vécut d’abord la guerre civile, engagé dans l’armée républicaine. Contraint à l’exil, il gagna la France et rejoignit ensuite la Brigade de l’Ariège. De 1942 à 1943, il devint passeur sur l’itinéraire Toulouse-Andorre. Contrairement à d’autres, il assumait ce rôle armé d’un pistolet, prêt à se défendre.

Arrêté, il fut détenu à la prison d’Eysses, puis déporté à Dachau et Allach. Libéré, il fut rapatrié en France. Il termina sa vie à Toulouse.

Un point important soulevé ici par Cristina Cristóbal concerne la difficile question de la nationalité et du rapatriement des républicains espagnols. Beaucoup, comme Isidro, avaient risqué leur vie pour la France et pour la liberté en intégrant la Résistance. Impossible pour eux de rentrer dans une Espagne toujours sous la dictature franquiste. La France leur reconnut finalement le droit d’être rapatriés comme des Français.

Isidro revint ainsi en France après sa déportation : d’abord accueilli à l’hôtel Lutetia, à Paris, comme tant d’anciens déportés, il s’installa ensuite à Toulouse. Il lui fallut encore prouver officiellement son engagement dans la Résistance française.

Son engagement et celui des passeurs comme lui restent un témoignage important de la solidarité transfrontalière contre le fascisme et l’occupation pendant cette période tragique.

Alicia GENIN

Congrès annuel de l’Amicale de Dachau – Hautes-Pyrénées, 13-14-15 juin 2025

Du 13 au 15 juin 2025, l’Amicale de Dachau a tenu son congrès annuel dans les Hautes-Pyrénées. Nous étions d’abord présents à Marignac et Cier-de-Luchon le vendredi 13 juin, puis à Bagnères-de-Luchon les samedi 14 et dimanche 15 juin. À l’occasion du 80e anniversaire de la Libération, une attention particulière a été portée au thème des passeurs et de la liberté retrouvée, comme vous pourrez le découvrir au fil de ce compte rendu.

Notre congrès a débuté le vendredi 13 juin par un déjeuner convivial à Marignac, l’occasion de retrouver des visages familiers mais aussi de faire connaissance avec de nouveaux participants. À l’issue de ce repas, nous nous sommes rendus à la salle des fêtes de Marignac, où notre exposition « Dachau » était ouverte au public depuis le 11 juin et le resterait jusqu’au 20 juin. Ce fut pour certains l’opportunité de découvrir les 25 panneaux de notre exposition itinérante, qui circule à travers la France depuis près de dix ans.

Petite surprise préparée par notre président, Dominique Boueilh : aux côtés de l’exposition « Dachau », nous avons pu voir également, en format réduit, l’exposition réalisée par l’Union des associations de mémoire des camps nazis, « Mémoires de déportations : témoignages d’hier, regards d’aujourd’hui ».

Après un mot de bienvenue de Dominique Boueilh, un guide local nous a présenté les « Chemins de la Liberté », en insistant particulièrement sur le parcours pédagogique de Marignac, que les plus motivés parmi nous ont entrepris immédiatement après la présentation.

Le parcours pédagogique à Marignac

Sous une forte chaleur, nous avons effectué une version réduite de ce parcours pédestre. Ce circuit de 4 km, jalonné de 12 panneaux explicatifs, retrace l’histoire des traversées clandestines des Pyrénées durant la Seconde Guerre mondiale, notamment celle de Paul Mifsud, de la famille Duffoir et de leurs compagnons en octobre 1943.

Chaque panneau illustre une étape ou un aspect essentiel du périple :

  • le contexte historique des passages pyrénéens, d’abord empruntés par les contrebandiers puis par les Républicains espagnols, avant de devenir une voie d’évasion pour des milliers de réfugiés et de résistants ;
  • les portraits des principaux protagonistes : Paul Mifsud, déterminé à rejoindre les troupes libres en Angleterre ; la famille Duffoir (un couple de résistants et leur fillette) ; Jean, ainsi que des passeurs et autres « figures de l’ombre » qui ont risqué leur vie pour guider les fugitifs ;
  • l’organisation mise en place par un réseau de résistants pour exfiltrer les personnes traquées par les nazis, en assurant vivres, sécurité et orientation clandestine ;
  • la préparation de la traversée, ses dangers, les obstacles naturels et humains, et le risque constant d’être capturé ou dénoncé ;
  • les étapes géographiques du trajet de Marignac vers Bausen (Val d’Aran) par le mont Burat, ponctuées de récits individuels et collectifs ;
  • le rôle décisif du réseau de solidarité local, illustré par de nombreux témoignages sur le soutien des habitants ;
  • les conséquences des traversées, réussies ou non : la liberté retrouvée ou, parfois, l’emprisonnement tragique.

Les « Chemins de la Liberté » perpétuent la mémoire de Paul Mifsud, de la famille Duffoir et de tant d’autres, et rendent hommage à toutes celles et ceux qui, grâce au courage collectif et anonyme des réseaux locaux, ont échappé à la barbarie. Chaque étape du parcours invite à réfléchir sur l’humanité et les valeurs républicaines défendues durant cette période sombre de l’histoire régionale.

À l’issue de la marche, nous avons retrouvé la salle des fêtes de Marignac pour partager un verre de l’amitié offert par la mairie. Ceux qui n’avaient pas souhaité participer au parcours ont pu patienter en visionnant en avant-première le film réalisé par Marie-Dominique Dhelsing. Ce documentaire retrace le parcours mémoriel de Compiègne à Dachau accompli par notre Amicale en juillet 2024, à l’occasion du 80e anniversaire du Train de la Mort (voir ici pour plus détails sur ce pélerinage). Le film sera prochainement disponible et nous vous en informerons dès que possible.

Enfin, la journée s’est poursuivie à Cier-de-Luchon, avec une cérémonie commémorative organisée à 19 h, suivie d’un repas chaleureux en compagnie des habitants de Cier-de-Luchon et des environs. Ce dîner fut particulièrement émouvant, car il permit à trois descendants de déportés locaux de s’exprimer publiquement, parfois pour la toute première fois, afin de partager l’histoire de leur père ou de leur mère.

Après un grand soleil, la pluie s’invite lors de notre cérémonie à Cier-de-Luchon.

Le lendemain, samedi 14 juin, nous nous sommes retrouvés de bonne heure à l’hôtel Castel d’Alti de Bagnères-de-Luchon pour participer à notre Assemblée générale 2025, qui s’est déroulée tout au long de la matinée.

Bagnères-de-Luchon

Après un déjeuner convivial au restaurant panoramique des Thermes de Bagnères-de-Luchon, nous avons gagné le Théâtre du Casino pour assister au temps fort de notre congrès : le colloque « Résistance et Déportation dans le Luchonnais ». Celui-ci s’articulait en deux volets :

  • d’abord, un entretien avec Jean Lafaurie, déporté à Dachau et aujourd’hui âgé de 102 ans, qui a livré avec émotion son témoignage, revenant plus particulièrement sur le moment de la libération ;
  • puis un exposé consacré à la Résistance et aux passeurs dans les Pyrénées, en France comme en Espagne, animé par Thomas Ferrer, auteur de Passeurs et Évadés dans les Pyrénées, et Cristina Cristóbal, présidente de l’Amicale espagnole de Dachau.

Le compte rendu complet de ce colloque est disponible ici.

Au Théâtre du Casino : Cristina Cristóbal et Thomas Ferrer ; Jean Lafaurie interviewé par Dominique Boueilh.

Pour clore cette deuxième journée, une cinquantaine d’entre nous se sont retrouvés à la Guinguette du Lac de Badech pour partager un dîner savoureux dans une ambiance chaleureuse. Le trio Indigo, composé de Céline, Manon et Marie, y a interprété a capella plusieurs chants en langue occitane. À l’issue du repas, nous avons assisté, au bord du lac, à la crémation du brandon de la Liberté. Nous avons ensuite regagné la Guinguette afin de participer au bal de clôture, animé par les jeunes musiciens du groupe Estornapic ainsi que par des passionnés de danse traditionnelle, généreux de leurs conseils. Jean Lafaurie, notre invité d’honneur, fut parmi les derniers à quitter cette soirée mémorable…

Soirée à la Guinguette du Lac de Badech

Enfin, dimanche 15 juin, une visite pédestre de Bagnères-de-Luchon était au programme. Mais la pluie s’étant invitée dès le matin, la plupart d’entre nous a préféré demeurer à l’hôtel… Fort heureusement, le temps s’est éclairci avant midi, ce qui nous a permis de clore ce congrès 2025 par une belle cérémonie au monument aux morts, suivie d’une réception à la mairie de Bagnères-de-Luchon, avant de partager un dernier repas au restaurant.

Alicia GENIN

Cérémonie au monument aux morts de Bagnères-de-Luchon
Réception à la mairie de Bagnères-de-Luchon