Le dimanche 5 mai dernier, un millier de personnes se sont rassemblées, d’abord au crématorium puis sur la place d’appel du camp de Dachau, pour commémorer le 74e anniversaire de la libération.
Au crématorium, le maire de Dachau a remis des roses blanches à de jeunes lycéens : une coutume répétée chaque année en hommage à la Résistance allemande, baptisée la Rose blanche. Jean Samuel, ancien déporté, a alors pris la parole au nom du Comité International et rappelé les sévices physiques, moraux et psychologiques subis par les déportés.
Le Général Jean-Michel Thomas, Président du CID, a déposé une gerbe aux pieds du Déporté inconnu. Il était pour l’occasion accompagné de deux anciens déportés – Vladimir Feirabend et Jean Samuel –, du ministre de la Culture de l’ État libre de Bavière – le Dr Piazolo –, et de monsieur Freller, directeur des mémoriaux bavarois et vice-président du Parlement.
Le cortège – précédé du livre des morts porté par Roger de Tavernier, Président de l’Amicale belge, du drapeau du CID porté par Wilfried Quentin, et des drapeaux de toutes les nations représentées au camp – a ensuite remonté la Lagerstrasse jusqu’à l’Appelplatz dans un silence émouvant, uniquement ponctué par le son des cloches du carmel. Le drapeau français, c’est à souligner, était porté par Alicia, notre secrétaire récemment recrutée, qui faisait à cette occasion son premier voyage au camp.
Sur l’Appelplatz, l’assemblée a pu écouter l’orchestre de chambre de violons et violoncelles lui offrir un beau moment d’émotion. Gabriele Hammerman a salué les déportés, les autorités et toutes les personnes présentes, tandis que le ministre de la Culture a pris la parole pour traiter de la mémoire. Le Président du CID les a remerciés et leur a répondu dans un discours en allemand, dont nous vous présentons la version française ci-après. Enfin, les représentants des Sinti Roms et de Slovénie ont lu un texte en hommage à un déporté mort au camp, membre de leur communauté ou pays.
Puis ce furent le dépôt de la centaine de gerbes, la sonnerie du Last Post et le Chant des marais. Pour clore cette journée, ceux qui le souhaitaient se sont rendus à Hebertshausen à la cérémonie des officiers russes fusillés, pour ensuite prendre une collation à la maison Max Mannheimer avant de se quitter et de rentrer dans leurs pays respectifs.
Il est à noter que les autorités françaises étaient présentes en les personnes de monsieur le Consul général de France à Munich et de madame Descôtes, ambassadrice de France en Allemagne, lesquels ont pris le temps de venir saluer notre délégation française.
Ce fut sans conteste une cérémonie émouvante et empreinte de recueillement. Une fois encore, les commémorations de Dachau auront marqué les anciens, mais aussi les générations suivantes, qu’elles auront convaincues de poursuivre l’engagement de leurs aînés, par conviction autant que par devoir.
Discours de Jean Samuel au crématorium
Chers camarades, chers amis, Mesdames, Messieurs,
Aujourd’hui, nous sommes ici pour commémorer le 74e anniversaire de la libération du camp de Dachau et je vous souhaite la bienvenue au nom du Comité International, dont j’ai été longtemps le secrétaire général.
Mon ami Abba Naor, momentanément indisponible, mais qui reviendra ici en juin, m’a demandé de le remplacer pour vous accueillir.
Nous les anciens, qui sommes encore là, nous dirons que nous avons eu de la chance, la chance de pouvoir encore témoigner.
Pour moi, c’est d’abord ce train de Compiègne à Dachau, le 2 juillet 1944, surnommé le Train de la Mort, dont je fus l’un des 37 survivants sur les 100 camarades de mon wagon, déportés de France pour faits de Résistance, et entassés durant 3 jours par une forte chaleur.
Pendant notre déportation, à Dachau et dans les camps du Neckar, nous avons subi toutes les contraintes qui ont aliéné notre liberté : travaux forcés, faim, brimades. Notre espoir à la libération était de ne plus subir ces humiliations.
Nous sommes sincèrement attachés à la liberté, dont nous avons été privés, et à la défense avant tout de l’individu face à toutes les oppressions et contraintes.
Il faut être vigilant. Actuellement en Europe, on perçoit un relâchement et une menace qui semblerait porter atteinte à la liberté de pensée et d’opinion. Nous voyons ressurgir aussi des mouvements antisémites et nationalistes.
Mais ne perdons pas espoir, car nous voyons toute une génération de nos enfants et petits-enfants défendre les valeurs pour lesquelles nous avons combattu.
Je vous remercie.
Discours de Jean-Michel Thomas, Président du CID, sur l’Appelplatz
Les menaces sur la démocratie en Europe doivent nous interroger.
Le paysage politique s’est en effet modifié avec l’expression d’insatisfactions, de mécontentements et de frustrations. Les représentations parlementaires ont évolué et des inquiétudes se font jour pour les prochaines élections en Europe. Ce contexte international est fragile, avec l’inadmissible recrudescence de l’antisémitisme et l’islamisme radical, toujours présent.
Mais nous sommes aussi menacés par la relativisation du nazisme et de sa politique d’extermination, sous les balles des Einsatzgruppen, dans les chambres à gaz à Auschwitz, par le travail et la faim à Dachau et dans les autres camps de concentration. Nous connaissons les qualificatifs ignobles employés pour la négation de ces 12 années de nazisme, débutant par la construction du camp de concentration de Dachau en 1933, et il est inutile de rappeler ces abjections.
Cette posture de déni n’est plus marginale. Face à cette volonté d’ignorer ou de déformer le passé, il faut préserver l’histoire de cette époque et la mémoire des acteurs et actrices qui ont contribué il y a soixante-quatorze ans à d’autres perspectives qu’à une Europe brune et bottée.
À ce titre, les rescapés de Dachau furent parmi les premiers Européens. Au nom du « Plus jamais ça », ils ont été fidèles à la mémoire de tous leurs compagnons de misère : les opposants politiques, dont les premiers Juifs arrivés au camp, les résistants ayant combattu le régime nazi, les patriotes de tous les pays en guerre refusant de collaborer avec l’occupant, les prêtres, les Sinti et Roma, les homosexuels. Les rescapés souhaitaient d’abord que leur histoire, tellement inimaginable, soit crue et exposée. Leurs souhaits ont été exaucés, et les travaux de la Fondation, du Mémorial et de nombreux volontaires au sein d’associations sont désormais là pour les garantir. Qu’ils en soient remerciés.
Vouloir relativiser et mettre entre parenthèses le nazisme, c’est menacer la transmission de l’histoire et de ses leçons. Les tentatives de caricatures, de simplifications ignorant la réalité et de stigmatisation de toute résistance sont un réel danger. Elles rendraient impossible la connaissance et la compréhension par les nouvelles générations de l’histoire des tragédies du XXe siècle et de leur complexité. Et auraient pour effet de banaliser les actes criminels de tous les totalitarismes.
C’est dans ce contexte, en présence d’une hostilité réelle, que notre rassemblement et notre recueillement d’aujourd’hui prennent tout leur sens dans cette cérémonie internationale, dont il n’est pas inutile de rappeler le but et la signification.
Notre cortège vient de traverser avec ferveur tout le site du camp. Il était précédé par le livre des 40 000 morts à Dachau et dans ses camps extérieurs. Et il était accompagné par les derniers survivants, entourés par les drapeaux des nations des détenus de ce camp, portés par leurs descendants ou des jeunes soucieux de se souvenir.
La dernière étape émouvante de cette procession va se dérouler devant ce monument, au pied duquel nous allons nous incliner.
Ce mouvement a pour point d’orgue le dépôt de gerbes et le recueillement, pour honorer les morts qui se sont opposés et ont combattu le nazisme et son idéologie fondée sur le racisme et la xénophobie. Dachau a été l’un des premiers camps, construit moins de deux mois après l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Ses premiers détenus sont ceux qui se sont opposés à cette idéologie mortifère et qui ont été pourchassés pour leurs combats, leurs croyances et leurs opinions. Devenant rapidement la « maison mère », le modèle de formation à l’école de la violence pour tous les autres camps, Dachau est aussi devenu le symbole de la Résistance au nazisme.
Déposer aujourd’hui une gerbe au pied du monument aux victimes du camp de concentration de Dachau et de ses camps extérieurs a donc une valeur simple et universelle, qui dépasse les clivages et les divergences d’opinions sur la gestion immédiate de nos sociétés démocratiques. C’est en effet reconnaître le véritable aspect du nazisme et ses millions de victimes. C’est aussi honorer l’idéal et le martyr de ceux qui ont résisté et sacrifié leur vie à combattre cette idéologie.
Ce geste symbolique et compris de tous, cet hommage d’union, a une portée évidente. Il est bien sûr ouvert à toutes et à tous, sans exclusive, dans le respect et la fraternité. Et il est rendu, selon le rituel traditionnel, par les représentants des institutions fédérales et bavaroises, des communautés religieuses, des différentes nations et de leurs associations mémorielles, puis de tous les partis politiques, syndicats et associations qui le souhaitent.
Ce rassemblement international dans le recueillement est donc porteur d’espérance. La réalité historique ne peut être niée, ignorée, transformée ou adoucie. Elle nous interpelle et nous devons nous en souvenir et la respecter. Certains refusent cette évidence et rejettent cette démarche. Ils ne peuvent qu’être dévorés par leurs contradictions idéologiques.