…Voilà ce qui m’anime depuis deux ans. Fille de Didier Boueilh, déporté à Dachau, je me suis engagée à diffuser l’exposition réalisée par l’Amicale du camp de concentration de Dachau. Ma première démarche s’est faite dans mon village gersois, où sont venus des amis, des membres de notre grande famille, mais aussi des passionnés d’histoire de guerre.
En 2020, pour la Journée de la Déportation, la ville d’Auch mettait à ma disposition un beau site pour proposer ce travail de mémoire aux citoyens et, la semaine suivante, j’avais des visites programmées avec des profs d’histoire pour les jeunes des collèges et lycées. Puis, au mois de mai, je devais exposer à la médiathèque de Riscle. Malheureusement, madame Covid est venue gripper ce programme, que j’ai dû annuler.
Frustrée et déçue de laisser mon matériel dans les placards, j’ai rebondi en installant l’expo dans notre chai, où vieillit l’armagnac et où se reposent les vins mis en fût. De ce lieu singulier pour évoquer le souvenir de mon père qui était vigneron, une visiteuse, petite fille de Juifs, a fait le commentaire suivant : « Incroyable rencontre entre l’eau de vie et la vie, les vies si difficiles, cruelles, et belles… merci pour le bâton de relais… aux jeunes la suite… »
J’ai donc accroché les 25 panneaux de l’expo, et un de plus sur mon père, détaillant son chemin de Saint-Mont à Dachau, puis son retour au pays. Un jour, ma mère, très humble, m’a interpellée sur la nécessité d’évoquer les autres déportés et prisonniers. J’ai donc fait une place aux différents membres de ma famille et de celle de mon mari. Un travail colossal s’est présenté devant moi. J’ai sollicité cousins, voisins, amis âgés, albums de famille, courriers anciens… pour tenter de conter le parcours de chacun, prisonniers, déportés, militaires, résistants, mais aussi Juifs recueillis par la famille de mon mari, sans oublier l’implication des femmes. J’ai ajouté ma documentation, des livres sur la déportation ; j’ai aussi fait un coin pour les jeunes, présentant des travaux du Concours national de la Résistance et de la Déportation… Un jeune visiteur est même venu me porter son devoir, tout fier d’abonder ce travail.
Sûrement un peu en décalage avec la vie dans le camp, j’ai fait une évocation de la vie pendant la guerre, avec photos des travaux sur la ferme, quelques objets du quotidien et toilettes de ce temps-là. Cela me paraissait opportun pour accrocher l’attention de ceux qui ne peuvent pas tout regarder des horreurs de la déportation, et ce lieu permet de faire remonter des souvenirs de famille, qui amènent à aller plus loin dans la prise de conscience de l’intérêt à connaître les histoires de nos aînés, dont nous sommes les passeurs.
Au fur et à mesure des visites, j’ai reçu avec beaucoup d’émotion et de reconnaissance des récits de prisonniers, des carnets militaires, des courriers… et la veste et le calot de déporté de Georges Bernado, grand ami de papa, ainsi que des objets personnels. Ces deux mois furent très riches de rencontres certes chronophages, mais si remplies d’intérêt, d’humanité, de respect, de curiosité et, pour certains, occasion de récits familiaux. J’ai eu la joie d’accueillir des descendants de trois déportés qui n’avaient pas de lien avec la grande famille de l’Amicale. Avec le recul, je crois avoir touché le cœur de ces visiteurs, de mes amis, de ma famille, pour qu’ensemble nous portions cette transmission « laissée sous les fagots », en jargon paysan.
Face à la conjoncture sanitaire, je reconduis ce projet, que j’animerai dans notre domaine du 4 mai au 30 août 2021. Je vous invite donc à venir découvrir le Gers et faire une halte à Sarragachies.
Avec modestie, mais avec tout l’amour pour mon père et ses frères et sœurs de la guerre, je conclurai par ces mots de Thibaut, petit-fils d’une déportée : « Bravo pour ce travail de mémoire, ne jamais oublier ! Quand les hommes perdent leur humanité, d’autres se lèvent. Merci Dany pour ce travail remarquable. »
Le 18 mai 2021 s’est tenue à Chevigny-Saint-Sauveur une exposition sur le camp de concentration de Dachau conjointement à une exposition dédiée à Anne Frank et commentée par madame Christine Loreau, correspondante en France et en Europe de la Maison Anne Frank, où nous avons été accueillis par le maire de Chevigny-Saint-Sauveur, monsieur Guillaume Ruet, et par madame Catherine Victor, instigatrice de cet événement.
L’exposition de l’Amicale a ainsi pu être visitée en présence de personnalités telles que le lieutenant-colonel Royal, délégué militaire départemental adjoint, monsieur Bruno Dupuis, directeur départemental de l’ONAC, le capitaine Payet, commandant la 8e compagnie de l’école de gendarmerie de Dijon, le docteur Cemachovic, président de l’Association Cultuelle Israélite, madame Loreau, monsieur Lombard, président de la Ligue de l’enseignement de la Côte-d’Or, madame Schmit, représentant la directrice académique des services de l’Éducation nationale, madame Elloy, secrétaire générale du Comité de parrainage du Concours national de la Résistance et de la Déportation, et madame Ginier, déléguée régionale Bourgogne-Franche-Comté de l’Amicale du camp de concentration de Dachau.
L’après-midi était consacré aux témoignages de trois déportés :
• Marcel Suillerot, rescapé de Sachsenhausen ; • Henri Mosson, condamné à mort à 19 ans et rescapé du Struthof ; • Pierre Jobard, d’abord rescapé d’Auschwitz, puis transféré à Buchenwald et enfin à Flossenbürg.
Le COVID ne nous a pas permis de recevoir plus de 30 personnes dans la salle, mais de nombreuses questions ont été posées aux déportés.
Cette année encore, en raison de la pandémie de Covid-19, les commémorations de la libération n’ont pu se tenir en présentiel au camp de Dachau. Pour l’occasion, le Mémorial du camp de Dachau, la Fondation des Mémoriaux bavarois et le Comité International de Dachau nous avaient néanmoins concocté un remarquable programme en ligne, comme ils l’avaient déjà fait l’année précédente pour le 75e anniversaire de la libération du camp. Différents « événements numériques » ont ainsi eu lieu du 29 avril au 2 mai 2021. Leur contenu reste d’ailleurs disponible à cette adresse : https://www.kz-gedenkstaette-dachau.de/liberation.
Les commémorations ont débuté le 29 avril par un moment de recueillement sur place, avec dépôt de gerbes au pied du Monument international de Dachau. Bien que cette cérémonie se soit faite en petit comité et sans public, les Amicales des différents pays étaient représentées.
Dans l’après-midi de cette même journée débutait le « programme numérique » proprement dit. Pendant trois jours se sont succédé de très nombreuses vidéos, retraçant d’une part l’événement historique de la libération, et abordant d’autre part la délicate question de l’avenir du travail de mémoire. Au fil des heures, nous avons ainsi découvert différents documentaires, portraits de déportés et messages et récits personnels de survivants et libérateurs. La parole a aussi été laissée aux directeurs de mémoriaux, à des collégiens, jeunes adultes et descendants de déportés.
La journée du samedi 1er mai a été l’occasion pour le CID de remettre le prix d’études Stanislav-Zámečník – cette année attribué à Johannes Meerwald pour son mémoire de Master « Les déportés espagnols dans le système concentrationnaire de Dachau (1940-1945). Déportation, emprisonnement en camp de concentration, conséquences » – ainsi que le prix général André Delpech – quant à lui décerné à Dee Eberhart, vétéran de la 42e division d’infanterie « Rainbow » de l’armée américaine, et libérateur du camp de Dachau.
Enfin, le dimanche 2 mai n’a pas dérogé à la tradition : ce jour-là affichait au programme les retransmissions des offices religieux, suivis un peu plus tard dans la matinée de la cérémonie principale, rendant hommage aux victimes du camp de Dachau et commémorant le 76e anniversaire de la libération au travers des discours de Gabriele Hammermann (directrice du Mémorial de Dachau), Monika Grütters (ministre d’État auprès de la Chancelière et déléguée du gouvernement fédéral à la culture et aux médias), Michael Piazolo (ministre bavarois de l’éducation et de la culture), Jean-Michel Thomas (président du Comité International de Dachau), Karl Freller (directeur de la Fondation des Mémoriaux bavarois et 1er vice-président du parlement bavarois), Hilbert Margol (libérateur), Elly Gotz (déporté), Abba Naor (déporté) et Leslie Rosenthal (déporté). La journée s’est terminée en début d’après-midi par une cérémonie à l’ancien champ de tir SS d’Hebertshausen, où furent assassinés plus de 4 000 prisonniers de guerre soviétiques.
À défaut de pouvoir vous retranscrire l’intégralité des vidéos mises en ligne, le programme étant très riche, nous vous présentons ci-après quelques morceaux choisis. Dans notre bulletin n°751 paru en 2020, nous vous proposions les textes de Guy-Pierre Gautier et Pierre Rolinet, tous deux survivants de Dachau. Cette année, nous rendons hommage à un troisième déporté français, Yves Meyer, en publiant ici son message. Par ailleurs, nous avons souhaité illustrer le point de vue des libérateurs et avons sélectionné l’intervention de Dee Eberhart, qui était à l’honneur cette année. Comme le veut la tradition, vous pourrez aussi lire ci-après l’allocution prononcée lors de la cérémonie principale par Jean-Michel Thomas, Président du Comité International de Dachau, membre de notre Amicale et enfant de déporté. Enfin, vous trouverez dans la rubrique « Histoire » de notre bulletin n°755 un aperçu du documentaire « L’heure H de la libération », diffusé le 29 avril sur le site Web du Mémorial de Dachau.
Alicia GENIN
Message d’Yves Meyer, survivant de Dachau
Bonjour à tous, je m’appelle Yves Meyer. Je communique mes souvenirs depuis mon appartement, dont la vue sur le Mont-Valérien me rappelle chaque jour les 1000 fusillés de la Résistance française. Matricule 76569 à Dachau, arrêté par la Gestapo en Normandie trois jours avant le débarquement allié à la suite de l’infiltration d’un agent double d’une autre organisation, j’étais le responsable des maquis de la Région A pour les MUR (Mouvements unis de la Résistance).
Du 2 au 5 juillet 1944, j’étais dans le « Train de la Mort » qui partait de Compiègne-Royallieu pour une destination inconnue. 77 ans après ce voyage éprouvant – faut-il dire « déjà » ou « il y a si longtemps » ? –, les images gravées dans ma mémoire sont encore très fortes. Notre projet d’évasion, organisé par Claude Lamirault pendant notre internement au camp de transit de Compiègne, a malheureusement échoué. La bousculade à l’embarquement pour que le groupe d’évasion se retrouve dans le même wagonnous a laissé quelques souvenirs. Tout comme la tension nerveuse extrême dans ce lieu étouffant, par une journée de forte canicule, et l’impossibilité de s’asseoir à 100 par wagon. Finalement, la discipline a joué – 50 assis, 50 debout – mais le manque d’air et d’eau était cruel. À la gare de Révigny, découverte stupéfiante de tous ces cadavres. Seuls quelques wagons seront épargnés. Dans l’un des wagons, un seul survivant sur les 100.
Le passage par Ulm en Allemagne et la vue des dégâts provoqués par les bombardements alliés, sans que cela n’ait paralysé aucunement le trafic ferroviaire allemand. Ensuite l’arrivée en gare de Dachau, lieu dont seulement quelques camarades connaissaient la signification. Moi, j’avais lu en 1936 un récit d’un prisonnier libéré du camp, que je pensais exagéré, mais si j’avais su… La marche de la gare au camp de Dachau avec les jeunes Allemands qui nous insultaient et nous lançaient des pierres, les chiens des gardiens qui nous mordaient…
Ensuite l’entrée dans ce camp et la vision dramatique de ces enfants de dix à quatorze ans, en costume de bagnard, le crâne rasé, au garde-à-vous, le berret abaissé sur la couture du pantalon, saluant les SS. De quoi pouvaient-ils être coupables ? Sur la place d’Appel, appel de tous les noms du convoi, dont les 900 morts, qui évidemment ne pouvaient répondre et qui ne furent pas immatriculés. Ensuite le déshabillage, toujours sur la place, l’entrée aux douches, l’ablation du système pileux, la visite médicale tout nu, au pas de course, les mains tendues devant un attroupement de médecins SS. Cette odeur de chair brûlée des crématoires qui ne nous a pas quittés pendant des jours. La quarantaine à la baraque 21 et le nivellement par le bas de toutes les classes sociales : curés, préfets, résistants, otages. Notre grande naïveté, voulant protester auprès du commandant du camp parce qu’un officier français avait été giflé par un kapo. Et ensuite la grande joie provoquée par l’attentat contre Hitler le 20 juillet 1944, et notre espoir de retour dans les jours qui suivaient.
Départ ensuite le 27 juillet pour les camps du Neckar, où nous connûmes l’horreur.
Sur la grande place de Dachau figure actuellement en toutes langues le slogan : « Plus jamais ça ». Nous y avons cru un long moment. Mais comme nos pères qui eux croyaient à « La Der des Ders », nous sommes aujourd’hui très inquiets. Nous voyons le monde devenir fou. Heureusement, notre optimisme naturel reprend le dessus.
Pour conclure : lisez des journaux de tendances différentes pour vous faire votre propre opinion, communiquez entre vous, discutez des problèmes qui peuvent séparer. Il y a toujours un compromis possible. Les rencontres internationales sont très importantes et permettent la confrontation et l’acceptation des cultures différentes.
Bonsoir à tous.
Message de Dee Eberhart, libérateur de Dachau
Bonjour, Dr Hammermann. Merci de m’avoir invité à participer aux célébrations virtuelles du 76e anniversaire de la libération du camp de concentration de Dachau. Vous avez suggéré que je me remémore les jours de la libération. Cela devra se faire de mémoire, car je n’ai pas de notes, pas de journal intime ou quoi que ce soit de la sorte.
Si je me souviens bien, car cela remonte à très longtemps, voilà ce qu’il s’est passé entre le 29 avril et le 2 mai 1945. Le matin du 29 avril, mon peloton (3e peloton de la Compagnie I, 242e régiment d’infanterie, 42e division « Rainbow ») se trouvait quelque part près d’Augsbourg, à côté ou près de l’autoroute. Notre régiment était l’un des deux régiments d’attaque ce jour-là. Les 222e et 242e régiments avaient été motorisés par le commandant de division. Nous – c’est-à-dire mon peloton et moi-même – étions prêts à monter à bord d’un de ces gros camions de l’armée. Mais il n’y en avait plus, plus aucun de notre régiment n’était disponible. Nous avons alors reçu des ordres verbaux de l’un de nos sergents de peloton, qui nous a annoncé qu’à partir de ce matin du 29 avril, nous serions désormais rattachés au 1er bataillon du 222e régiment d’infanterie (l’autre régiment d’assaut ce jour-là).
Nous avons roulé sur l’autoroute, avec pas mal d’embouteillages dans un sens, car des camions et des chars de la 7e armée se dirigeaient vers Munich. À un moment donné, nous avons été détournés de l’autoroute vers des routes secondaires. Et j’ai découvert plus tard que notre destination n’était plus Munich, mais le camp de concentration, qui avait probablement été signalé par l’agence de renseignement. Je ne sais plus qui l’a signalé. Nous nous sommes donc dirigés vers le camp de concentration. À un moment où nous nous approchions, j’ai clairement pu voir la cheminée et j’ai pensé que c’était une ville industrielle. Nous sommes descendus du camion et avons formé une longue, très longue ligne de bataille qui a commencé à se diriger vers la zone de détention du camp de concentration de Dachau.
Nous nous sommes approchés suffisamment des fils barbelés pour que je puisse voir ce qui me semblait être un chaos total à l’intérieur de la clôture. J’ai découvert plus tard que les victimes des atrocités nazies étaient en train de battre et de tuer les kapos qui étaient là, car (c’est ce que les anciens détenus m’ont dit des années plus tard) les kapos étaient encore plus sadiques que les SS. Après cette introduction à la tourmente de la journée, nous avons été témoins des effets de la malnutrition, du typhus endémique, de la famine et de la maltraitance générale des prisonniers par les SS et les kapos.
Au passage, je dois mentionner qu’un certain nombre de victimes se trouvaient à l’extérieur de la clôture. Je ne sais pas pourquoi, ils étaient peut-être dans des détachements de travail. Et certains d’entre eux se sont précipités vers nous, nous ont étreints, et nous avons dû les rassurer, leur confirmer qu’ils avaient bien été libérés. Et nous étions très heureux de leur communiquer cette nouvelle.
Cette nuit-là, certaines maisons de la ville de Dachau ont été réquisitionnées, probablement par notre bataillon, le 1er bataillon du 222e régiment, et mises à notre disposition. Les civils des maisons ont nié toute connaissance, toute conscience des atrocités que les SS du camp ou les responsables avaient commises sur les victimes, et ce jusqu’à récemment, jusqu’à ce jour, le 29.
Le lendemain matin, notre peloton a rejoint la Compagnie I ; nous n’étions plus rattachés au 1er bataillon du 222e régiment. Notre attaque s’est ensuite poursuivie contre Munich, où nous avons libéré des maisons et des bâtiments. Et mon coéquipier et moi-même avons affirmé que nous avions libéré les jardins botaniques à la périphérie de Munich. Lorsque j’ai demandé au gardien s’il y avait des soldats allemands aux étages supérieurs des bâtiments, il a nié. Mais peu de temps après avoir quitté l’entrée principale, Willy (mon coéquipier) et moi sommes partis, je me suis retourné et il y avait, je pense, des dizaines de soldats allemands agitant des drapeaux blancs. Et il me semble qu’il y avait également un officier général.
Nous avons continué l’attaque de Munich. Parfois je marchais, parfois je me déplaçais en camion, et parfois je me retrouvais sur le toit des chars. J’ai été témoin d’un meurtre par vengeance, commis par un ancien prisonnier en uniforme bleu et gris (les prisonniers portaient des uniformes à rayures longitudinales) … Il a couru vers un soldat allemand – de la Wehrmacht ou de la SS, je ne me souviens plus –, l’a mis à terre et l’a tué… Il l’a tué à coups de pied avant que le char sur lequel je me trouvais n’arrive, mais personne n’a fait le moindre geste pour intervenir. En fin d’après-midi, le temps était très couvert et il a commencé à neiger pendant la nuit. Le lendemain matin, une importante couche de neige recouvrait le sol. Nous avons trouvé un logement quelque part dans la banlieue de Munich. Un de mes copains a ramassé un appareil photo qu’il avait vu traîner là. Il y avait un film dedans et il a pris des photos de plusieurs d’entre nous, probablement de cinq ou six d’entre nous (les membres du 3e peloton), etil l’a fait développer plus tard.
Cela concerne les 29 et 30 avril jusqu’au 1er mai, autant que je m’en souvienne. Nous nous dirigions vers l’est, depuis la limite orientale de Munich, en direction de la traversée de l’Inn. Un des officiers s’est approché de l’endroit où je me tenais et s’est adressé aux membres de notre 3e peloton. Il a dit : « Nous avons besoin de militaires, de soldats, qui retournent pour pouvoir témoigner des atrocités perpétrées sur les victimes des nazis. » Si ma mémoire est bonne, aucun membre du 3e peloton ne s’est porté volontaire étant donné que nous nous y trouvions la veille. Voilà qui termine à peu près la période du 29 avril au 1er mai ; nous avons poursuivi notre voyage et traversé l’Inn plus tard ce jour-là.
Merci encore pour l’invitation. Je suis très déçu que cela n’ait pas pu se faire en personne et que je n’aie pas pu vous revoir, mes chers amis de la région de Munich et de Dachau. Alors merci encore, Dr. Hammermann, et nous espérons tous que votre rencontre virtuelle à l’occasion du 76e anniversaire de la libération sera un succès.
Allocution du Président du Comité International de Dachau – 2 mai 2021
Cette année encore, nous avons accompagné à distance les autorités qui, pour le 76e anniversaire de la libération du camp de concentration de Dachau, se sont inclinées avec ces nombreuses gerbes à la mémoire de toutes les victimes.
Notre monument invoque l’exemple de ceux qui furent exterminés dans la lutte contre le nazisme et appelle à l’union des survivants pour la défense de la paix, de laliberté et du respect de la personne humaine. Se recueillir en pensant aux objectifs ambitieux de cette exhortation est un exercice utile.
En premier lieu pour saluer les progrès accomplis depuis 1945, sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies. À Dachau, la maison-mère du système concentrationnaire, les détenus n’étaient pas reconnus comme des personnes humaines, ce n’étaient que des Stücks. La reconnaissance de la dignité de la personne a progressé dans le monde. Il reste pourtant encore de graves inégalités dans les droits des personnes, notamment entre l’homme et la femme.
Nous devons aussi rester en éveil face aux nouvelles menaces.
Et d’abord devant le virus du nazisme qui, comme celui de la COVID, n’a pas disparu et tue toujours. Les fantasmes de forums extrémistes voient dans cette pandémie le miroir d’un monde occidental et libéral sur les décombres duquel doit s’ériger un nouvel ordre « sain » et « racialement » purifié. Certains comptent sur l’effondrement des états démocratiques en Europe, et envisagent de l’accélérer par des attentats ciblés. C’est également le but de l’islamisme radical.
À côté de la résurgence de l’antisémitisme que nous déplorons depuis longtemps, le discours de la race n’a pas disparu non plus. Il réapparaît aujourd’hui avec la « racialisation », dans l’étude des rapports sociaux de domination, avec ce qu’ils comporteraient comme caractère raciste. La « race » devient alors une construction sociale. Des ateliers de réflexion non mixtes sont ainsi organisés. Cette légitimation des catégories, c’est-à-dire des races, est un phénomène nouveau et choquant. Le danger de dérive, alimentant le racisme, est toujours présent.
Enfin, un autre phénomène venu d’outre-Atlantique se répand dans les universités du monde entier : celui du woke et de la cancel culture.
Le but est louable, les intentions sont bonnes : il faut débusquer les injustices sociales. Mais les idées sont mauvaises quand elles conduisent à une dérive idéologique dangereuse. Il convient donc de dénoncer cet ostracisme qui, au nom du bien, mène à la désintégration sociale. Cette doctrine interdit en effet la tolérance des désaccords et refuse l’idée fondamentale du libéralisme, à savoir l’autorisation de cohabitation de deux valeurs opposées.
Cette culture de la contestation sectaire a déjà des conséquences dramatiques au pays de la libre parole. Avec les réseaux sociaux, elle a quitté le champ strictement universitaire avec un risque de restriction de la liberté d’expression devant ce qui devient une dictature de l’opinion.
Trois menaces, trois alertes.
En union avec les survivants du camp de Dachau qui nous accompagnent ainsi qu’avec les libérateurs américains, dont Dee Eberhart que nous avons honoré hier, restons vigilants.
L’année dernière, au plus fort de l’épidémie du COVID, nous étions contraints de renoncer à l’une de nos traditions annuelles les plus solidement ancrées : la cérémonie du Ravivage de la Flamme sous l’Arc de Triomphe le 29 avril, célébrant l’anniversaire de la libération du camp de concentration de Dachau. Cette année, alors que la vie commençait tout doucement à reprendre son cours, le Comité de la Flamme nous autorisait à nous rassembler… moyennant certaines contraintes. Le nombre de personnes étant rigoureusement limité pour chacune des associations membres du Comité, était uniquement présent un petit groupe de l’Amicale composé de Pierre Schillio (notre Secrétaire Général) et de son fils Pascal, de Joëlle Delpech-Boursier (notre Secrétaire Générale adjointe), de Marie-Clarté Cart (qui s’occupe de la constitution de notre fonds d’archives depuis des années) et de Jacqueline Boueilh (sœur du Président de notre Amicale). Autre fait notable, également dû à la régulation de la foule sous l’Arc de Triomphe : notre participation est intervenue exceptionnellement le 30 avril, et non le 29 comme de coutume.
Loi du 14 avril 1954 – création de la Journée nationale du Souvenir des Victimes et Héros de la Déportation
La Journée 2021 dans les Vosges sous COVID
L’indispensable préservation de la mémoire de la déportation se fit sentir dès la fin de la Seconde Guerre mondiale avec son long cortège de morts dans les camps nazis, auxquels s’ajoutaient ceux qui avaient survécu mais qui étaient marqués à jamais par les souffrances subies.
En 1950, les anciens déportés et les familles de ceux qui n’étaient pas revenus exprimèrent le souhait de voir inscrire au calendrier des commémorations une célébration nationale destinée à conserver la mémoire de la déportation. Le 14 avril 1954, le parlement reconnaissait ce besoin et votait, à l’unanimité, une loi consacrant le dernier dimanche d’avril comme « Journée nationale du Souvenir des Victimes et Héros de la Déportation », au cours de laquelle la nation honorerait la mémoire de tous les déportés sans distinction, et rendrait hommage à leur sacrifice (1).
Le dernier dimanche d’avril fut retenu non seulement en raison de sa proximité avec la date anniversaire de la libération de la plupart des camps, mais aussi parce qu’il ne se confondait avec aucune autre célébration nationale ou religieuse existante (2).
Chaque année, les Vosgiens se souviennent de leurs 3 958 déportés de la Seconde Guerre, dont 2 484 ne sont jamais rentrés des camps.
Dans les Vosges, la commémoration de cette fin avril est tout d’abord départementale, principalement sur le site de « La Vierge » à Épinal, lieu d’exécution de nombreux patriotes et proche de la caserne où les prisonniers des nazis étaient regroupés en vue de leur transfert vers les camps (3).
Ce 25 avril 2021, la cérémonie fut certes réduite en raison des contraintes sanitaires de la COVID, mais elle fut néanmoins poignante avec l’intervention voulue par la mairie d’Épinal de deux jeunes filles : l’une a lu un texte personnel sur la jeunesse et la mémoire de la Résistance et de la Déportation, l’autre le message des associations de déportés.
Hélas, sur le site du Maquis de Grandrupt-de-Bains, ce fut la première fois depuis 76 ans qu’aucune cérémonie n’a eu lieu, et c’est avec amertume que l’Amicale Lorraine du Camp de Concentration de Dachau restructurée l’a constaté.
Aussi, avec l’assouplissement annoncé des règles sanitaires, l’Amicale a décidé d’ajouter un second thème à la commémoration de l’Appel du 18 juin du général de Gaulle, en évoquant la déportation. Ainsi, la cérémonie du vendredi 18 juin 2021 à 17 heures comprendra :
la mémoire de l’Appel du 18 juin 1940, véritable acte de naissance de la Résistance ;
l’hommage aux 223 déportés du Maquis de Grandrupt-de-Bains, avec allumage de 120 lucioles rappelant les 120 morts du Maquis.
Notre génération ne doit pas oublier ceux qui se sont battus et ont souffert pour notre liberté. Les déportés de cet enfer de Dachau doivent être toujours dans les esprits. Certes la COVID a limité voire interdit de nombreuses actions de mémoire. Il convient dorénavant de profiter d’un assouplissement sanitaire dans les contraintes de regroupement pour que le devoir de mémoire retrouve la place qui lui revient, non sans oublier que les mesures barrière demeurent d’actualité…
André BOBAN – Président de l’Amicale Lorraine de Dachau
(1) Loi n° 54-415 du 14 avril 1954 consacrant le dernier dimanche d’avril au souvenir des victimes de la déportation et des morts dans les camps de concentration du Troisième Reich au cours de la guerre 1939-1945.
(2) Premier camp de concentration mis en place par le régime nazi en 1933, le camp de concentration de Dachau a été libéré par les troupes américaines le 29 avril 1945.
(3) Cette caserne « quartier Varaigne » est aujourd’hui le lieu de stationnement du glorieux et remarquable 1er Régiment de Tirailleur. Les infrastructures qui « regroupaient » les prisonniers avant leur départ vers les camps ont été détruites et quelques vestiges ont permis de dresser, à l’intérieur de la caserne, un monument qui rappelle cette page de l’Histoire de la déportation dans les Vosges.
MAINE-ET-LOIRE
Le dimanche 25 avril, le président de la délégation de la région des Pays de la Loire, Serge Quentin, également vice-président de l’Amicale de Dachau, s’est rendu à Cholet, ville adhérente de notre association, afin d’y assister aux cérémonies de la Journée de la déportation.
À la demande de Gilles Bourdouleix, maire de Cholet, Serge Quentin a lu le message des associations de déportés, puis a été invité à déposer la gerbe en compagnie du premier magistrat de la ville et du sous-préfet de l’arrondissement, monsieur Mohamed Saadallah.
CHARENTE
Ce 25 avril 2021 a eu lieu au monument aux morts de Cognac la cérémonie du 76e anniversaire de la libération des camps de concentration. Ce fut un moment de recueillement comme toujours émouvant et intense, en souvenir des Victimes et Héros de la Déportation, qu’il est très important de continuer à honorer.
« À tous les Déportés, victimes des génocides et de la répression, nous rendons, aujourd’hui, un hommage solennel et nous saluons respectueusement leur Mémoire. » (Message des Déportés)
Dans le cadre des prochains Rendez-vous de l’Histoire, l’Union des Associations de mémoire des camps nazis (Buchenwald-Dora, Dachau, Mauthausen, Neuengamme, Ravensbrück, Sachsenhausen) proposera une table ronde : « Au cœur du pouvoir nazi : gouverner par les camps, gouverner les camps ». Celle-ci aura lieu le vendredi 9 octobre, de 18 h 15 à 19 h 45 (site Chocolaterie de l’IUT).
Intervenants pressentis :
Johann Chapoutot, professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Paris-Sorbonne. Dernier titre paru : Libre d’obéir. Le management, du nazisme à aujourd’hui. Gallimard, 2020.
Michel Fabréguet, professeur des universités, IEP de Strasbourg, auteur de Mauthausen, camp de concentration national-socialiste en Autriche rattachée. Honoré Champion, 1999.
Audrey Kichelewski, maîtresse de conférences à l’Université de Strasbourg. Dernières publications : Les Polonais et la Shoah. Une nouvelle école historique. CNRS Éditions, 2019 ; Les survivants. Les Juifs de Pologne après la Shoah. Belin, 2018.
Olivier Lalieu, historien au Mémorial de la Shoah, auteur de La zone grise ? La Résistance française à Buchenwald. Tallandier, 2005.
Modérateurs :
Dominique Durand, président du Comité international Buchenwald-Dora. Daniel Simon, président de l’Amicale de Mauthausen.
Déclaration d’intention :
Les études récentes accréditent-elles les idées reçues sur la théorie et les moyens requis par les nazis pour gouverner le peuple allemand et les peuples conquis ? Quatre historiens spécialistes débattent des pratiques coercitives de l’ordre hitlérien : la violence répressive révèle-t-elle autant qu’on se le représente un ordre politique totalitaire centralisé ? La délégation d’autorité implique-t-elle dilution de la responsabilité, sinon de l’identité du pouvoir ? Peut-on voir dans la SS une « agence » managériale qui, comme tout maître d’esclaves, optimise productivité et ressources humaines ?
Mémorial des Martyrs de la Déportation, Paris, 2 juillet 2020
Chaque année, les membres de l’Amicale de Dachau se rendent au Mémorial des Martyrs de la Déportation, Square de l’Île-de-France à Paris, afin d’y déposer une gerbe de fleurs et d’y commémorer l’anniversaire du départ du Train de la Mort pour Dachau. La commémoration de ce 2 juillet 2020 aurait dû rassembler bon nombre d’entre nous, d’autant plus que nous avions prévu de la faire suivre de notre Assemblée Générale. Pour les raisons que vous connaissez tous, 2020 a été fortement chamboulée et les mesures de précaution sanitaire prises par le Mémorial nous ont contraints à limiter l’accès à cette cérémonie à une dizaine de personnes seulement. Cela nous a également décidés à repousser notre Assemblée Générale, qui se tiendra finalement le samedi 17 octobre à Paris, à moins que des circonstances malheureuses nous obligent à nouveau à revoir notre organisation.
Le 2 juillet dernier, c’est donc en comité restreint que l’Amicale de Dachau est descendue à la crypte du Mémorial des Martyrs de la Déportation pour un moment de recueillement. Parmi les membres conviés, soulignons la venue de deux anciens déportés : Yves MEYER et Jean SAMUEL, qui ont répondu présents pour commémorer la sombre date de leur départ pour le camp de concentration il y a de cela 76 ans, suite à leur arrestation pour faits de résistance. Si la cérémonie était intime, elle s’est néanmoins révélée très émouvante et riche en échanges.
Bien qu’elle n’ait pas été seule à prendre la parole, nous retranscrivons ci-dessous le texte très dignement lu par Mei Ling VAN GHELUWE, retraçant l’histoire de son arrière-grand-père, Jean BERNONOSE, déporté lui aussi par ce convoi tristement célèbre.
Compiègne était pour nous un véritable paradis. En juin 1944, il y avait un soleil splendide, le débarquement venait d’avoir lieu et, pour nous qui sortions de prison de France, qui venions d’échapper de justesse à la condamnation à mort, nous retrouver libres au milieu de plusieurs milliers de Français, avec toutes sortes de jeux à notre disposition – cartes, échecs, ballons, des journaux, une bibliothèque, etc. – et presque pas d’Allemands sur le dos, n’ayant pas encore la nostalgie des « derrière les barbelés », nous étions somme toute presque heureux.
Nous attendions tranquillement l’arrivée des Anglais et des Américains. Quelques jours auparavant, l’aviation alliée avait bombardé la gare, nous étions alors persuadés de l’impossibilité pour les Allemands de nous emmener dans leur pays. De plus, il y avait des Français qui, pour nous, avaient beaucoup de « relief » : des députés, des sénateurs, des anciens ministres, des généraux, des préfets… Et si, pour certains, c’étaient les sentiments « gaullistes » qui les avaient amenés là, pour d’autres, beaucoup d’autres, ils étaient là parce que dehors ils n’étaient plus à l’abri.
N’empêche, la vie était vraiment belle. Les communiqués chaque jour nous apportaient de bonnes nouvelles, les passages successifs d’avions anglais ou américains nous persuadaient de plus en plus que tout le réseau ferroviaire était détruit. D’autre part, grâce à la CroixRouge, la nourriture était substantielle, une petite cantine nous donnait le superflu, nous pouvions recevoir des colis et nous étions tous persuadés – sauf quelques défaitistes ! – que nous étions au bout de nos peines.
En pleine euphorie, tout à coup, le bruit court que des wagons à bestiaux sont arrivés à la gare et que l’on installe des barbelés aux ouvertures. C’est la consternation… Mais les jours passent sans plus rien entendre et l’espoir renaît.
C’est alors qu’on apprend l’assassinat de Philippe Henriot. Personne n’y croit jusqu’au lendemain, où les journaux le confirment.
Les alertes sont toujours aussi fréquentes. L’insouciance est grande quand, le 1er juillet au début de l’après-midi, rassemblement général. Et c’est un appel interminable de 2700 noms qui commence et qui ne se termine qu’au soleil couchant.
Nous rassemblons nos affaires et nous sommes entassés dans d’autres baraques. Trois exactement. Il nous est impossible de dormir, le temps est à l’orage et tout le monde est énervé. Nous passons toute la nuit à essayer de chanter sous l’œil absolument indifférent des sentinelles qui déambulent dans la cour. Nous essayons de nous regrouper par affinité, ou par région, entre camarades. On nous laisse faire.
Le jour est là et tous nous sommes bientôt sur pied, attendant les événements. Ceux-ci ne tarderont pas à venir, malheureusement pour nous.
Vers 7 heures, nous commençons à pouvoir sortir. Le temps est horriblement chaud et, malgré cela, il pleut : une petite pluie fine et chaude. Sachant que nos bagages nous suivront dans un wagon spécial et craignant de ne plus retrouver nos affaires, nous nous étions habillés plus chaudement que de coutume. Au passage, on nous remet du « pain » – une boule 1/4 (ce qui fait supposer à certains que nous en avons pour cinq jours de voyage) – et du saucisson, gros comme le bras.
Et c’est le départ, coupé d’arrêts harassants, encombrés de ce saucisson énorme qui gonfle et devient spongieux sous la pluie. Nous n’avons d’autre choix que de le manger. Si, au fond de nous-même, nous sommes angoissés, chacun tient à n’en rien laisser paraître. Certains même vont jusqu’à plaisanter.
Et puis ces SS qui nous encadrent, arrivant tout droit de Hollande. Voilà leurs voitures pleines de boue le long des trottoirs. Ils ont sûrement roulé toute la nuit et ils partent certainement pour le front. Ils ont dû être réquisitionnés sur place pour nous conduire jusqu’à la gare. Il y en a tous les trois mètres. Ils sont bien bas pour en être réduits à de tels expédients.
Dans un moment de détresse, nous nous persuadons qu’il y a encore des raisons d’espérer, alors que devant nous, nous apercevons la gare. Ces wagons qui, pour un millier des nôtres, seront des tombeaux roulants après quelques heures de route seulement.
On nous met en groupes de 100 et chaque groupe est dirigé vers un wagon où est écrit : « Hommes 40 Chevaux en long 8 ». Le hasard veut que je sois le dernier d’un groupe. Je me souviens fort bien de cet instinct impérieux qui m’imposait de rester le dernier bien que cet état comportât nombre d’attributions de coups de bottes et de cravaches. C’est ce qui m’a peut-être sauvé la vie.
Après un petit discours d’un SS pour nous dire qu’il est interdit de nous évader, la lourde porte à glissière se referme sur nous et on entrevoit distinctement mettre les plombs, tout comme on le fait pour un compteur à gaz.
Je ne sais pas quels peuvent être les sentiments d’un rat lorsqu’il est pris au piège, mais je crois que nous avons eu les mêmes réactions que lui : une angoisse immense bloquée à la gorge, les yeux peureux, les mains moites, les jambes tremblantes et l’oreille aux aguets, avec le secret espoir que tout cela n’était qu’une plaisanterie, qu’on allait nous ouvrir, que l’inhumanité n’allait pas si loin que cela.
Les quelques privilégiés qui se trouvaient près des ouvertures regardaient avidement sans rien apercevoir d’intéressant d’ailleurs.
Notre supplice commençait. Impossible de bouger. Nous étions collés les uns aux autres, chacun étant en étau pour l’autre. Alors nous n’avions plus qu’un espoir : PARTIR, PARTIR, PARTIR, que l’on sente un peu de vent, que l’on puisse respirer. Il était à peine 10 heures.
La pluie avait cessé : par une inclémence du sort, il faisait maintenant un soleil radieux qui tapait en plein sur les tôles de notre wagon et le transformait en fournaise. Et puis ce pain, ce saucisson trop salé que nous avions eu la bêtise de manger ! À peine étions-nous dans cet enfer que la soif commençait déjà à se faire sentir. Les plus jeunes voulaient enlever leur veston et leur pull-over.
« Attendez que le train démarre », cria quelqu’un ! « Oui, attendez », criaient d’autres comme dans une prière !
Mais le mal était fait. Nous entrions dans une nouvelle vie, où les conditions extérieures, biologiques, voulaient que nous nous conduisions comme des bêtes.
Enfin, quelque temps plus tard, le train démarrait, au grand soulagement de tous. Nous ne savions rien sur notre sort et, surtout, nous ne savions pas combien de temps il nous faudrait subir ce supplice.
Et notre convoi fut celui d’un train de marchandises faisant 10 km en 2 heures, avec des manœuvres interminables, des attentes dans les gares ou sur des voies de garage, sous un soleil terrible, implacable, sans une bouffée d’air frais.
Le soir, à 7 heures, nous atteignons Reims par la seule voie disponible après un terrible bombardement.
Mais, dans ces cargaisons d’humains collés les uns aux autres, se livre le drame le plus terrible de tous les temps. Les hommes sont affolés, encastrés les uns dans les autres, au milieu d’une mare de jambes et de souliers épais. Comme chez une bête qui va mourir, les têtes tombent brusquement et se soulèvent avec de plus en plus de difficultés. Les folies font crever les yeux, boire les urines, boire le sang. Les jeunes plus énergiques essayent de réagir, se remuent et reprennent trop d’oxygène, ce sont eux qui tombent les premiers.
La panique où tout le monde veut se précipiter vers les ouvertures et où les plus faibles tombent et meurent.
Le 2 mars dernier, notre Union des associations de mémoire des camps nazis organisait, en collaboration avec le rectorat de l’académie de Paris, une rencontre avec Nikolaus Wachsmann, professeur à Birbeck College (Université de Londres) et auteur du monumental KL. Une histoire des camps de concentration nazis, publié par Gallimard dans sa version française en 2017. Parmi l’audience, rassemblée pour l’occasion dans le Grand Salon de la Sorbonne, se trouvaient des membres de nos associations ainsi que des étudiants accompagnés de leurs professeurs.
La conférence a débuté par quelques mots d’accueil de monsieur Rachid Azzouz, au nom du recteur de l’académie de Paris, suivis d’une introduction de Dominique Durand (Amicale de Buchenwald-Dora), qui a salué la qualité du très ambitieux travail de synthèse de Nikolaus Wachsmann. La rencontre s’est finalement terminée par une conclusion de Dominique Boueilh, président de notre Amicale.
Nikolaus Wachsmann a d’abord souhaité remercier l’ensemble des historiens ayant écrit sur les camps, et sans qui il n’aurait pu rédiger « son » histoire des camps nazis. En effet, après des décennies de recherches sur le sujet, il est désormais possible de rassembler les pièces du puzzle afin de s’essayer à dresser un tableau d’ensemble. Il a confié s’être beaucoup interrogé sur la façon de raconter cette histoire : comment trouver le ton adéquat pour parler d’une période si douloureuse, alors que les survivants eux-mêmes expriment cette difficulté dans leurs témoignages ? Car la matière de son ouvrage, il l’a aussi puisée dans les récits des victimes des camps, dont la richesse et la diversité le frappent encore aujourd’hui.
Après cette brève introduction, Nikolaus Wachsmann a répondu aux questions du journaliste Emmanuel Laurentin, créateur de l’émission de radio La Fabrique de l’histoire sur France Culture. Au cours de cet entretien, il a pu s’exprimer sur sa volonté d’écrire une « histoire intégrée », c’est-à-dire une histoire qui intègre l’expérience des victimes, mais aussi la perspective des bourreaux et divers témoins – une démarche qui s’est avérée particulièrement fastidieuse, chaque histoire étant unique en son genre.
Interrogé sur l’origine du système concentrationnaire, l’historien a d’abord assuré qu’il n’existait pas de plan en tant que tel. Si les nazis se sont évertués à dire qu’ils avaient « puisé » dans une tradition déjà existante (Hitler lui-même faisait référence au comportement des Britanniques en Afrique du Sud), l’établissement de ce système fut le résultat de nombreuses décisions, contredécisions et hésitations. À partir de 1933, quand le système concentrationnaire fut mis en place, il y avait évidemment des précédents (certaines sanctions, ou l’idée que des « prestations » pouvaient être réalisées par des prisonniers, existaient déjà dans le système carcéral). Mais, au-delà de cela, les camps de concentration ont surtout trouvé leur origine dans l’expérience d’organisation de la droite paramilitaire (SS notamment) : cet esprit martial, cette façon de vouloir combattre l’ennemi jusqu’à la mort. En revanche, et de même qu’il n’y avait pas de détenu « typique », il y avait une diversité de camps de concentration et il n’y avait pas de « projet » à l’origine. Dachau, seul camp à avoir existé du début à la fin, a d’ailleurs considérablement évolué au cours de son histoire et les prisonniers de la première heure, qui étaient alors « relativement bien traités », n’auraient certainement pu imaginer ce qu’allait devenir le camp par la suite.
En 1933, la fonction des camps de concentration était de stabiliser la nouvelle dictature, car même s’ils bénéficiaient d’un grand soutien populaire, les nazis n’ont jamais eu la majorité aux élections. Le régime décida alors de détruire la possibilité d’une résistance et d’une opposition politique, mais ce furent les SS qui instaurèrent cela au niveau local et sans réelle coordination. On enferma donc des opposants dans divers camps, sans vraiment savoir à quoi ils étaient voués. En 1934, après la nuit des Longs Couteaux, le régime maîtrisait la situation et certains dirigeants nazis dirent d’ailleurs que les camps n’avaient plus lieu d’être. Mais Hitler soutenait Himmler, qui affirmait que la terreur était essentielle au régime nazi. Le système concentrationnaire commença à se coordonner et, pour la première fois, on vit l’apparition de camps « construits en tant que tels », comme Mauthausen et Sachsenhausen. Et l’ordre bureaucratique et les règles furent progressivement mis en place pour que l’appareil fonctionne de la manière la plus efficace qu’il soit. Selon Nikolaus Wachsmann, la personne qui joua le rôle le plus considérable dans la régulation du système concentrationnaire fut le deuxième commandant de Dachau, Theodor Eicke. C’est lui qui parvint réellement à avoir de l’influence lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre un « esprit » des camps : on se prouvait SS lorsqu’on ne montrait aucune pitié envers les détenus, qui devaient être traités comme des ennemis.
Quand la guerre éclata en 1939, le nombre d’opposants allemands détenus dans les camps était nettement plus restreint : la plupart des prisonniers étaient alors des « asociaux » et de petits criminels. Cette évolution se poursuivit jusqu’en 45, en s’adaptant aux besoins du régime. Dès le début des camps, le travail forcé fut clé, mais son aspect changea lui aussi radicalement au fil du temps. D’abord fonctionnel dans la mesure où il servit aux prisonniers à construire leurs propres camps, ce travail devint totalement inepte d’un point de vue économique, son seul but étant de torturer et humilier les prisonniers. Vers la fin des années 30, le système de camps était désormais bien construit, l’Allemagne connaissait le plein emploi et il y avait une pression croissante pour que chacun contribue au régime nazi. Les SS développèrent de grandes ambitions économiques, et les détenus furent contraints de les aider à construire les villes rêvées par Hitler. La situation changea encore plus tard : dans la deuxième moitié de la guerre, il fallut participer à l’effort de guerre. Ce fut un moment clé de l’histoire des camps, car ce fut à ce moment qu’on construisit les centaines de camps satellites, dont les emplacements étaient choisis en raison de leur position stratégique (proximité avec une carrière, une mine, etc.). Ainsi, de plus petits camps émergèrent dans de petites villes, et la terreur devint de plus en plus visible, de plus en plus publique. Selon Nikolaus Wachsmann, l’affirmation que « le peuple allemand ne savait pas » relève donc du mythe.
À mesure que les années passèrent, on put également observer une internationalisation des camps de concentration ainsi qu’une systématisation du meurtre de masse. En 1939, le système concentrationnaire comptabilisait 20 000 prisonniers, dont la grande majorité était allemande. En janvier 1945, on dénombrait 715 000 détenus essentiellement étrangers, les Allemands constituant alors moins de 10 % de cette population. La raison de ce changement se trouve dans l’expansion de la terreur nazie. Les camps étaient devenus des sites de répression politique à l’encontre des opposants européens (par exemple, à l’encontre des milliers de membres de la Résistance). Les camps étaient utilisés comme un instrument de discipline et comme une menace pour décourager les travailleurs forcés à se rebeller.
Les camps devinrent également une arme essentielle dans la guerre que menaient les nazis contre le peuple juif européen. De 1933 à 1942, les Juifs constituaient une proportion relativement faible des détenus : la terreur nazie à l’encontre des Juifs s’exerçait ailleurs, d’abord dans les rues d’Allemagne, plus tard dans les ghettos de l’Europe de l’Est occupée. Pour des raisons complexes, en 1942, le régime nazi décida de déporter en masse dans les camps, et c’est à ce moment qu’Auschwitz, qui à ses débuts comptait de nombreux opposants, changea pour s’adapter à l’arrivée des Juifs. Une minorité de ces derniers était sélectionnée pour travailler, une grande majorité était exterminée. Mais il ne s’agit pas d’une décision qui fut prise du jour au lendemain : il s’agit plutôt d’un processus ; un processus d’« improvisation » qui prit un certain temps. Les chambres à gaz furent intégrées à Birkenau, d’abord dans d’anciennes fermes, puis seulement en 43 d’autres types de chambres à gaz furent construites. Mais le camp d’Auschwitz ne s’est jamais transformé exclusivement en camp d’extermination : il a toujours eu de multiples fonctions (travail forcé, expérimentations humaines, etc.).
En insistant sur l’improvisation, Nikolaus Wachsmann a tenté d’expliquer que tout n’était pas prédéterminé, qu’il n’y avait pas de plan principal clair. Cette notion d’improvisation ne sous-entend pas en revanche que l’établissement du système concentrationnaire et la systématisation du meurtre de masse sont le fruit du hasard : il y a évidemment eu une trajectoire, mais l’holocauste n’était pas prédéterminé au début de la carrière politique d’Hitler. Les chefs nazis ont montré la voie, ont donné des motivations à leurs subordonnés, ce qui signifie aussi qu’ils les retenaient parfois s’ils estimaient que les choses allaient trop loin. Au début, la politique du régime envers les Juifs était l’expulsion et non l’extermination : le but n’était pas la mort, le but était de terroriser les Juifs pour qu’ils quittent l’Allemagne. Dans les camps, il y avait une marge de liberté pour les SS, ce qui ne les empêchait pas d’opérer dans le périmètre qui leur était imposé par leurs supérieurs.
Ici, il convient de noter qu’il n’y avait pas de cours, pas de formation pour les SS. Ces derniers apprenaient sur le terrain, même s’il existait quand même des manuels avec des choses à faire et à proscrire, des règlements, une organisation chargée de la coordination et de l’inspection des camps, ainsi que des conférences autour des « meilleures pratiques » à adopter. Au-delà de cela, chaque camp était soumis à des pratiques qui lui étaient propres. Certains SS étaient fiers de leurs méthodes et les montraient aux SS des autres camps. Il y a donc eu des échanges de connaissances et de savoir-faire. Il y avait aussi des mouvements de détenus entre les camps ainsi que des mutations de SS de camp à camp ; cela entraînait une grande fluidité, et ce fut également de cette manière que les connaissances furent partagées.
Enfin, Emmanuel Laurentin a interrogé Nikolaus Wachsmann sur la place des témoignages des survivants dans sa synthèse : comment réintroduire la variété des récits des victimes dans cette histoire, comment leur donner une voix pour ne pas céder à cette fascination morbide que l’on pourrait avoir pour les bourreaux et les organisateurs ? L’historien a admis que ce n’était pas facile, que c’était même extrêmement compliqué. Remarquons avant toute chose que, en ce qui concerne les bourreaux, il existe une grande quantité de documents produits par les SS et autres agences de répression de l’époque, même si beaucoup d’autres ont été détruits. Le rôle des historiens est de tenter de remettre de l’ordre dans les informations provenant de différentes sources disséminées à travers le monde. Cela étant dit, il demeure impossible de se glisser dans la peau des bourreaux, ou alors seulement de manière limitée. Car, pour des raisons évidentes, les SS n’ont pas écrit leurs mémoires. La vaste majorité d’entre eux n’a d’ailleurs pas été jugée, et n’a donc pas été amenée à parler. Quant à ceux qui ont été contraints à parler, ils ont évidemment minimisé leur rôle, voire menti quant à leurs agissements et ce dont ils ont été témoins. L’historien tâche donc de « lire entre les lignes » afin d’extraire des éléments et, déjà à cette étape, les témoignages de survivants sont essentiels puisqu’ils les aident à mettre les choses en adéquation et à en tirer un certain sens.
Comme cela a déjà été dit, il n’existe pas de détenu « typique », chaque expérience se caractérise par son unicité. Les variables furent considérables et les facteurs de vie changeaient en permanence : l’expérience du camp dépendait du moment d’arrivée du prisonnier, de sa profession, de sa connaissance ou non de la langue allemande, de ses compétences, de son âge, de son sexe, de son ethnicité, des personnes dont il fut entouré, etc. Dans son ouvrage, Nikolaus Wachsmann tente donc de décrire autant d’éléments de cette diversité qu’il lui est possible. Il reste néanmoins pleinement conscient que, avec KL. Une histoire des camps de concentration nazis, il ne délivre pas une « vérité absolue » et ne peut non plus prétendre à restituer l’émotion qui fut ressentie par d’autres il y a de cela des décennies.
Alicia GENIN
La vidéo complète de cette rencontre est accessible ici.
Les 22 et 23 février 2020 ont été denses et chargés d’émotion : nous les avons partagés avec deux de nos Anciens d’Eysses, Michel Di Massimo et Jean Lafaurie.
Le 22 février, une plaque commémorative a été inaugurée sur les lieux du sabotage de la voie ferrée, survenu à Hautefort la Tour le 30 mai 1944, lors du départ du train de Penne-d’Agenais. Les Résistants FTP Prosper avaient tenté d’arrêter le train pour faire évader les 1 200 d’Eysses, en vain. Cette cérémonie nous a permis de situer, avec précision et émotion, ce fait connu de nos Pères.
Le lendemain, l’émotion était à nouveau au rendez-vous, cette fois plus contenue, plus solennelle, lorsque monsieur Lafaurie a retracé son parcours d’Eysses à Dachau ainsi que celui de ses camarades disparus, honorés par un grand nombre de gerbes : Association de Chateaubriand, Amicale de Dachau, Amicale de Compiègne, MER 47, Comité du souvenir des fusillés d’Eysses, Amicale d’Eysses, Administration pénitentiaire, Monsieur le Maire de Villeneuve-sur-Lot, Monsieur le Vice-président du Conseil départemental, Monsieur le Président du Conseil général, Monsieur le Député, Madame la Consule générale d’Allemagne, Madame le Sous-préfet.
Tous les porte-drapeaux ont été remerciés, dont le plus jeune (11 ans), porte-drapeau d’Eysses, est l’arrière-petit-fils de deux Eyssois : Raymond Prunière et Jean Rebière.
Monsieur le Maire, après un discours remarquable de sagesse, a convié chacun à partager le verre de l’amitié dans le hall de la mairie.
Le repas du dimanche a été, comme chaque année, particulièrement convivial et fraternel.
Anciens et nouveaux venus ont exprimé leur plaisir enthousiaste d’avoir participé à ces deux jours de commémoration et imaginé un peu mieux ce que leurs Anciens appelaient « l’Esprit d’Eysses ».
Cérémonies au Père Lachaise et au Monument aux Morts de la Mairie du 20e
La journée du samedi 23 novembre a commencé par une cérémonie au Père Lachaise. Nous avons ainsi eu l’opportunité de nous recueillir devant chacun des monuments des associations de déportés, monuments au pied desquels une gerbe a été déposée.
Cette cérémonie s’est poursuivie au Monument aux Mort de la Mairie du 20e, lui aussi fleuri pour l’occasion.
Réunion commune des Associations et Amicales de Déportés sur le thème « La présence de nos associations sur les sites des camps, 75 ans après »
Après un moment de recueillement devant le Monument aux Morts, nous nous sommes dirigés à l’intérieur de la mairie afin d’y assister à la réunion de notre « Interamicale ». Nous en produisons ci-dessous le compte rendu, bien aimablement rédigé par Claude SIMON de l’Amicale de Mauthausen :
Après le mot d’accueil de Florence de Massol, première adjointe à la maire de l’arrondissement, notant que nos rendez-vous en ce lieu prenaient des allures d’habitude, puis soulignant qu’il y a toujours besoin, contre le révisionnisme et les forces qui l’inspirent (racisme, xénophobie, antisémitisme) de mobiliser les consciences, exaltant enfin le modèle social issu de la solidarité des réseaux de résistance, Dominique Boueilh ouvrit la séance en qualité de Président de l’Union de nos associations et Président de l’Amicale de Dachau. Il évoqua les activités ambitieuses de l’« Interamicale » en 2019 et celles prévues pour le printemps 2020.
Puis, pendant deux heures, fut soumise à examen « la présence de nos associations sur les sites des camps, 75 ans après » de cinq points d’observation : les espaces et édifices commémoratifs, les voyages que nous y organisons, les voyages scolaires que nous assistons, nos relations avec les autorités politiques et avec les associations locales de mémoire, les comités internationaux. Chacune de nos associations avait produit cinq fiches, les synthèses thématiques étant proposées par un représentant de chaque amicale. Dans l’ordre ci-dessus des thèmes : Jean-Michel Clère (Neuengamme), Françoise Marchelidon (Ravensbrück), Jean-Louis Roussel (Mauthausen), Dominique Durand (Buchenwald) et Dominique Boueilh (Dachau). Le lecteur voudra bien se contenter de quelques remarques à grands traits.
Il est vrai que la diversité même des situations impose prudence : trois États – Autriche (Mauthausen), RFA (Neuengamme, Dachau), RDA (Buchenwald, Sachsenhausen, Ravensbrück) – différemment orientés dans la géopolitique de la guerre froide ; des autorités locales laissant à l’abandon les lieux ou les utilisant plus ou moins durablement comme des opportunités : camp du NKVD pour prisonniers nazis à Buchenwald, camp de déportés « politiques » à Dachau, briqueterie à Sachsenhausen, prison à Neuengamme. Si, à l’initiative de l’Amicale française, l’installation de monuments nationaux à Mauthausen a commencé dès 1949, la fameuse tour de Buchenwald ne date que de 1958, et à Neuengamme, il fallut attendre 35 ans pour que la mairie de Hambourg fasse du site un lieu de mémoire.
Les structures générales des mémoriaux s’en sont trouvées diversement déterminées : la vingtaine de monuments nationaux à Mauthausen n’a d’équivalent nulle part. D’où des conceptions différentes des commémorations : défilé/parcours ou pas, cérémonies nationales ou non, multiplication ou non de gestes individuels (plaques). Ravensbrück semble un cas extrême : occupé par une usine, inaccessible jusqu’en 1989 (caserne soviétique), le camp proprement dit intègre alors le mémorial, centré sur le mur des nations. Jean-Michel Clère conclut sur l’analogie qu’il propose entre les mille hêtres plantés à Buchenwald et les roses « Résurrection » de Ravensbrück.
De 1947 à 1955 se sont aussi institués les voyages de nos amicales jusqu’aux sites où les veuves, orphelins et rescapés venaient se recueillir. Ces pèlerinages se sont ensuite diversifiés, en direction des jeunes (Buchenwald) et des personnes intéressées par cette histoire. Aujourd’hui, le format de ces voyages se resserre sur les quelques jours des cérémonies internationales, se déploient vers quelques camps annexes et sont l’occasion de réunions internationales et de rencontres avec les autorités et les associations locales de mémoire. Certes les délégations françaises qui font ces voyages ont tendance à voir leur nombre baisser et, selon F. Marchelidon, il faudrait se demander quelle proportion des adhérents de nos associations n’ont jamais participé à de tels voyages.
L’évolution est plus complexe pour les voyages scolaires que nous initions, facilitons ou encadrons – cette dernière modalité n’a cours aujourd’hui que pour Sachsenhausen et Mauthausen. Si des lauréats du CNRD sont parfois encore intégrés dans des groupes de « pèlerinages », l’initiative des voyages scolaires revient, naturellement, aux enseignants, et ceux-ci choisissent soit une totale autonomie (au risque de passer à côté du plus significatif), soit un guidage par les Mémoriaux (notamment sur les sites d’Allemagne), soit le partenariat avec nos associations. Dans ce dernier cas, les groupes sont incités à participer aux cérémonies internationales. Jean-Louis Roussel insiste sur trois points : la difficulté croissante de financer ces voyages, les subventions des régions étant restreintes, et le champ d’intervention de l’OFAJ (Office franco-allemand de la jeunesse) se limitant… à l’Allemagne ; une grande inquiétude liée aux changements de programme, qui, en faisant passer la Seconde Guerre mondiale en classe terminale chamboulée par le nouveau bac, risquent de tarir ces voyages ; la possibilité de pallier cette baisse de la motivation didactique en passant par le nouvel « enseignement moral et civique » (EMC) : les sites des anciens camps nazis, et les cérémonies internationales qui s’y déroulent, ne sont-ils pas de puissants foyers pour la réflexion des jeunes sur l’histoire des pays européens, sur la construction européenne et sur les valeurs civiques et politiques censées la fonder ? À Dachau en 2019, une rencontre internationale des jeunes fut ainsi un événement marquant, et des projets du même ordre s’esquissent à Mauthausen.
La situation politique autour des anciens camps, et la capacité de nos associations à y intervenir pour rappeler les valeurs proclamées à leur libération par les déportés rescapés : telle fut la ligne de mire des présentations de Dominique Durand (relations avec les mémoriaux) et Dominique Boueilh (comités internationaux). D. Durand rappelle qu’alors que nos associations sont en place en France dès 1945, l’accès aux sites et a fortiori leur aménagement comme mémoriaux ont été longtemps incertains et parfois plus tardifs. Il assure qu’après s’être graduellement améliorées, aujourd’hui les relations avec ces institutions sont « excellentes » en Allemagne, notamment à travers les Beiräte (conseils consultatifs) auxquels nous sommes associés. Ainsi, dans le contexte actuel de montée de l’AfD (extrême droite, quasi-inexistante depuis 1945), les directeurs des Mémoriaux de Buchenwald, Sachsenhausen et Dachau ont-ils refusé la présence de ce parti aux commémorations, et recevant l’appui de nos associations ; mais il a fallu une mobilisation forte pour qu’en Autriche, le ministère de tutelle du Mémorial, tenu pendant deux ans par le FPÖ, commence à reculer sur ses intentions de fermer et défigurer certaines parties emblématiques du camp. En Autriche comme en Allemagne, il existe aussi, de façons diverses selon les lieux, une vie locale, associative ou politique qui œuvre au dialogue avec nous et à la préservation des sites. Mais, en Allemagne, le changement de situation fiscale des associations risque de pénaliser ce travail. Et l’entretien des sites annexes, moins visités, demeure un combat quand un député de Thuringe déclare que l’histoire de la déportation n’est qu’« une chiure de mouche dans l’histoire » de l’Allemagne – dont en somme il serait tentant d’éliminer les traces.
D. Boueilh montre pour sa part que, derrière l’identique raison d’être aujourd’hui des Comités internationaux, des histoires (inégalement) longues et diverses se distinguent encore. Créés au temps même des camps, les CI de Buchenwald et Mauthausen se présentent encore comme éléments de concrétisation des serments prononcés à la Libération. Mais le CI de Dachau, créé en 1945 pour assurer la sécurité de détenus jusqu’à la libération, disparut après celle-ci, pour ne se reconstituer qu’en 1955, date à laquelle est aussi créé le CI de Ravensbrück. En 1958 se crée l’Amicale internationale de Neuengamme (AIN). À Sachsenhausen, c’est l’Amicale française qui est à l’origine de la création du CI en 1964. L’énergie déployée par nos associations a souvent été déterminante pour le rayonnement de ces comités, dont l’envergure internationale est elle-même inégale (de 6 pays pour Neuengamme à plus de 20 pour Mauthausen et Buchenwald) et un grand nombre de présidents de CI furent ou sont jusqu’aujourd’hui français – le cas de Mauthausen fait exception puisque c’est très souvent un représentant d’un « petit » pays (Slovénie, Luxembourg) qui occupe cette fonction. L’implication idéologique des CI est plus ou moins forte, et leur parole est plus ou moins facilement entendue. D. Boueilh croit discerner une nouvelle dynamique : les CI se réunissent plus régulièrement.
Claude SIMON Amicale de Mauthausen
Dimanche 24 novembre
Journée d’étude : « Le corps du déporté, icône tragique du XXe siècle »
Une journée d’étude s’est tenue dans le très beau et très moderne auditorium Rambuteau, gracieusement mis à disposition par le Préfet d’Île-de-France et de Paris. Animée par Daniel Simon et Agnès Triebel, elle a été d’une richesse et d’une densité saisissantes, par le nombre, la qualité et la diversité des interventions. Au fil de celles-ci et des images projetées, la centaine de participants ont ressenti que rien – ni la distanciation permise par la qualité des discours, ni parfois la « beauté » (mot revendiqué par Walter Spitzer, qui nous a honorés de sa présence) des œuvres d’artistes – ne pouvait empêcher un indéfinissable malaise de surgir en chacun.
En introduction, Agnès Triebel a justifié avec pertinence le mot « icône » comme relation entre le corps et une connaissance de l’invisible, du jamais connu, de l’enfer.
Daniel Simon a rappelé la genèse de cette journée, depuis le projet d’une table ronde pour Blois. Le sujet de cette journée n’est pas l’état clinique des corps, mais leur représentation. En se félicitant que les savoirs propres de nos associations soient entrecroisés avec l’apport de spécialistes, dans un cadre bien circonscrit – laissant hors champ par exemple les dessins légués par des détenus polonais, italiens, espagnols, ou le cinéma. En soulignant que les camps du génocide n’ont pas ou très peu laissé d’images.
La littérature a, dans cette journée consacrée à l’image, tenu une place importante : une vingtaine de fragments de livres – d’auteurs déportés pour la plupart, mais pas exclusivement : aussi Marguerite Duras, Alain Fleischer, Samuel Beckett – ont été lus entre les interventions analytiques par Lou Simon. Le corps supplicié, désigné crument, accentuant la solennité de la réflexion engagée.
La première partie, « VISÉES DIDACTIQUES », s’est attachée aux monuments tournés vers le grand public.
Yvonne Cossu-Alba s’est interrogée sur la nature iconique des monuments du souvenir des camps au cimetière du Père Lachaise : triple fonction de recueillement, de commémoration et d’enseignement. Elle a souhaité qu’une véritable étude puisse éclairer les effets de ces représentations sur la connaissance et la conscience des visiteurs.
Dominique Durand a présenté le sculpteur allemand Fritz Cremer à travers ses monuments consacrés aux victimes du nazisme à Buchenwald, mais aussi à Vienne, Mauthausen et Ravensbrück. Le contexte politique de la RDA a fortement marqué la construction et le caractère didactique du monument de Buchenwald, inauguré en 1958, consacré à la Paix et à la lutte contre le fascisme. Fritz Cremer et Bertold Brecht ont accompagné l’architecte paysagiste qui a conçu ce mémorial, comme celui de Mauthausen.
Daniel Simon nous a guidés sur l’esplanade des monuments nationaux de Mauthausen. La spécificité de chacun porte un message idéologique de circonstance, mais cette clé d’analyse est réductrice. La somme des représentations donne une image complexe et instable. Le bas-relief en plâtre exposé le 16 mai 1945 pour la première commémoration de la libération, visible aujourd’hui au musée du mémorial, avait offert d’emblée une représentation intense et juste des concentrationnaires. La statuaire n’est pas muette : discours, récits de rescapés, analyse et images textuelles ont ponctué « comme des météores » notre journée.
Caroline Ulmann s’est attachée à l’exposition « Crimes hitlériens » ouverte le 10 juin 1945 au Grand-Palais, dont une publication récente a rappelé l’importance : cinq cent mille visiteurs à Paris et un million dans la France entière l’ont vue, jusqu’à l’automne 1945. Malgré vingt panneaux sans concession sur les différentes formes de massacres, un film, rien n’est dit spécifiquement ni sur l’extermination des Juifs, ni sur la collaboration, ni sur Pétain (dont le procès commence en juillet), ni sur les camps français. L’heure est à la reconstruction. Les images exposées, qui circuleront en France pendant plusieurs années sous l’égide de la FNDIRP, constituent un répertoire d’icônes.
Enfin, Agnès Triebel a présenté le monument commémoratif du Vel’ d’Hiv, dédié aux 13 152 hommes, femmes et enfants raflés à Paris et sa banlieue les 16 et 17 juillet 1942. Créé par Walter Spitzer au début des années 1990, ce monument exprime l’universalité de la souffrance infligée par les nazis au peuple juif, peu avant que le président Chirac ne reconnaisse en 1995, sur le lieu même, la responsabilité de la France dans ce crime.
La seconde partie, « IMAGE À VIF », a été consacrée à des œuvres réalisées par des déportés pendant ou immédiatement après l’enfermement dans des camps. La première œuvre, présentée par Agnès Triebel, fut réalisée juste après la libération de Buchenwald par un enfant juif allemand, qui prit pour témoigner le nom de Thomas Geve. Il dessine dans le camp libéré et avant d’être accueilli en Suisse. Dans un petit format, il donne en 80 dessins une représentation du système concentrationnaire d’une précision et d’une qualité pédagogique extraordinaires. Après quoi il ne dessinera plus.
Aurélie Cousin a présenté les dessins de Jeannette L’Herminier, résistante active dans la région de Lyon. Arrêtée en 1943, elle est déportée à Ravensbrück. Elle réalisa environ 150 dessins au camp, manière encore de résister : elle ne représente pas les corps amaigris (sauf dans le train du retour), ni les visages, mais essentiellement les attitudes prises par les corps, en relation directe, montre l’analyste, avec les postures de mode féminine ! Elle révèle la beauté des âmes.
Gisèle Provost a analysé quelques-unes des nombreuses médailles réalisées par Pierre Provost, son père, au camp de Buchenwald – trente-deux ont été rapportées. La médaille, art des symboles, est reproductible, transmissible, presque indestructible et témoigne comme un porte-voix, sorte de déplacement du témoin à l’objet.
Agnès Triebel a clos cette deuxième partie sur les dessins réalisés par Walter Spitzer à Auschwitz III, Gross-Rosen et Buchenwald. Alors âgé de 16 ans, il fait la promesse aux résistants du camp qui le protègent de témoigner, avec ses crayons, de ce qu’il aura vu. En avril 1945, il doit à nouveau abandonner tous ses dessins. Sauvé, il redessine aussitôt de mémoire. En 1951, ses œuvres brûlent dans l’incendie de son appartement. Pendant l’interview réalisée dans son atelier le 7 novembre, il montre une toile qui interroge particulièrement : la représentation d’un tabou, l’intérieur de la chambre à gaz. Agnès Triebel cite Kant : « L’art n’est pas la représentation d’une belle chose, mais la belle représentation d’une chose. »
La troisième partie, « GESTES D’ARTISTES », présente le travail de plusieurs artistes à distance du temps de la déportation, ayant ou non vécu l’expérience des camps. La sublimation nous entraîne dans ce qui, peut-être, est de l’ordre de l’art.
Sylvie Ledizet parcourt l’œuvre de Ceija Stojka à partir de sa représentation des corps des déportés, essentiellement des corps de femmes et d’enfants. Ceija Stojka est née en 1933 dans une famille tzigane qui va subir une persécution implacable. Son père fut assassiné à Hartheim. Elle arrive à dix ans à Auschwitz, au camp « des familles », avec le matricule Z6399, puis est transférée à Ravensbrück, et enfin à Bergen-Belsen. Après quarante ans de silence, elle commence à s’exprimer par l’écriture, puis la peinture, totalement autodidacte. Elle fait resurgir un monde intérieur. C’est une œuvre tombeau, d’une grande singularité.
Marie Janot présente l’œuvre méconnue d’Édith Kiss, Hongroise d’origine juive, totalement assimilée, elle est formée à la sculpture à Düsseldorf. Elle est déportée en octobre 1944 à Ravensbrück, puis dans un camp annexe de Sachsenhausen. On connaît surtout son album de 30 gouaches « Déportation » réalisées entre 1949 et 1954. Le corps est montré comme dysfonctionnant, à travers ses postures. Alors qu’elle refusait de parler de la déportation, Édith Kiss a aussi créé quatre frises sculptées sur la déportation (déportation, travail forcé, camp de la mort et libération) pour une synagogue, certainement une commande des autorités.
Enfin, Anne Bernou parle de trois artistes reconnus : Zoran Mušič, Miklos Bokor et Jean-Marc Cerino. Les positions de Zoran Mušič (déporté à Dachau) et Miklos Bokor (juif hongrois déporté à Auschwitz), divergent radicalement sur l’intention expressive. Le premier, après trente-cinq ans de refoulement de la conscience expressive, produit la fameuse série Nous ne sommes pas les derniers. Miklos Bokor, juif hongrois déporté à Auschwitz, transféré à Buchenwald puis Theresienstadt, installé en France en 1960 et mort en 2019, peint surtout des sortes de paysages, en vérité des décors aux figures absentes, aux confins de l’abstraction. Jean-Marc Cerino, né en 1965, artiste de la post-mémoire, travaille les limites de l’effacement, aux limites du visible, à partir d’œuvres de déportés trouvées dans des documents d’archive, telles ses peintures à l’encaustique, blanc sur blanc, réalisées à partir de dessins de déportées de Ravensbrück.
Est-il possible d’établir un bilan de cette journée ? Oui, certainement, mais un bilan provisoire, tant il est certain que sa réussite tient aussi à ce qui a été mis au travail, chez les uns et chez les autres. Quoique sur le temps long d’une journée, il fut manifeste que chacun limitait sévèrement son propos. Combien de débats auraient pu se tenir après chaque intervention ! Et combien d’autres modes de représentation, d’autres points de vue, d’autres outils (comme la photo ou le cinéma, volontairement mis de côté) auraient pu trouver leur place dans les regards croisés portés sur l’insaisissable.
Laurent MEYER Amicale de Mauthausen
Cette journée d’étude a été filmée et le montage a été réalisé par Bernard Obermosser (Amicale de Mauthausen). Si vous souhaitez visionner cette journée, merci de nous contacter afin que nous vous transmettions un code d’accès (les vidéos sont protégées). Vous pourrez alors vous rendre sur la page d’accueil du site de l’Amicale de Mauthausen, rubrique « actualité », où vous trouverez un article explicatif concernant le visionnage de la journée. Celle-ci a été découpée en plusieurs vidéos, correspondant aux divers chapitres de la conférence.