Cérémonies d’Eysses – 25 et 26 février 2023

C’est tous les ans le même rituel, mais un rituel indispensable à l’entretien de la mémoire de l’insurrection d’Eysses de février 1944.

Une histoire rappelée par Jean Lafaurie, président de l’Association des Anciens d’Eysses et solide ancien déporté de 99 ans. Monsieur Lafaurie a rendu un hommage appuyé à nombre de ses camarades fusillés, abattus ou décédés faute de soins. Et de terminer son discours par ces mots, soulignant ce que la « République d’Eysses » avait apporté aux déportés :

« La volonté de continuer nos combats, le premier était de ne pas perdre notre dignité d’hommes, ensuite de saboter tout ce que nous pouvions. C’est cet esprit de solidarité que nous avons créé à Eysses qui nous a permis de les gagner. »

Monsieur le maire de Villeneuve-sur-lot, Guillaume Lepers, a rappelé que :

« Ces 1200 hommes incarnaient la résistance dans ce qu’elle avait de plus grand. Ils étaient issus de toutes les catégories sociales et de tous les milieux professionnels, mais ils avaient le même idéal : ensemble continuer la lutte. Souvenons-nous de ces hommes qui ont lutté par conviction, pour défendre nos valeurs d’égalité, de fraternité et de liberté. Nous devons aux résistants d’Eysses de perpétuer leur souvenir, le souvenir de leur épopée, le souvenir de leur incroyable courage : nos enfants doivent entendre cette histoire, car elle est leur HISTOIRE. »

En fin de cérémonie, Olivier Rivière, fils du résistant déporté Marcel-Gabriel Rivière, ancien de Dachau, a reçu avec beaucoup d’émotion le diplôme et la médaille de la Résistance, attribués à son père à titre posthume.

Michèle JUBEAU-DENIS
Présidente de l’Amicale de Dachau Nouvelle-Aquitaine

Olivier Rivière recevant, pour son père à titre posthume, le
diplôme et la médaille de la Résistance.

Cérémonie du Père Lachaise 2022

Traditionnellement, pour les fêtes de la Toussaint, la FNDIRP rend hommage aux victimes de la barbarie nazie en déposant des fleurs au crématorium, au jardin du Souvenir, au pied des Monuments de chacun des camps de concentration, devant la tombe de Christian Pineau et devant le caveau de la FNDIRP, au cimetière du Père Lachaise.

L’Amicale de Dachau sera présente lors de cette cérémonie et vous invite à l’y rejoindre le :

Jeudi 27 octobre 2022 à 10 heures au Cimetière du Père Lachaise

Rendez-vous à 9 h 45 devant l’entrée, rue des Rondeaux (métro Gambetta)

Cérémonie à la gare de Penne-d’Agenais (Lot-et-Garonne) – 28 mai 2022

Il y a 78 ans, le 30 mai 1944, 1200 résistants de toutes sensibilités, livrés aux nazis par Vichy, partaient de la gare de Penne-d’Agenais en wagons plombés.

La commémoration a eu lieu en présence de monsieur le Sous-Préfet, de Jean Lafaurie, ancien d’Eysses, de monsieur le Maire, Arnaud Devilliers, de porte-drapeaux, de maires et élus des communes voisines, de représentants des Amicales d’Eysses et de Dachau, d’associations mémorielles et de membres du public.

Monsieur Lafaurie, trop ému pour parler au souvenir de ce sinistre voyage, a laissé monsieur Guy Victor, président de l’ANACR, rappeler qu’il y a 78 ans ces hommes prenaient la direction de Compiègne, où ils n’arriveraient que le 3 juin, à l’aube, pour en repartir le 18 juin à destination de Dachau.

Livrés à la division Das Reich, de sinistre mémoire, ces 1200 résistants avaient parcouru les 8 kilomètres d’Eysses à la gare de Penne. Une centaine d’entre eux avaient effectué le trajet à pied, à une cadence infernale, sous les hurlements et coups des SS ; les autres avaient été chargés dans des camions.

Le premier mort de cette déportation fut un républicain espagnol, Angel Huerga. Les 1200 noms gravés dans la stèle sont ceux de résistants dont la seule volonté était de retrouver une France libre.

Michèle JUBEAU-DENIS

Commémoration du départ du Train de la Mort (78e anniversaire)

Mémorial des Martyrs de la Déportation, 2 juillet 2022

Le 2 juillet 1944, le convoi n°7909 partait de la gare de Compiègne à destination du camp de concentration de Dachau, transportant à son bord plus de 2000 détenus. Entassés par groupes de 100 dans des wagons à bestiaux ne pouvant en principe accueillir plus de 40 hommes, les prisonniers allaient voyager debout pendant trois jours, chacun disposant d’un espace vital aux dimensions comparables à celles d’une feuille de papier A4. À ces conditions inhumaines s’en ajouteraient d’autres au cours du trajet : le manque de ravitaillement, mais aussi une chaleur suffocante, car les déportés eurent la terrible malchance de voyager par temps caniculaire. Le 5 juillet, à l’arrivée en gare de Dachau, des corps innombrables et sans vie furent extraits des wagons. Selon certaines estimations, 984 cadavres prirent la direction du four crématoire du camp de Dachau, qu’ils alimentèrent quatre jours durant.

Pour des raisons évidentes, ce convoi n°7909, dit « Train de la Mort », tient une place importante dans le cœur des déportés de Dachau et leurs familles. Notre Amicale en rend compte le 2 juillet de chaque année à la crypte du Mémorial des Martyrs de la Déportation (Paris), où elle se réunit pour un moment de recueillement. Cette année, nous avons tenu à en faire un événement de plus grande ampleur, car nous avons de nouveau fait l’impasse sur l’organisation d’un congrès, 2022 restant marquée par de trop nombreuses incertitudes liées à la crise sanitaire. Ce samedi 2 juillet, vous étiez donc également invités à participer à un cocktail déjeunatoire ainsi qu’à notre Assemblée Générale, qui se sont tenus à la suite de la cérémonie dans une salle conviviale située à proximité.

Reflet de la reprise de notre vie associative, nous étions une quarantaine – soit près du double de l’année précédente – à nous rassembler à la crypte, où nous avons été accueillis par Dominique Boueilh, président de notre Amicale. Au cours de son allocution de bienvenue, notre président s’est également félicité d’un autre fait exceptionnel : quatre générations composaient notre assemblée ce jour-là, près d’un siècle séparant la plus jeune membre présente de notre représentant le plus âgé ! Preuve d’un véritable attachement transgénérationnel à la mémoire de la Déportation… Dominique Boueilh a également souligné notre incroyable privilège de compter parmi nous trois anciens de Dachau, dont deux témoins directs de la tragédie du Train de la Mort.

Jean Samuel, Jean Lafaurie et André Gaillard se tiennent devant la tombe de la crypte, où sont inhumés les restes d’un déporté inconnu. Sur la gauche, Estelle Samuel, épouse de Jean, et Jean-Michel Thomas, président du Comité International de Dachau. Sur la droite, Pierre-Antoine Quentin, qui portait notre drapeau ce jour-là, et Dominique Boueilh, président de notre Amicale nationale.

André GAILLARD
André Gaillard est né le 10 octobre 1922 et fêtera donc ses 100 ans cette année. Déporté par le Train de la Mort parti de Compiègne le 2 juillet 1944, il est arrivé le 5 juillet 44 à Dachau, où il a reçu le matricule 76834. André Gaillard avait été arrêté dans un collège d’Avon, où le directeur cachait des enfants juifs et des gens qui, comme lui, refusaient de se soumettre au service de travail obligatoire en Allemagne. André Gaillard était surveillant dans ce collège. Après son arrivée à Dachau, André Gaillard fut transféré vers le centre de l’Allemagne, au camp du Neckargerach. Il y fut employé dans une mine de gypse, où les Allemands voulaient construire une usine à l’abri des bombardements. André Gaillard fut libéré et pris en charge par les Américains début avril 1945.

Jean LAFAURIE
Né le 30 novembre 1923, Jean Lafaurie fêtera ses 99 ans en fin d’année. Il a quant à lui été déporté par un autre convoi, arrivé à Dachau le 20 juin 1944. À Dachau, il a reçu le matricule 73618. Maçon et cimentier, Jean Lafaurie était entré dans la Résistance dès l’appel du général de Gaulle, à l’époque en réécrivant des tracts qu’il distribuait. En décembre 1940, il avait rejoint l’Organisation Spéciale, puis, en 1942, les Francs-tireurs et partisans français, dans le maquis Guy-Moquet situé en Corrèze. Arrêté le 14 juillet 1943, il fut emprisonné à la prison de Tulle puis de Limoges, où il passa devant une section spéciale qui le condamna à 5 ans de travaux forcés. Muté à la centrale d’Eysses en octobre 1943, il participa aux diverses manifestations résistantes et à la tentative d’évasion avortée du 19 février 1944. Le 30 mai 1944, il fut livré aux SS par le gouvernement de Pétain et transféré au camp de Compiègne. Le 18 juin 1944, il partit pour le camp de concentration de Dachau, dont il fut finalement libéré le 29 avril 1945 par les Américains.

Jean SAMUEL
Né le 15 décembre 1923, Jean Samuel quitte Paris à la suite de la débâcle, et part travailler comme aide-comptable à Agen. En 1942, il participe au ravitaillement du maquis situé sur le plateau des Causses près de Millau. En 1943, il entre au réseau Plutus du mouvement Combat. Service des approvisionnements en faux-papiers de la plupart des mouvements ou organisations de la Résistance, d’abord en zone sud, puis en zone nord. En mai 1944, il est arrêté dans le bureau des faux-papiers, Cité des Fleurs, dans le 17e arrondissement, à Paris. Torturé pendant deux jours par la Gestapo, rue des Saussaies à Paris, il résiste au supplice de la baignoire. Il est transféré le 18 mai à la prison de Fresnes. Il en repart le 27 juin, pour Compiègne, où il reste environ une semaine. Déporté à Dachau le 2 juillet 1944 par le Train de la Mort, il est ensuite envoyé à Neckargerach. En 1945, il subit la marche de la mort de Neckargerach à Dachau. Jean sera libéré, à Dachau, le 29 avril 1945 par les Américains.

Après avoir retracé dans les grandes lignes le parcours des déportés présents à la cérémonie, Dominique Boueilh a encouragé ceux-ci à prendre la parole, concluant son allocution par ces mots : « Plus que les longs discours, je vous invite à profiter du privilège de la présence d’André Gaillard, de Jean Samuel et de Jean Lafaurie pour écouter leur témoignage direct. Faisons de leur voix encore présente le dernier instrument pour lutter contre le retour des courants et des idéaux obscurs qui encombrent notre société et notre monde géopolitique, pour lutter contre les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, et pour rappeler le sens du seul combat qui doit nous animer, celui de l’esprit de Dachau. »

Jean Samuel et André Gaillard, tous deux survivants du convoi du 2 juillet, ont ainsi évoqué leurs souvenirs. 78 ans après les faits, Jean Samuel s’est dit « étonné d’être là et de pouvoir [nous] en parler ». Il nous a rappelé que, en raison de l’épuisement, de la faim et du manque d’air dans les wagons, certains détenus étaient devenus fous et en étaient venus aux mains. Dans son wagon, on dénombra ainsi 60 morts à l’arrivée en gare de Dachau. Rescapé du Train de la Mort puis du camp de concentration de Dachau, où le typhus, le manque de sommeil et de nourriture continuaient d’emporter ses camarades, Jean a mesuré sa chance d’en revenir vivant, mais aussi d’avoir pleinement recouvré la santé après la libération. Marié à Estelle, qui l’accompagnait encore ce jour-là, ils vivent heureux depuis plus de 70 ans.

Quant à André Gaillard, il a souhaité rendre hommage à trois de ses bons amis de Compiègne : Guillaume d’Ussel, Marc Gervais et Jean Sordet, survivants eux aussi du terrible voyage débuté le 2 juillet 44. Guillaume d’Ussel mourut d’épuisement fin 1944 à Neckargerach. Marc Gervais, qui avait lui aussi été transféré à Neckargerach depuis Dachau, fut par la suite envoyé dans un autre camp, celui de Vaihingen, où il perdit la vie. Ce camp est une évocation terrible pour les déportés car, sur la centaine de détenus qui y fut transférée en décembre 44, moins de 10 en sont revenus vivants. Enfin, André Gaillard nous a parlé de Jean Sordet (dont le fils Guillaume se trouvait parmi nous ce jour-là), qui survécut à l’enfer des camps et put assister à la libération, mais qui décéda quelque temps après.

C’est ensuite Danièle Meyer qui est intervenue pour nous lire un petit mot de son père, Yves Meyer, autre déporté du Train de la Mort. Toujours fidèle à notre cérémonie annuelle, Yves Meyer n’a malheureusement pas pu se joindre à nous cette fois-ci pour raisons de santé, mais tenait à s’en excuser, nous accompagner par la pensée et nous assurer de son amitié.

Enfin, Dominique Boueilh a repris la parole pour inviter Joëlle Boursier – fille du général André Delpech, survivant de ce convoi de la mort et ancien président de l’Amicale de Dachau – à procéder au dépôt de gerbe. Joëlle a déposé la gerbe en compagnie d’Anne, sa petite-fille âgée de 8 ans. Elles étaient suivies de Dominique Boueilh et de madame Véronique Peaucelle-Delelis, directrice générale de l’ONACVG, qui nous a fait l’honneur, pour la deuxième année consécutive, de répondre favorablement à notre invitation. Nous avons ensuite observé quelques minutes de silence, puis avons entonné le Chant des Marais pour clore cette cérémonie.

Dominique Boueilh, Joëlle Boursier et Anne.

La cérémonie terminée, nous nous sommes attardés quelque temps dans les salles supérieures du Mémorial, afin de profiter du parcours pédagogique récemment enrichi. Puis, nous avons quitté les lieux pour nous rendre tous ensemble dans la salle où nous avons organisé notre cocktail déjeunatoire et tenu notre Assemblée Générale annuelle.

Alicia GENIN

Cérémonies du 8 mai 2022

Les délégués régionaux de notre Amicale étaient également présents aux cérémonies du 8 mai organisées sur l’ensemble du territoire français. Pour certains d’entre eux, comme Michèle Jubeau-Denis et Dany Périssé, ces commémorations ont offert l’opportunité de présenter notre exposition Dachau. Pour d’autres, elles ont été l’occasion de rendre hommage à des héros de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, notons par exemple que la commune de Batilly, en Meurthe-et-Moselle, a honoré ce 8 mai un couple de passeurs, Paul et Hélène Soine, en apposant une plaque commémorative sur le mur de l’ancienne poste, aujourd’hui bâtiment communal.

Les époux Soine sont les grands oncle et tante de Danielle Quentin et Jacky Guillaume, tous deux membres de notre Amicale. Venus d’Angers en famille, ils ont été invités à dévoiler la plaque devant une nombreuse assistance, des élus locaux, des enfants des écoles, des sapeurs-pompiers, et une fanfare qui fit résonner l’hymne national et le chant des partisans, avant de clore la cérémonie. Il y a quelques années, le bulletin de l’Amicale avait relaté l’engagement de ces personnes. Aujourd’hui, leur dévouement est gravé à jamais dans le marbre.

Et pour terminer cet article, quelques photos de la cérémonie de Paris, en présence du président de la République :

Ravivage de la Flamme sous l’Arc de Triomphe – 29 avril 2022

Comme chaque année, un petit groupe de représentants de l’Amicale était présent le 29 avril sous l’Arc de Triomphe pour la cérémonie du Ravivage de la Flamme, marquant cette fois le 77e anniversaire de la libération du camp de Dachau.

Wilfried Quentin, notre porte-drapeau, aux côtés de Pierre Schillio, notre Secrétaire Général depuis 49 ans.
Pierre Schillio est entouré de son fils Pascal et de Catherine Regnier pour déposer la gerbe de l’Amicale.
Des membres de l’Amicale sous l’Arc de Triomphe.

Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la Déportation – 24 avril 2022

La Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la Déportation est chaque année l’occasion de rappeler des événements que l’humanité a condamnés et que nul ne souhaite voir se reproduire.

Il y a 77 ans prenait fin en effet le système concentrationnaire et génocidaire nazi, dont le monde découvrait l’horreur à mesure de la progression des Armées alliées et des récits des survivants.

Ce système fut l’instrument de la destruction d’une grande partie des populations juives et tsiganes d’Europe. Il fut aussi le lieu de détention et de martyre de centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, déportés pour leur résistance à l’occupant, pour raison politique, du fait de leurs origines, de leur religion, voire de leur orientation sexuelle, ou dans le cadre de rafles de représailles.

Confrontés à la mort omniprésente, à la déshumanisation programmée, à la terreur, aux souffrances incessantes que la faim, la maladie et la brutalité de leurs gardes leur infligeaient, nombre de déportés surent pourtant organiser une résistance et une solidarité exemplaires que beaucoup payèrent de leur vie mais qui sauva de nombreux autres.

Sortis de cet enfer, fidèles aux serments qu’ils prononcèrent à la Libération, aux idéaux de Liberté, de Fraternité et de Paix, de nombreux survivants prirent une part active à la construction d’une Europe nouvelle, voulue pacifique et solidaire, et militèrent inlassablement pour que partout dans le monde soient respectés les droits de l’Homme et la démocratie.

La résurgence d’idéologies porteuses d’exclusions, les tentatives de réécriture de l’Histoire nous font aujourd’hui obligation de poursuivre leur combat et d’entretenir les valeurs qu’ils ont portées, dans un monde marqué par les guerres, la pauvreté, les inégalités, le dérèglement climatique, qui jettent sur les routes d’un exil souvent sans issue et mortifère, des milliers d’êtres humains en détresse. Dans un monde où l’on voit ressurgir le spectre des dictatures, des replis nationalistes et des frontières qui se ferment, l’espoir pour l’avenir réside dans la pérennité de ce combat.

Ce message a été rédigé conjointement par la Fédération Nationale des Déportés, Internés, Résistants et Patriotes (FNDIRP), la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (FMD) et les Associations de mémoire des camps nazis, l’Union Nationale des Associations de Déportés Internés de la Résistance et Familles (UNADIF-FNDIR).

Aperçu de cette Journée nationale dans quelques-unes de nos régions :

MAINE-ET-LOIRE

Le dimanche 24 avril 2022 à 11 heures, la ville de Cholet, membre de l’Amicale de Dachau, a organisé sa cérémonie annuelle en hommage aux déportés. Celle-ci s’est déroulée au monument aux morts de la place Créac’h Ferrari, en présence du maire de la ville (monsieur Gilles Bourdouleix), de monsieur le sous-préfet de l’arrondissement, du Souvenir français et de nombreux porte-drapeaux. Les associations étaient particulièrement bien représentées avec la Société de la Légion d’honneur, l’Ordre national du Mérite, les Amis de la Gendarmerie, les Bérets verts de la Légion étrangère, et surtout les associations des camps de concentration et leurs familles.

À cette occasion, le colonel Serge Quentin, président de l’Amicale de Dachau des Pays de la Loire et vice-président de notre Amicale nationale, a lu le message des associations de déportés (voir ci-dessus) et déposé la gerbe au pied du monument aux morts, où figure Marcel Doutreligne, résistant et déporté choletais mort au camp en 1945.

CÔTE-D’OR

Dimanche 24 avril 2022, Dijon, ville membre de notre Amicale, a honoré les victimes et les héros de la Déportation dans le cadre de la journée nationale du souvenir qui leur est dédiée. La cérémonie s’est déroulée au monument des Martyrs, au square Edmond Debeaumarché. Ils étaient nombreux – officiels, civils et militaires, passants et membres d’associations de déportés – à s’être donné rendez-vous pour ce moment de recueillement symbolique. Deux gerbes ont été déposées au pied du monument des Martyrs, l’une par les déportés et leurs familles, l’autre par le secrétaire général de la préfecture de Côte-d’Or. Le Chant des partisans et Le Chant des marais ont été interprétés par Marcel Suillerot, président de la section de Côte-d’Or de la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes, accompagné pour cette occasion par des élèves du lycée Carnot à Dijon.

À VENIR : En partenariat avec la ville de Dijon et le département de la Côte-d’Or, les 12 associations et amicales membres du comité de parrainage du Concours national scolaire de la Résistance et de la Déportation (CNSRD) conçoivent pour la fin 2022 un parcours mémoriel recensant 20 lieux de mémoire de la Seconde Guerre mondiale à Dijon. On retrouvera par exemple la salle des États où furent jugés 15 résistants de l’Auxois fusillés le 1er mars 1944, le siège de la Gestapo, ou encore le mémorial des fusillés.

CHARENTE

Ce dimanche 24 avril 2022, les autorités civiles et militaires étaient présentes au monument aux morts de Cognac.

Après la lecture du message des associations par la présidente, quatre jeunes de monsieur Ferchaud, professeur d’histoire, ont ému et surpris le public. Élèves de première et de terminale de la classe Défense et sécurité globale du lycée Beaulieu de Cognac, Gauthier de Rostolan, Arséne Déhec, Clarisse Morineaud et Clémence Ferchaud ont lu des textes retraçant le sacrifice de quatre résistantes cognaçaises : madame Alice Cailbault-Gardelle, décédée le 8 mars 1943 à Auschwitz, madame Yvonne Pateau, décédée à Birkenau le 9 mars 1943, madame Marguerite Vallina-Maurin, décédée à Auschwitz fin février 1943, et madame Marie Rivière-Quérois, NN, décédée à Ravensbrück le 15 février 1945. Ces trois premières résistantes faisaient partie du « convoi des 31 000 ».

Ces femmes laissèrent derrière elles des orphelins, dont un, Jean Vallina, sera déporté à 16 ans à Sachsenhausen, d’où il reviendra très éprouvé, ayant vu son père torturé avant son départ. Quant à leurs époux, trois sur les quatre ont été fusillés : monsieur Alexandre Pateau et monsieur Lucien Vallina au camp militaire de Souge (33), et monsieur Fernand Rivière au stand de tir des Groues, à Saint-Jean-de-la-Ruelle (45).

Il est important de ne pas les oublier.

Michèle JUBEAU-DENIS
Présidente de l’Amicale de Dachau de
Nouvelle-Aquitaine

À propos des quatre résistantes honorées à la cérémonie de Cognac

Alice CAILBAULT-GARDELLE

Née le 1er avril 1906 à Javrezac, résistante région Cognac réfugiée chez ses parents, Alice Cailbault-Gardelle habite Saint-Laurent-de-Cognac.
En juin 1940, son mari est arrêté à Dunkerque et emprisonné en stalag en Allemagne.
En juillet 1942, elle accepte d’héberger des résistants à la demande de Marguerite Vallina, son amie d’enfance.
Le 12 août 1942 à 5 heures du matin, suite à une dénonciation, elle est arrêtée avec sa fille de 18 ans, Andrée, qui sera relâchée dans la matinée.
Elle est emprisonnée au fort du Hâ, à Bordeaux. Elle part pour Romainville en train plombé, puis en camion pour Compiègne, d’où elle repart le 24 janvier 1943 via le « convoi des 31 000 ».
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise : les hommes partent pour le KL de Sachsenhausen, tandis que les femmes partent pour Auschwitz-Birkenau. Là, elle reçoit le matricule 31738, tatoué sur son avant-bras gauche.
Le 12 février 1943, elle est transférée au mouroir du camp des femmes, souffrant d’œdèmes, de jambes très enflées, la rendant incapable de marcher.
Elle décède le 8 mars 1943 à Auschwitz et est inhumée en Allemagne.

Yvonne PATEAU

Yvonne Pateau est née le 14 novembre 1901 à Angles (Vendée).
Résistante région Cognac, elle habite une petite ferme à côté de Saint-André-de-Cognac. Avec son mari, elle cache des armes du côté de Jonzac (17), dans les carrières.
Suite à une dénonciation, mari et femme sont arrêtés le 28 juillet 1942, alors que leur fils Stéphane est âgé de 4 ans à peine. Le soir même, ils sont conduits au fort du Hâ.
Le 12 août 1942, la Gestapo arrête le frère d’Alexandre Pateau et sa femme, qui sont également transférés au fort du Hâ. La famille d’Yvonne Pateau (son frère Célestin, la femme de celui-ci et ses deux sœurs) est arrêtée elle aussi et internée au camp de Mérignac.
Le 21 septembre 1942, Alexandre Pateau est l’un des 70 otages fusillés au camp militaire de Souge, avec Lucien Vallina et d’autres époux des futurs « 31 000 ».
Le 22 janvier 1943, Yvonne Pateau part de Romainville pour Compiègne en camion, puis, le 24 janvier, c’est le départ pour Auschwitz via le « convoi des 31 000 ». Les déportées descendent sur le quai de débarquement de la gare de Halle et sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau.
Yvonne Pateau est enregistrée sous le matricule 31728, tatoué sur son avant-bras gauche.
Le 3 février 1943, les « 31 000 » sont assignées au block 25, mouroir du camp des femmes.
Yvonne Pateau est atteinte de néphrite aigüe et meurt à Birkenau le 9 mars 1943.

Marguerite VALLINA-MAURIN

Née le 14 janvier 1906 à Moings (17), Marguerite Vallina-Maurin est fille de boulangers à Jarnac-Champagne (17).
En 1927, elle épouse Lucien Vallina à Cognac. Ensemble, ils ont trois enfants, Jean, né le 10 juillet 1926, Lucienne, née en 1928, et Serge, né en 1934.
En 1934, la famille Vallina part en Espagne. Deux ans plus tard, Marguerite rentre en France avec ses enfants, tandis que son mari reste en Espagne pour y continuer la guerre. Par la suite, Marguerite réussit à faire libérer son époux, emprisonné à Gurs (64).
En 1939, la famille s’installe rue de Boutiers. De son côté, Marguerite, résistante région Cognac, héberge des combattants, recherche des abris et des cachettes pour les armes. Son rôle est très important.
Le 28 juillet, à 5 heures du matin, suite à une dénonciation, les inspecteurs français et la Gestapo arrêtent l’ensemble de la famille Vallina : le mari, la femme, le fils ainé, la cadette et le petit dernier.
Dans la camionnette qui les conduits à la gendarmerie de Cognac, Margot rassure sa fille et lui glisse à l’oreille : « Ils vont te demander si tu connais celui-ci ou celui-là, tu ne connais personne ! Si on te les montre, tu ne reconnais personne ! ». La fillette ne bronche pas, même quand le policier lui dit : « Ta mère nous l’a déjà dit, tu veux qu’on tue ta mère ? »
Dans la matinée, Lucienne et Serge (13 et 7 ans) sont remis aux gendarmes pour être placés en orphelinat. Les gendarmes refusent et trouvent une tante, la sœur de Margot, à qui ils confient les enfants. Entre-temps, Jean Vallina (16 ans) voit torturer son père pendant des heures. Quant à Margot Vallina, elle est emprisonnée au fort du Hâ.
Le 21 septembre 1942, son mari, Lucien Vallina, est fusillé au camp militaire de Souge.
Le 16 octobre 1942, Marguerite intègre le « convoi des 31 000 », transférée du fort du Hâ au camp de Romainville.
Jean Vallina, libéré après l’exécution de son père, est de nouveau arrêté en novembre 1942.
Le 22 janvier 1943, c’est le transfert de Marguerite vers Compiègne Royallieu.
Le 24 janvier 1943, elle part pour Auschwitz. En gare de Halle, même manœuvre : les hommes partent pour le camp de Sachsenhausen et les femmes sont conduites à pied jusqu’à Birkenau.
Marguerite y reçoit le matricule 31732, tatoué sur l’avant-bras gauche.
Le 3 février, les déportées sont amenées au camp d’Auschwitz.
Le 12 février, elles sont entassées au block 25, mouroir du camp des femmes.
La gorge enflée, Margot ne peut ni manger ni respirer. Elle décède fin février 1943.
Son fils, Jean Vallina, déporté au KL de Sachsenhausen, est libéré le 21 avril 1945, très marqué.
Une plaque commémorative a été apposée le 11 novembre 2015 sur le monument aux morts de Moings, en présence de sa fille Lucienne et de sa famille.

Marie RIVIÈRE-QUÉROIS

Née le 27 juillet 1899 à Saint-Gourson (16), réfugiée et résistante région Cognac, Marie Rivière-Quérois était agent de liaison. Très courageuse et active, elle a facilité pour son groupe l’exécution des sabotages, par les renseignements précis qu’elle recueillait.
Suite à une dénonciation, elle est arrêtée avec 17 membres de son groupe et condamnée à mort par la cour martiale allemande d’Orléans le 1er octobre 1943, pour « actes dirigés contre la sécurité de l’armée d’occupation ». Elle est internée à Orléans puis à Fresnes, avant d’être déportée comme NN (Nacht und Nebel – qui doit disparaître) le 21 octobre 1943, départ de Paris via Aix-la-Chapelle.
Elle passe par les prisons de Karlsruhe, Maldheim, Lübeck, Cottbus avant d’arriver finalement au camp de Ravensbrück le 21 novembre 1944. Elle y décède le 15 février 1945.
Madame Rivière avait un fils de 17 ans, une fille de 14 ans et un autre fils de 8 ans.
Elle s’était mariée le 12 avril 1937 à Fernand Rivière, né à Cognac le 12 janvier 1913. Résistant, il a quant à lui été fusillé au stand de tir des Groues, à Saint-Jean-de-la-Ruelle (45) le 8 octobre 1943.

Commémoration du 77e anniversaire de la libération au Mémorial de Dachau

Après une pause de deux ans due à la pandémie, le 77e anniversaire de la libération du camp de concentration de Dachau a de nouveau été célébré en présentiel ce dimanche 1er mai 2022. Au cours de la cérémonie, presque tous les orateurs ont fait référence à la guerre en Ukraine. Les quelque 250 visiteurs présents sur l’ancienne place d’appel du camp de concentration de Dachau étaient d’ailleurs nombreux à attendre le discours de Borys Zabarko, car ce survivant de la Shoah vient d’Ukraine. Trois semaines plus tôt, l’homme de 86 ans avait fui Kiev avec sa petite-fille de 17 ans, Ilona, et dans les trains bondés, avait été infecté par le corona virus. À peine rétabli pour cette journée commémorative, Borys Zabarko s’est dirigé vers la tribune des orateurs, empruntant au passage le drapeau ukrainien jusque-là porté par un étudiant. Notons que ce dimanche 1er mai, des étudiants portaient les drapeaux des 40 pays d’origine des quelque 200 000 personnes déportées vers Dachau et ses camps satellites. Seuls manquaient les drapeaux de la Russie et de la Biélorussie, les diplomates et consuls des deux pays ayant été écartés de la cérémonie. Borys Zabarko a expliqué : « Je me tiens ici en tant que représentant des Juifs. 1,5 million de Juifs ont été victimes du national-socialisme en Ukraine. Je viens de Kiev, la ville où en seulement deux jours 33 770 Juifs ont été abattus lors du massacre de Babi Yar. Nous, les survivants, n’aurions jamais pensé qu’il y aurait une autre guerre en Europe. »

Au cours de son allocution, le général Jean-Michel Thomas, président du Comité international de Dachau (CID), a rappelé que l’ancien camp de concentration de Dachau était un lieu de recueillement et de mémoire, et non une tribune pour des prises de position politiques, mais qu’il était impossible pour les intervenants aujourd’hui de ne pas exprimer leur indignation face à l’agression contre l’Ukraine. En effet, il a soutenu que le discours du Kremlin sur la « dénazification de l’Ukraine », argument utilisé pour justifier la guerre, était « une falsification inadmissible de l’histoire, une insulte insupportable à toutes les victimes du nazisme et du système concentrationnaire, dont le camp de Dachau fut le modèle ». Lors de sa prise de parole, Karl Freller, 1er vice-président du Parlement bavarois et directeur de la Fondation des Mémoriaux Bavarois, a quant à lui souligné à quel point il était surréaliste « que l’Armée rouge ait libéré de nombreux camps de concentration et que maintenant l’armée qui lui a succédé tire des roquettes sur les survivants des camps de concentration en Ukraine ». Le ministre bavarois de la Culture, Michael Piazolo, a lui aussi appelé à cesser la guerre en Ukraine, et la directrice du Mémorial, Gabriele Hammermann, a souligné que le nationalisme autoritaire avait de nouveau conduit à une guerre d’agression avec des crimes contre la population civile, ce qui contredit complètement les leçons tirées de l’histoire violente du XXe siècle.

« C’est une tragédie absolue. Les descendants de ceux qui nous ont libérés nous tirent maintenant dessus », a repris Borys Zabarko, qui aurait de loin préféré être chez lui, à Kiev, ce jour-là. « Je ne voulais pas partir, mais ma fille m’a persuadé d’emmener ma petite-fille Ilona, qui souffrait de cauchemars à cause des tirs de roquettes. » Tout est ensuite allé très vite : une demi-heure seulement pour emballer le strict nécessaire. Le manuscrit de son dernier livre est resté dans son appartement. « J’écris sur la dernière génération de survivants », a expliqué Borys Zabarko, qui est l’historien de la Shoah en Ukraine. En 2019, son ouvrage phare La vie et la mort à l’ère de l’Holocauste en Ukraine. Témoignages de survivants. a été publié en allemand.

Aujourd’hui, Borys Zabarko, président de l’association ukrainienne des anciens détenus juifs des ghettos et des camps de concentration nazis, séjourne à Stuttgart et organise des transports d’aide pour les survivants en Ukraine. Selon le dernier recensement de 2001, environ 103 000 Juifs vivent encore dans son pays. Mais personne ne le sait avec certitude car, comme l’a expliqué Borys Zabarko, beaucoup ne s’identifient pas comme juifs et beaucoup ont émigré depuis. Dans les trains bondés, Borys Zabarko n’avait pas trouvé de siège et s’était posté debout près d’une fenêtre dans l’allée. « Puis j’ai pensé aux trains de déportation avec des Juifs. Comment c’était pour ces personnes, dans des wagons à bestiaux surpeuplés, sans air ni eau. À l’époque, les gens passaient de la vie normale à la mort. Nous passons aujourd’hui de la mort à la vie normale. » Borys Zabarko a survécu au ghetto de Sharhorod à l’âge de cinq ans. Son père est mort en tant que soldat de l’Armée rouge au front, il ne sait pas exactement où, et son oncle a libéré Budapest avec son unité et a brûlé vif dans son char dans les derniers jours de la guerre.

Borys Zabarko a également parlé de l’antisémitisme et du racisme en Europe. Il prévient. Les autres survivants, accueillis par la directrice du Mémorial de Dachau, en ont fait de même : Jean Lafaurie, qui a combattu dans la Résistance et a été déporté à Allach en juin 1944, et qui est aujourd’hui président de l’Amicale d’Eysses ; Mario Candotto, résistant qui venait d’avoir 18 ans le 24 mars 1944, quand il fut contraint au travail forcé pour la firme BMW ; et Erich Finsches, le Juif viennois, dont les parents ont été assassinés pendant la Shoah et qui a survécu au camp annexe de Kaufering. Gabriele Hammermann a rappelé l’humiliation et la violence que ces hommes et des milliers d’autres ont subies à Dachau. Jean Lafaurie a mis en garde : la voix du racisme, de l’antisémitisme et de la haine noie déjà la voix des survivants. « La méconnaissance de notre histoire nous choque, et encore plus les tentatives de réécriture de l’histoire. » Le vice-président du CID, Abba Naor, a parlé devant l’ancien crématorium de sa mère et de son frère de cinq ans, qui ont été déportés du camp de concentration de Stutthof vers le camp de la mort d’Auschwitz-Birkenau. « Chaque jour, je pense à ma mère, encore aujourd’hui à 94 ans je lui demande conseil pour chaque décision importante que je dois prendre. » Le maire de Dachau, Florian Hartmann, a quant à lui déclaré qu’il faut développer une attitude et prendre des mesures décisives contre tous les propos et actes antisémites, en politique comme dans la vie quotidienne.

Traduction libre d’un article d’Helmut Zeller
(https://www.sueddeutsche.de/muenchen/dachau/dachau-gedenken-im-schatten-des-krieges-1.5576419)

Discours de Jean-Michel Thomas, président du CID

Mesdames et Messieurs,

Pour le CID, le Comité international de Dachau, créé dans un but d’unité et de paix lors de la libération du camp il y a 77 ans, cette place d’appel de l’ancien camp de concentration est un lieu de recueillement et de mémoire. Pas de tribune pour des prises de position politiques. Il est cependant impossible de ne pas réagir et de ne pas exprimer notre douloureuse compassion et notre stupeur face à l’agression contre l’Ukraine et aux violations du droit international.

Il ne m’appartient pas d’élucider les causes nombreuses et complexes de cette guerre. Mais lorsqu’elle est qualifiée de simple « opération militaire » et que sa justification consiste en la « dénazification » d’une partie de l’Europe, il est de notre devoir d’exprimer notre profonde indignation, précisément depuis cette place. Car l’utilisation du mot « dénazification » est une falsification inadmissible et une insulte insupportable à toutes les victimes du nazisme et du système concentrationnaire dont le camp de Dachau était le modèle.

Les survivants qui sont présents aujourd’hui sont là pour témoigner. Et la réalité est qu’en plus des prisonniers de guerre soviétiques, dont plus de 4000 ont été assassinés à Hebertshausen, des détenus d’origine ukrainienne ont également été enregistrés au camp de concentration de Dachau avec les Russes. Selon les estimations des archives du mémorial du camp de concentration, sur les 25 400 personnes détenues en tant que citoyens soviétiques, au moins 65 % étaient des habitants de la République soviétique d’Ukraine. Ils étaient tous marqués du même R sur leurs vêtements rayés. Souvenons-nous de cette souffrance commune, de ce martyre commun et de la lutte commune contre le nazisme jusqu’à son extermination.

L’appel au « plus jamais ça » et à la fin des guerres était une aspiration profonde, criée par les survivants des camps de concentration à leur libération. Malgré des progrès incomplets, comme on peut le constater, cet objectif reste toujours d’actualité et incontournable pour le monde entier. Les tristes événements que nous vivons rappellent à certains que la paix est un équilibre précaire, instable, qui ne s’obtient pas une fois pour toutes, mais qui doit être recherché sans relâche.

Comment pouvons-nous, modestement, y contribuer ? Tout d’abord en recherchant la vérité et l’objectivité. En évitant par exemple de rejeter les opinions divergentes par des instrumentalisations et des simplifications hâtives. La « reductio ad hitlerum », qui consiste à disqualifier les arguments d’un adversaire en les associant systématiquement à Adolf Hitler, est courante, mais indigne. Le national-socialisme ne doit pas être minimisé. Cela implique également de mettre un terme à l’utilisation inconsidérée du terme « fascisme » tout en appelant par son nom tout totalitarisme.

Mais il y a surtout une tâche qui nous concerne tous et à laquelle nous pouvons tous participer. C’est la mission initiée par le Comité international de Dachau, désormais portée par le Mémorial de Dachau et de nombreuses associations et communautés. C’est un devoir d’informer, d’enseigner, d’expliquer et de faire comprendre inlassablement notre histoire commune, avec ses nombreux aspects ethniques, religieux, nationaux, économiques et linguistiques. Ce travail de transmission est une tâche essentielle, une étape indispensable qui doit être poursuivie auprès de tous, jeunes comme visiteurs du monde entier, pour aider à construire la paix.

Pour cette tâche, les efforts et les démarches de la Fondation des mémoriaux bavarois et du gouvernement bavarois pour le réaménagement du mémorial du camp de concentration de Dachau sont encourageants et prometteurs. Merci pour ces décisions qui montrent la voie, nous ne devons pas nous relâcher.

Réunion bisannuelle de l’Union des Associations de mémoire des camps nazis – 20 novembre 2021 à Paris

Colloque sur le thème : « L’avenir de nos associations »

Le 20 novembre dernier avait lieu le rassemblement de l’Union des associations de mémoire des camps nazis (Amicales de Buchenwald-Dora, Dachau, Mauthausen, Neuengamme, Sachsenhausen-Oranienburg et Ravensbrück), que nous appelons informellement « Interamicale ». Organisée tous les deux ans, cette rencontre a débuté comme à l’accoutumée, par un parcours commémoratif au cimetière du Père-Lachaise, où les monuments des camps représentés ont été fleuris. Nous nous sommes ensuite dirigés vers la Mairie du XXe. Après avoir déposé une gerbe au pied du Monument aux Morts et entonné la Marseillaise, nous nous sommes rendus à la salle des fêtes, où a débuté notre colloque.

Comme nous vous l’annoncions dans notre invitation à ce rassemblement, l’idée était ici de proposer une réflexion collective, où chaque membre de l’assemblée serait libre de partager sur le thème de cette année : l’avenir de nos associations. Cette problématique obsédante est évidemment régulièrement et largement abordée entre nous, mais il s’agissait cette fois d’ouvrir le débat à tous.

Il était au préalable nécessaire de réaliser un tour d’horizon des forces et faiblesses de nos Amicales, exercice auquel Daniel Simon (Amicale de Mauthausen) s’est livré avec son éloquence habituelle et dont nous reprenons ci-dessous les grandes lignes :

Il y a environ 10 ou 20 ans, les déportés commençaient à passer la main à leurs enfants, qui constituent aujourd’hui le fer de lance de nos associations. Depuis lors, les secondes générations peuvent se féliciter sur un point : aucune dérive n’a été constatée, aucune insignifiance non plus. La fidélité est plus que tangible, car nos Amicales continuent à recevoir des dons importants, à bénéficier de la disponibilité de bénévoles et à répondre à de nombreuses sollicitations. En revanche, nous ne pouvons que nous inquiéter du lent déclin du nombre de nos adhérents. Nous devons dès lors nous interroger : ce déclin est-il le résultat d’une fatalité inéluctable, ou reflète-t-il un effort insuffisant de renouvellement de nos pratiques et de nos modes de fonctionnement ?

Crise sanitaire mise à part, nos Amicales sont aujourd’hui plus que jamais présentes sur les sites des anciens camps, qui sont un vecteur essentiel de la transmission de la connaissance de la réalité concentrationnaire – connaissance que nous complétons en nous nourrissant des nombreux témoignages de déportés et ouvrages historiques disponibles. Plus que cela, les sites sont aussi des lieux de rencontre et de partage avec les mémoriaux, les autorités et les associations locales. C’est une dimension qui ne s’amenuise pas, bien au contraire : elle est même en pleine construction. Nous tenons toute notre place dans les dispositifs de valorisation, et nos contributions sont attendues. Les commémorations sur les sites sont des rendez-vous qui rassemblent un large public et qui transcendent de nombreux clivages. Les sites sont donc bien vivants.

Nous sommes en revanche conscients de deux périls internes et de deux périls externes qui pourraient sceller le déclin de nos associations. Du côté interne, nous nous accordons sur le fait qu’un familialisme fermé condamnerait nos Amicales. La question maintenant est de savoir si nous sommes capables de dépasser cette « modalité affective » de la mémoire des camps. Nous convergeons également sur un autre point : la menace que représente une confiance excessive dans les rituels (gerbes, minutes de silence, chants, etc.). Si nous demeurons et souhaitons demeurer attachés à ces symboles, nous devons également nous interroger : la mémoire individualisée des morts constitue-t-elle l’essentiel de notre quête ?

En ce qui concerne les « périls externes », nous avons tout d’abord identifié l’invisibilisation en cours des camps nazis dans le champ social. En effet, nombreuses aujourd’hui sont les causes humanistes qui, légitimement, appellent à des engagements mais qui, malheureusement, repoussent dans une temporalité trop lointaine le souvenir des camps. Ces deux dimensions peuvent pourtant cohabiter en nous. Par ailleurs, le génocide perpétré par les nazis fut tel qu’aujourd’hui, il met à l’arrière-plan le système concentrationnaire, y compris dans le stade ultime de ce dernier, lorsque les déportés arrivant par masses étaient tous promis à la mort au camp. Face à la mémoire de la Shoah, sommes-nous capables de porter solidement la mémoire des camps de concentration ? Enfin, il ne faut pas négliger un dernier péril externe : celui que représente la crise du modèle associatif. À l’heure actuelle, les jeunes préfèrent défendre une cause plutôt que de s’engager au sein d’une association, le bénévolat se faisant plus « discret », et la tendance est plutôt d’organiser des événements ponctuels et inattendus.

Pourtant, parmi nos activités, certains éléments sont indiscutablement transgénérationnels. Les leçons que nous ont transmises les déportés sont profondément humanistes et véhiculent des messages à vocation universelle. Face à la résurgence des racismes et la montée de l’extrême droite au sein de nos sociétés européennes, ces messages sont plus que jamais porteurs de sens. Nous sommes des militants antinazis, antifascistes, antitotalitaires, mais nous devons refonder en permanence nos positionnements sur la catastrophe, jusqu’à présent sans égal, que furent les camps de concentration nazis. Au-delà de notre bonne conscience individuelle, pouvons-nous mettre en œuvre une capacité collective de résistance ? Et qui est légitime à parler et peut aujourd’hui être entendu ? Comment redonner place à la pensée argumentée à l’époque des réseaux sociaux, où l’opinion est délivrée de manière pulsionnelle et instantanée ? Nous sommes porteurs de convictions, et même de certitudes, alors comment pouvons-nous les vivifier en actes ?

Il est évident que la tâche ne sera pas aisée, mais comme le conclut si bien Daniel Simon avant de laisser la parole à l’assemblée, « si nous pensions que la partie est perdue, nous ne serions pas réunis dans cette salle. »

Après cette introduction de Daniel Simon, ce fut au tour d’Olivier Lalieu (Amicale de Buchenwald-Dora) de prendre le micro afin de distribuer la parole aux membres du public, qui étaient très nombreux à vouloir se faire entendre. Certains se sont montrés pessimistes quant à notre avenir et au passage de relais aux troisièmes générations, notamment en évoquant le désintérêt croissant de l’Éducation nationale et des élèves pour l’histoire des camps ; d’autres au contraire ont relaté des actions concrètes menées avec succès auprès des jeunes, pour qui l’éloignement temporel avec la Seconde Guerre mondial n’est pas un obstacle dès lors qu’on leur démontre la pertinence avec le présent.

Arrivés au terme de notre colloque, les mains étaient encore nombreuses à se lever pour solliciter la parole. Mais il était temps de conclure. Bien que satisfait de l’enthousiasme de l’assemblée, Daniel Simon a néanmoins déploré le fait que les diverses interventions se trouvaient pour la plupart « en amont de son préambule » et que les questions qu’il avait posées n’avaient pas véritablement été abordées. Mais il s’agissait ici d’un premier colloque sur le thème qui nous préoccupe et, selon lui, il était probablement nécessaire d’évoquer des situations personnelles pour finalement nous diriger, lors de prochains colloques, vers le champ du traumatisme philosophique et culturel que furent les camps de concentration dans nos sociétés, et au niveau duquel doit se situer notre champ d’actions. Persuadé que la tragédie portée par nos Amicales est sans équivalent, il s’est dit convaincu que les drames suivants n’invisibilisent pas un tel traumatisme. Pour véritablement aborder les questions qui nous préoccupent, il sera donc nécessaire de proposer de nouveaux colloques sur le thème, et probablement de les structurer davantage.

Alicia GENIN

L’Union des Associations de mémoire des camps nazis aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois (octobre 2022)

Table ronde sur le thème : « Le travail dans les camps de concentration nazis (KL). Réalités et enjeux de terminologie. »

Le 8 octobre dernier, dans le cadre des Rendez-vous de l’Histoire de Blois, notre Union des associations de mémoire des camps nazis organisait une table ronde en collaboration avec la Fondation de la Résistance. Après quelques mots de bienvenue, Daniel Simon, qui nous représentait à cette occasion, et Hélène Staes, qui était quant à elle la voix de la Fondation, ont pu présenter nos associations et leurs actions respectives. La parole a ensuite été donnée à Thomas Fontaine, directeur du musée de la Résistance national, dont le rôle était d’esquisser une vue d’ensemble du travail dans les camps, avant de céder son micro aux autres invités pour l’analyse de cas plus concrets.

Selon Thomas Fontaine, pour aborder la place du travail dans le système concentrationnaire, il est nécessaire d’établir une chronologie des camps et d’en distinguer trois temps. Lorsqu’on évoque les camps de concentration nazis, on a souvent l’idée d’un système incohérent, dominé par une violence aveugle et arbitraire. Le travail y a dès lors un rôle de terreur, presque exclusivement punitif. Les analyses historiques et sociologiques ont confirmé que le travail était bel et bien un outil de la terreur nazie, et ce particulièrement dans le premiers temps des camps, dès 1933. À cette époque, la notion de productivité et d’utilité du travail est quasiment absente dans les camps. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la création du premier camp de concentration, à Dachau en 1933, et de ceux qui succèdent ensuite. Le camp de Dachau est visible, et les nazis en font même la propagande : à leurs concitoyens allemands, il est présenté comme un camp de rééducation, dont l’objectif est de servir la future société aryenne. Les ennemis politiques, asociaux et autres déviants doivent y être « rééduqués » au moyen de tâches punitives. On constate d’ailleurs que 20 à 25 % des premiers détenus des camps de concentration, de 1933 à 1939, sont ultérieurement libérés et réintégrés dans la société aryenne. Durant cette période, les camps sont peuplés en très grande majorité de ressortissants allemands et autrichiens. Un autre exemple vient appuyer cette constatation : les fameuses maximes inscrites à l’entrée des camps. « Le travail rend libre » ou « À chacun son dû » sont des maximes de rééducation, que les déportés français arrivés en 1943 ne pouvaient déjà plus comprendre, ou qu’ils ont interprétées comme cruellement ironiques. Par ailleurs, si l’on jette un œil aux premières photographies nazies de propagande, on y aperçoit des détenus correctement habillés qui sont au travail dans les camps. On peut toutefois modérer cette idée en rappelant que les détenus construisent alors leur propre camp (construction des baraques, ateliers, etc.). Dans une certaine mesure, la main-d’œuvre est donc déjà utilisée.

Dans un deuxième temps, on constatera un travail cette fois utile, productif voire rémunérateur POUR la SS, qui gère le système concentrationnaire et utilise les détenus pour ses propres travaux. C’est pour cette raison notamment que des camps sont installés près de carrières. Toujours avant-guerre, une quarantaine d’entreprises sont ainsi construites par la SS ; la plus connue, fondée le 29 avril 1938, étant la DEST (société des terres et pierres allemandes), qui entreprend d’exploiter des carrières. Cette tendance s’observe jusqu’en 1941, quand les nazis créent un camp en Alsace annexée, à Natzweiler, non loin d’une carrière. Dans les premiers kommandos de travail du système, on remarquera d’ailleurs de nombreuses briqueteries (à Sachsenhausen par exemple), dont l’objectif est d’alimenter les chantiers pharaoniques prévus par Hitler à Berlin. À cette époque, le travail n’est donc plus uniquement punitif, même s’il le reste. À côté de tâches purement punitives, il y a des travaux de terrassement à l’intérieur des camps ainsi que des travaux de production de matériaux de construction dans les carrières et les briqueteries. À cela, il faut ajouter très vite des commandes spécifiques de la SS, qui se fait construire des installations (bunkers et autres). Cela signifie aussi qu’à partir de septembre 1940, l’administration du système concentrationnaire évolue : le commandant du camp dispose désormais d’un adjoint dédié au travail des détenus. Cet adjoint gère l’organisation du travail, tient à jour les registres et affecte les détenus. En bref, la dimension punitive est doublée d’une dimension productive, mais exclusivement au profit de la SS.

Le troisième temps de notre chronologie est celui qui est le plus important dans les masses, mais non dans la durée, car c’est en réalité un temps assez court. C’est le temps de la « guerre totale » : 1942-1945. Cette période est cruciale car elle concerne non seulement directement les Français, mais aussi toute l’Europe. Engagé dans une guerre féroce face à l’Union soviétique et les États-Unis, deux ogres économiques et militaires, le Reich doit mobiliser tous les moyens à sa portée pour produire de l’armement, protéger ses usines de production et gagner la guerre. Himmler, chef de la Police et du système concentrationnaire, en accord avec le ministre de l’Armement (Speer), met à disposition les détenus du système concentrationnaire pour cette économie de guerre totale. Alors que les discussions débutent dès l’année 1942, les accords sont pris véritablement à l’automne 1942. Dans l’administration des camps, cela amène des changements dès le printemps. Dans une circulaire du 30 avril 1942, le chef de l’organisation du système concentrationnaire (Pohl) écrit ceci à ses commandants de camp : « La guerre a amené un changement marqué dans la structure des camps de concentration. Elle a considérablement changé leur rôle en ce qui concerne l’emploi des détenus. L’internement pour les seules raisons de sécurité, d’éducation ou de prévention n’est plus la condition essentielle. L’accent est à porter maintenant sur le côté économique ». Ce qui est désormais au premier plan, et qui va le devenir de plus en plus, c’est donc la mobilisation de tous les prisonniers capables de travailler. Il ne s’agit pas d’un changement simple pour la SS, qui rêve d’usines s’installant dans les camps mais qui devra très vite constater l’échec économique de ce projet. C’est finalement le ministre de l’Armement, Speer, qui mettra en place une révolution radicale s’illustrant dans la démultiplication des camps : ce n’est plus l’usine qui va dans le camp, mais le camp qui va à l’usine. Dans l’ensemble du système, on passe d’une centaine de kommandos avant 1942 à plus de 700 kommandos en 1945. À peine les détenus français sont-ils arrivés depuis deux ou trois semaines au camp central qu’ils sont envoyés dans des kommandos de travail.

Il reste maintenant à se demander comment la SS intègre cette nouvelle dimension productiviste dans sa gestion des prisonniers. Étant donné que le système concentrationnaire continue à ne pas nourrir ses détenus, à les frapper et à les transférer d’un kommando à un autre, on peut légitiment s’interroger sur la rationalité du fonctionnement économique des camps. Les premières fonctions punitives du travail de rééducation ont-elles totalement disparu face à cette ampleur des enjeux économiques ? On peut également insister sur le fait que, depuis 1933, les détenus sont potentiellement condamnables à mort du jour au lendemain. Jusqu’à l’époque de guerre totale, la sentence tombait en raison du « CV » politique des prisonniers : à l’intérieur des camps, on assassinait les détenus pour ce qu’ils étaient. Désormais, on envoie dans des camps mouroirs ceux qui ne sont plus en capacité de travailler (les fameux « musulmans »). En réalité, lorsqu’on examine la chronologie et la mise en place de la guerre totale, on peut dégager un premier temps, du fait des accords entre Himmler et Speer, où les détenus sont tout de suite mis au travail dans un kommando. Ensuite, on a une « rationalité d’urgence » : à partir de 1943, les Alliés tiennent les airs et bombardent systématiquement le Reich ; la plupart des usines stratégiques doivent donc être enterrées (Dora en est un très bon exemple). Par conséquent, les détenus sont très vite utilisés dans des travaux de creusement de galeries pour protéger ces usines. Au final, on constatera que le nombre de détenus qui ont effectivement produit des armes n’est pas si élevé. Ce type de production ne commence à être véritablement efficace dans les camps qu’à la toute fin de l’année 1944 et au début de l’année 1945.

Après cette mise en perspective, Thomas Fontaine a cédé la parole à Adeline Lee, historienne et membre de l’Amicale de Mauthausen, afin qu’elle évoque un cas concret : celui des 9000 Français du camp de Mauthausen. Les premiers Français arrivent à Mauthausen en 1942, ce qui signifie que, si l’on exclut quelques cas particuliers, la première période évoquée par Thomas Fontaine ne les concerne pas. En 1942, les détenus de Mauthausen sont majoritairement affectés au travail de la pierre et, plus généralement à partir de 43, à la production d’armements. Les premiers grands convois arrivent en avril 1943 (2000 personnes environ) et ensuite s’échelonnent ; il y a une pause fin 43, puis les convois reprennent en 44, et plus largement en 45, avec les évacuations cette fois-ci.

L’entrée du camp de Mauthausen, en Autriche annexée.

L’absurdité et la rationalité du système sont également au cœur du questionnement d’Adeline Lee. Bien que la notion d’absurdité sans cesse évoquée dans les témoignages des Français existe réellement, l’historienne souhaitait l’interroger afin de déterminer jusqu’à quel point elle pouvait être vraie. Le travail des détenus de Mauthausen pouvait-il être utile et efficace par la même occasion ? Pour son étude, Adeline Lee s’est appuyée d’une part sur les documents individuels des déportés, et d’autre part sur les archives de l’administration nazie. Pour Mauthausen, ces archives ont été bien conservées et l’on dispose de nombreuses cartes de détenus sur lesquelles sont enregistrées les professions exercées, qu’il s’agisse de la profession avant l’entrée au camp comme de celle occupée au sein du camp. Cette profession fait l’objet d’un codage Hollerith, un système mis en place par IBM sur des cartes. Il s’agit d’une carte perforée sur laquelle toutes les caractéristiques du détenu (marié ou non, nombre d’enfants, motifs d’arrestation, etc.) font l’objet d’un codage : à chaque caractéristique un code, et à chaque code un trou sur la carte. Si l’on étudie l’aspect du travail, on constate que le codage est particulièrement pointu, puisque chaque profession est codée au moyen de trois chiffres. Les deux premiers chiffres renvoient au secteur d’activités et le troisième chiffre à un métier précis. On a donc une nomenclature équivalente à celle utilisée aujourd’hui. Quand on observe ce système dans les archives, il est difficile d’envisager qu’il ait été établi pour rien.

Les détenus arrivent donc à Mauthausen, sont enregistrés sur des cartes et, à partir de 1943, repartent rapidement vers les camps annexes, où ils sont mis au travail. S’agissait-il d’une procédure purement administrative ou l’enregistrement avait-il une influence sur le lieu d’affectation ? En faisant des comparaisons, Adeline Lee a abouti à des résultats qui ne permettent pas de conclure à l’absurdité de l’affectation des détenus. Pour Mauthausen, on constate qu’un spécialiste sur deux a été affecté dans son emploi. Cette observation est particulièrement vraie pour les professions hautement qualifiées. Plus la profession est qualifiée, plus le choix est minutieux ; plus on descend dans la qualification, plus le choix est arbitraire. Si l’on considère l’aptitude au travail demandé, on arrive même aux deux tiers des spécialistes employés dans un emploi pour lequel ils ont des capacités. Les spécialistes ne représentent cependant pas la majorité des détenus. La plupart du temps, les listes de transfert vers les kommandos sont divisées en deux parties, avec d’une part les spécialistes et d’autre part les manœuvres. Pour ces derniers, il n’est plus question d’adaptation, car leurs professions ne sont pas utiles en camp de concentration. Si vous êtes ingénieur, charpentier ou mécanicien dans l’aéronautique par exemple, on va autant que possible essayer de vous attribuer un poste où vous allez être utile. En revanche, si vous êtes agriculteur, enseignant ou autre, vous allez remplir la longue liste des manœuvres. Il faut néanmoins souligner que cette adéquation dépend des périodes. En 1943, elle est particulièrement forte quand il s’agit d’affecter des détenus à la production d’armes stratégiques. Elle est nettement moins évidente en 44, face aux masses de détenus ; et encore moins en 45 pour les détenus évacués, où elle n’est pratiquement plus effective.

Enfin, en ce qui concerne l’efficacité du travail des détenus au sein du camp de concentration de Mauthausen, il faut convenir qu’elle est difficile à mesurer. S’agissant de l’armement, il semblerait qu’il n’y ait pas eu grand-chose qui soit sorti en quantité des usines dépendantes de Mauthausen. En revanche, sur certains projets de certains kommandos de travail, les objectifs ont été atteints, à tel point parfois que les prisonniers ont terminé en avance sur les délais prévus. Quoi qu’il en soit, l’efficacité fut mineure dans les résultats de l’économie de guerre allemande globale.

Après Adeline Lee, ce fut au tour de Laurent Thiery, historien à La Coupole (centre d’histoire et de mémoire du Nord-Pas-de-Calais), de nous présenter un autre cas concret : celui du camp de Dora, pour lequel il existe également un fonds d’archives important et bien conservé. La décision de créer le camp de Dora est tardive : elle date de fin août 1943 et intervient à un moment charnière de l’histoire du nazisme. L’objectif est ici la production d’une arme – les fusées V2 – que les nazis considèrent, surtout en 1943, comme un enjeu stratégique majeur devant permettre aux Allemands d’inverser le cours de la guerre. C’est du moins ainsi que Goebbels présente les choses dans sa propagande. La fusée V2 est l’engin le plus complexe fabriqué pendant la Seconde Guerre mondiale, elle est la base de tous les lanceurs d’après-guerre et permettra d’ailleurs d’envoyer les Américains sur la lune en 1969. À partir de 1942, suite au premier tir réussi de cette fusée mise au point par des ingénieurs nazis, il est naturellement décidé d’en lancer la production en série. Le lien avec le système concentrationnaire est alors rapidement fait. Au printemps 1943, on fait venir des déportés du camp de Buchenwald, des Russes, des Ukrainiens mais aussi 400 Français, pour les regrouper dans un camp situé à l’extérieur d’une usine assez classique, où ils assembleront et commenceront à fabriquer ces fameuses fusées V2.

Repérée par les Britanniques, l’usine est bombardée dans la nuit du 17 au 18 août. Les SS sont alors contraints de la reconstruire, en choisissant cette fois un endroit qui pourra être protégé des attaques alliées. Autre condition essentielle : le lieu sélectionné devra se trouver non loin d’un grand camp de concentration afin que celui-ci puisse l’approvisionner en main-d’œuvre. Ce grand camp, ce sera Buchenwald. Quant au lieu proprement dit, il se compose de deux tunnels de 2 km de long qui avaient été creusés avant-guerre pour servir d’entrepôt d’hydrocarbure. Ces tunnels sont reliés par une cinquantaine de galeries de 150 m de long, soit au total 90 000 mètres carrés de possibilités de production. Mais, à la fin août 1943, quand on décide d’y envoyer des détenus pour installer l’usine, il n’y a rien. Ni eau ni d’électricité. Aucun équipement non plus pour héberger les milliers d’hommes qui commencent à travailler. La priorité de produire les V2 est telle que Dora n’a pas de camp au début. Cela expliquera la très forte mortalité de ce camp. De septembre 1943 jusqu’au printemps 1944, 12 000 détenus sont envoyés depuis Buchenwald par vagues successives, et s’établissent dans des galeries où ils devront survivre, dormir et travailler sans quasiment sortir et voir la lumière du jour. Pendant cette période, Dora n’est pas un camp mais un chantier pour installer l’usine qui commencera à fonctionner début 1944. Le manque d’hygiène et la violence permanente sont au rendez-vous. Pendant ces premiers huit mois, la moitié de la population concentrationnaire, soit environ 6000 hommes, meurt. Les conditions sont telles que Dora est davantage une usine de production de malades et d’invalides que de fusées. Mais il n’y a pas de chambre à gaz pour se débarrasser de ceux qui ne sont plus utiles et, à partir de début 1944, la SS organisera des convois d’extermination de malades qui seront redirigés vers des camps mouroirs.

L’entrée d’un des deux tunnels de Dora.
Les déportés dans les tunnels de Dora.
Chaîne de montage souterraine des V2.

Au printemps 1944, ce succès pour la SS – car elle a réussi dans des conditions extrêmes, avec des déportés, à créer une usine ultra-moderne dans un espace si peu adéquat – va l’inciter à faire de Dora le cœur d’un véritable complexe militaro-industriel, avec un développement assez fulgurant pendant la dernière année de son existence. Une quarantaine de chantiers alentour verront le jour… Des kommandos tout aussi meurtriers dans la mesure où il s’agit de projets qui bien souvent n’aboutiront pas : on envoie des milliers d’hommes creuser de nouvelles galeries, aménager des tunnels désaffectés… Le camp de Dora est donc au cœur du basculement économique précédemment évoqué, à un moment où l’enjeu de production est bien là… D’autant plus qu’il a trait à une arme potentiellement redoutable. Dora est un exemple significatif de ce bouleversement, à tel point que la SS décide d’en faire le dernier-né des grands camps de concentration du Reich, créé en octobre 1944 sous le nom de Mittelbau. Il prend à ce moment-là toutes les caractéristiques des grands camps. Mais quand on y constate la mortalité – c’est près d’un tiers des 60 000 déportés passés par ce camp qui meurt – on comprend que si la production économique devient un enjeu majeur en 43, pour la SS les camps de concentration restent un lieu de guerre où l’on élimine des opposants divers. Et la manière, c’est le travail forcé.

Alicia GENIN