
Quatre jours commémoratifs ont été nécessaires pour honorer ce 80e anniversaire, du jeudi 1er au dimanche 4 mai 2025. Dès le jeudi, le Mémorial accueillait les premiers participants, et le Comité International de Dachau (CID) était présent à la cérémonie avec dépôt de gerbe au kommando de Mühldorf, chargé de la construction d’abris aériens dans les bois. Sous l’égide du Souvenir français et avec la collaboration d’un groupe (essentiellement) vosgien, la mémoire de ce lieu et de ses victimes a pu être honorée, ouvrant ainsi le temps cérémonial de ce 80e pèlerinage.
Le vendredi 2 mai a été marqué par un forum des descendants, réunissant des représentants de toutes les nations ainsi que du mémorial KZ-Gedenkstätte Dachau et de la fondation bavaroise Stiftung Bayerische Gedenkstätten. Des mots de bienvenue ont été prononcés par Dominique Boueilh, président du CID, Gabrielle Hammermann, directrice du Mémorial de Dachau, et Karl Freller, directeur de la Fondation des mémoriaux bavarois, nous invitant à échanger entre nations.
Nous avions été sollicités pour préparer des biographies de déportés issus de nos familles respectives, au format A3, afin de les afficher sur des panneaux prévus à cet effet. Le CID et l’Amicale de Dachau avaient également créé des kakemonos pour une meilleure visibilité lors de cet événement. Des livres et des témoignages, consultables dans toutes les langues, ont permis de faire émerger une véritable synergie mémorielle.
À l’occasion de ce forum, nous avons assisté à une table ronde réunissant des enfants de déportés, qui ont relaté l’impact douloureux des camps de concentration. Étaient présents deux enfants de déportés allemands : Ernst Mannheimer, fils de Max Mannheimer, et Helmut Wetsel, psychologue, fils d’Otto Wetsel. Georg Smirnov, arrière-petit-fils du prisonnier de guerre soviétique assassiné Grigorij Dmitriewitsch Smirnow, a pris la parole pour évoquer la vie de son arrière-grand-père et s’exprimer au nom du Centre de documentation sur le nazisme de Cologne.
Monsieur Leslie Rosenthal, fils de Mirjam Rosenthal, a raconté l’arrivée de sa mère enceinte au camp externe de Landsberg-Kaufering, contrainte de dissimuler sa grossesse autant que possible, subissant affronts, violences et insultes, avant de donner naissance à ce bébé de Kaufering dans des conditions extrêmes. Son récit fut particulièrement émouvant, marqué par un moment de silence respectueux.
Nous avons également écouté Dominique Boueilh, président du CID et fils de Didier Boueilh, témoigner de l’histoire de son père et de l’impact multiforme de cette expérience sur ses enfants et petits-enfants, soulignant la singularité de chaque parcours familial face à un tel drame. Pour animer cette riche table ronde, madame Gabrielle Hammermann, directrice du Mémorial de Dachau, accompagnée de la journaliste Nora Hespers, a ouvert le dialogue à chacun, avant de laisser place à quelques questions du public.




Dans la continuité de cette journée particulièrement dense, des éclaircies ensoleillées nous ont accompagnés jusqu’au calvaire de Leitenberg, où nous avons retrouvé Florian Hartmann, maire de Dachau, ainsi que Dominique Boueilh, président du CID et de l’Amicale de Dachau, pour les discours. Le dépôt de gerbe, quant à lui, a été conduit par Serge Quentin, vice-président de l’Amicale de Dachau et membre actif du CID.

Puis, nous avons poursuivi le pèlerinage vers le Waldfriedhof afin d’y déposer une gerbe au pied du monument. À cette occasion, un groupe de descendants de libérateurs américains nous a remis à chacun un petit gâteau gaufrette, symbole de douceur, estampillé au 80e anniversaire de la libération du camp. Leur discours et leur attention ont été salués par l’ensemble des participants à cette cérémonie, et nous les remercions une fois encore pour leur délicatesse et ce témoignage très touchant. Nous avons terminé la cérémonie au pied du monument par le Chant des marais, repris par l’ensemble des participants dans une grande solennité.



Le lendemain, nous avons débuté la journée par l’Assemblée Générale, au programme dense, présidée par Dominique Boueilh, assisté de Cristina Cristobal, secrétaire générale du CID. Les différents rapports et l’avancement des groupes de travail ont été évoqués, dans l’ultime but de promouvoir la transmission de la mémoire.
Cette année, nous avions l’honneur d’accueillir les déportés George Legmann, Abba Naor et Jean Lafaurie. À l’issue de cette réunion, Cristina Cristobal et Jean-Michel Thomas ont organisé la remise du prix André Delpech à Florian Hartmann, maire de Dachau, et à la 42e US (Rainbow) Division. La 45e US Division recevait quant à elle le prix d’Honneur et la reconnaissance du CID. Deux libérateurs américains étaient venus spécialement pour cet événement.
Nous étions nombreux à saluer le courage et l’engagement de ces personnalités, et à féliciter monsieur Hartmann pour son dévouement et sa fidélité lors de toutes les commémorations à Dachau, ainsi que les deux majors généraux américains représentant les 45e et 42e délégations lors de la libération du camp le 29 avril 1945.
C’est avec beaucoup de soin que notre général français, ancien président du CID, Jean-Michel Thomas, a orchestré cette remise de prix en présence des vétérans et des officiers américains. Ces distinctions ont été remises par Dominique Boueilh et Joëlle Delpech-Boursier, fille du général André Delpech, accompagnée de sa famille – enfants, nièce et petits-enfants – que nous remercions chaleureusement pour leur présence.
Ce fut une belle démonstration de la transmission mémorielle, qui honore toute la notoriété de ce prix. La rencontre des trois déportés présents (Brésil, Israël, France) et des deux libérateurs américains fut un moment unique et fort, que nous avons partagé à la Mairie de Dachau, où les échanges ont pu se poursuivre autour d’un buffet de l’Amitié.







L’après-midi, nous nous sommes rendus à l’Appelplatz, où nous ont rejoints les 45e et 42e délégations américaines ainsi que leurs majors généraux, accompagnés de Jean Lafaurie, 101 ans, déporté français, et d’un libérateur américain. Tous deux ont tenu à rester debout pendant toute la durée de la cérémonie et du dépôt de gerbe, afin d’honorer leurs camarades respectifs.
Lors de ce temps commémoratif, Joëlle Delpech-Boursier, accompagnée de sa fille Alice et de sa belle-fille Elisabeth, a lu un extrait de son livre Avoir vingt ans à Dachau pour évoquer le jour de la Libération, le 29 avril 1945.
Devant le monument « Never Again », les deux majors généraux américains, le général Jean-Michel Thomas, et le président du CID Dominique Boueilh, ont salué tous les prisonniers. Ils ont ensuite été rejoints par Jean Lafaurie et le libérateur américain pour une photo unique, 80 ans après la Libération.




Dominique Boueilh, général Jean-Michel Thomas, Jean Lafaurie, Joëlle Delpech-Boursier, majors généraux américains, libérateur américain, Cristina Cristobal
Puis, nous sommes allés à Herbertshausen, un ancien champ de tir où 4000 à 4500 prisonniers de guerre de l’ex-Union soviétique ont été assassinés entre septembre 1941 et juin 1942. Le champ de tir de Herbertshausen faisait partie des nombreux lieux d’extermination nazis, où ils ne se contentaient pas de s’entraîner au tir. Il s’avère que, sur les 5,7 millions de soldats soviétiques faits prisonniers par les Allemands avant le printemps 1943, 3,3 millions furent assassinés jusqu’en mai 1945. Après les Juifs, ils furent les plus touchés par le terrorisme nazi, selon les mots d’Ernst Grube, survivant de la Shoah et président de la Communauté des anciens déportés de Dachau (Lagergemeinschaft Dachau e.V.). Il a terminé son discours en appelant à un temps et à une politique de paix, conformément à la Charte de l’ONU de 1945.
Ensuite, Franziska Sessler, membre du présidium de la Lagergemeinschaft Dachau, a pris la parole. Elle est l’arrière-petite-fille de deux résistants, Lina et Alfred Haag, et se présente comme membre de la quatrième génération après-guerre. Ses arrière-grands-parents étaient impliqués dans la résistance et ont survécu à onze années de torture. Ils en ont fait leur mission principale et ont continué à s’engager après leur libération. Dans son livre, Lina Haag adresse une lettre d’amour à son mari Alfred en 1947, où elle décrit onze ans de souffrance et de résistance, « une poignée de poussière ». Elle est décédée à l’âge de 105 ans, après avoir consacré sa vie à témoigner et à poursuivre la résistance. Quant à Alfred Haag, il s’est engagé après la guerre, est devenu président de la WN-BdA bavaroise et membre du Comité International de Dachau, tout en témoignant dans les écoles. Franziska Sessler poursuit aujourd’hui la mission de ses arrière-grands-parents en siégeant au présidium.
Enfin, nous avons applaudi le discours de Marine de France, bénévole à l’église protestante de la Réconciliation et au Dachauer Forum dans le cadre de son service civique. Elle a promu la paix et la pédagogie de la transmission de la mémoire, afin de préserver l’histoire.




Nous avons poursuivi le pèlerinage vers le Mémorial des marches de la mort, où nous avons retrouvé, comme chaque année, le maire de Dachau, Florian Hartmann. En cette veille de la cérémonie de la Libération, il a rappelé l’horreur de cette marche organisée par les SS, quelques jours avant la libération, au cours de laquelle de nombreux prisonniers d’Auschwitz sont morts d’épuisement ou ont été tués.
Le Mémorial des marches de la mort, érigé il y a 25 ans par Hubertus von Pilgrim à Dachau, marque, selon lui, le point final du système de terreur nazi. Il insiste sur la nécessité de ne pas oublier ces événements et de rester vigilants face au racisme et à l’antisémitisme.
Il a salué la 42e division américaine, le CID, ainsi qu’Andrzej Kacorzyk, directeur adjoint du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Noémie Hernandez-Bernard, bénévole ASF dans le cadre de son service civique à l’Église évangélique de la Réconciliation, qui prendront la parole juste après son intervention. Un mot de remerciement a également été adressé aux représentants politiques du Land, du Kreis, de la ville, du CID, ainsi qu’aux délégations officielles des villes jumelées de Dachau, Fondi et Léognan, sans oublier les communes amies d’Oradour-sur-Glane et d’Oswiecim, invitées pour ces commémorations.
Il a ensuite passé la parole à Andrzej Kacorzyk, qui a décrit les conditions épouvantables de cette marche de la mort depuis les camps d’Auschwitz I, de Birkenau et de Monowitz, où 56000 prisonniers furent conduits vers Wodzislaw Slaski pour certains, et vers Gleiwitz pour d’autres, sur plus de 60 kilomètres. Entre 9000 et 15000 prisonniers ont perdu la vie par épuisement, par le froid, sous les coups, ou ont été assassinés.
Rappelons d’ailleurs les conditions météorologiques rudes de l’hiver 1944-1945, avec ses fortes gelées et ses températures négatives, qui ont entraîné des conditions extrêmes, mais n’ont pas empêché des tentatives d’évasion tout au long du parcours. Certaines personnes ont témoigné, comme les prisonnières Krystyna Zywulska, Olga Lengyel et Seweryna Szmaglewska, qui ont survécu et laissé des écrits devenus célèbres : J’ai survécu à Auschwitz (K. Zywulska), Cinq cheminées (O. Lengyel), Fumée au-dessus de Birkenau (S. Szmaglewska).
De nombreux prisonniers ont été tués lors de leur tentative d’évasion, mais quelques-uns ont pu être aidés par des familles qui risquaient leur vie. Ces familles ont plus tard été honorées par l’Institut Yad Vashem, qui leur a décerné la médaille des Justes parmi les Nations.
Le discours fut ponctué de passages évoquant les symboles de mémoire déposés lors d’un pèlerinage, tels que des bougies et des fleurs, qui rappellent ce que la mémoire peut nous apporter. En reprenant ces mots : « La mémoire nous guide », « la mémoire nous enseigne », « la mémoire nous rend conscients », « la mémoire est douloureuse », « la mémoire est préventive », « la mémoire nous oblige ».
Puis, c’est au tour de Noémie Hernandez-Bernard, 19 ans, volontaire pour ASF – Action Réconciliation Service pour la Paix – à l’église de la Réconciliation du Mémorial du camp de Dachau, de prendre la parole en français et en allemand pour faire part de son expérience et de ses rencontres au sein du Mémorial. Elle déclare, je cite : « Je porte désormais en moi les voix de celles et ceux que j’ai rencontrés, mais aussi celles de tous ceux qui n’ont jamais pu témoigner. » Elle a eu la chance de rencontrer Jean Lafaurie quelques mois auparavant. Grand défenseur de la France et déporté à Dachau, il était lui-même présent lors de cette journée commémorative, au cours de laquelle elle a récité le poème « L’insomnie », extrait du recueil Esquisses poétiques de Jean Lafaurie.
L’insomnie
Des images défilent sur l’écran de mes nuits
Empêchant le sommeil de vaincre l’insomnie.
Les portes de l’enfer se ferment pour Morphée
Mais s’entrouvrent pour moi sur un triste passé.
Il a laissé sur moi des marques indélébiles
Rendant pour moi l’oubli quasiment impossible.
D’abord, parler d’oubli, ce serait trahison,
Car j’ai laissé là-bas mes meilleurs compagnons.
Comme moi, ils étaient résistants convaincus
Et nos résolutions étaient dans l’absolu.
On croyait en la France, c’était notre support
C’est pourquoi on nous a déportés vers la mort.
Le destin fait parfois des choix inexpliqués,
Eux sont restés là-bas, moi j’ai été sauvé.
Ils sont morts en pensant qu’ils seraient les derniers,
Que la leçon servirait à toute l’humanité.
Tel Phénix s’ils pouvaient renaître de leurs cendres,
Ils viendraient, c’est certain, crier d’indignation
De voir autant d’humains aujourd’hui se pourfendre
Pour des questions d’ethnie ou bien de religion.
Jean Lafaurie, Neste, 23 septembre 1993




Maires de Fondi, Léognan, Oradour-sur-Glane, Oswiecim, avec Florian Hartmann, maire de Dachau,
Noémie Hernandez-Bernard avec Jean Lafaurie
Dans la soirée, le dîner réunissait les membres du CID et les membres de la délégation américaine. Nous avons eu l’opportunité de visionner un reportage réalisé par Antony Penrose, fils de Lee Miller, présent parmi nous. Nous y avons découvert les photographies prises par sa mère le jour de la libération du camp de Dachau. Le film Lee Miller, réalisé en 2023 par Ellen Kuras, retrace la vie de Lee Miller, interprétée par l’actrice Kate Winslet, et son combat pour dévoiler la vérité.

Les cérémonies dominicales ont débuté au crématorium, comme chaque année, grâce à l’étroite collaboration du maître de cérémonie Serge Quentin, responsable du protocole des commémorations. Elles ont suivi le culte œcuménique au carmel Heilig Blut, la messe orthodoxe russe à la chapelle de la Résurrection, ainsi que la commémoration de la Fédération régionale des communautés religieuses israélites de Bavière devant le monument juif.
Cette année, la cérémonie au crématorium s’est déroulée en comité plus restreint : seuls les membres du CID et les autorités étaient autorisés à y assister, afin de préserver le recueillement nécessaire dans ce lieu chargé d’histoire et porteur du message « Never again ».
Tous les drapeaux des nations représentées dans le camp de Dachau formaient une haie d’honneur, portée par les jeunes du lycée de Dachau. Après de nouveaux discours, le cortège s’est mis en marche, précédé du Livre des Morts porté cette année par Arthus Haulot, suivi des porte-drapeaux, des déportés présents et des autorités, traversant l’allée centrale du camp jusqu’au grand chapiteau de l’Appelplatz. La traversée du camp, sous la pluie, s’est effectuée au son des cloches et pouvait être suivie sur des écrans géants installés sous le chapiteau, permettant à ceux qui ne pouvaient se rendre au crématorium de participer à la cérémonie.
Les discours des autorités allemandes ont ensuite débuté, avec le mot de bienvenue de Gabrielle Hammermann, directrice du Mémorial de Dachau, suivi de Karl Freller, directeur de la Fondation des mémoriaux bavarois, et de Dominique Boueilh, président du Comité International de Dachau. Nous avons ensuite écouté Julia Köckner, présidente du parlement fédéral allemand, Bud Gahs, représentant des libérateurs et vétéran des troupes américaines, ainsi que les témoignages de Jean Lafaurie, Abba Naor et Leslie Rosenthal. Ulrike Scharf, ministre de la Famille, du Travail et des Affaires sociales de l’État de Bavière, et Ilse Aigner, présidente du parlement bavarois, ont également pris la parole.
Nous remercions le Quatuor du Jewish Chamber Orchestra de Munich, qui a accompagné les transitions entre les discours et les témoignages.
Un hommage aux anciens déportés décédés dans l’année a été rendu par Joséphine Hildinger et Clea Schendel, en service civique culture et éducation au Mémorial de Dachau, suivi d’une minute de silence.
Nous avons ensuite été invités à nous recueillir auprès des gerbes préalablement déposées, en commençant par les autorités, puis nation par nation. Nous avons chanté le Chant des marais, accompagné par le clairon, avant de nous incliner et de nous recueillir en mémoire de tous les déportés qui ont donné leur vie pour notre liberté.
Sandra QUENTIN





