Mémorial des Martyrs de la Déportation, Paris, 2 juillet 2021
Le 2 juillet dernier, nous étions une vingtaine à nous retrouver au Mémorial des Martyrs de la Déportation, en plein cœur de Paris, pour commémorer le 77e anniversaire du départ du Train de la Mort vers Dachau. Parmi les participants, nous avons pu compter sur la présence fidèle de Jean Samuel et Yves Meyer, tous deux survivants de ce terrible convoi, mais aussi sur la venue de quelques officiels, dont madame Véronique Peaucelle-Delelis, directrice générale de l’ONACVG.
Heureux de nous réunir après de longs mois de crise sanitaire, nous avons discuté gaiement dans les jardins du Mémorial avant de nous diriger vers la crypte du Mémorial. Là, dans l’atmosphère solennelle qui caractérise le lieu, le ton s’est évidemment fait plus sérieux. En l’absence du président de notre Amicale nationale, c’est Jean-Michel Thomas, président du Comité International de Dachau (CID), qui nous a adressé quelques mots de bienvenue avant de céder la parole à Jean Samuel. L’ambiance était désormais au recueillement.
« Chers amis, Aujourd’hui, 2 juillet 2021. Il y a 77 ans, nous sommes partis ; nous, c’est-à-dire des hommes que les nazis avaient arrêtés. Ce 2 juillet 1944, il faisait chaud, très chaud, trop chaud. Conduits en gare de Compiègne, un train de marchandises nous attendait. Dans chaque wagon, un bidon d’eau et un seau hygiénique. Nous nous sommes retrouvés à 100 personnes, entassés les uns contre les autres avec 100 boules de pain et 100 saucissons. La température est devenue insupportable. Certains sont devenus fous, se sont jetés les uns contre les autres et se sont battus. Dans mon wagon, 60 morts. Le train a continué de rouler. Assis sur les cadavres, nous avons pu respirer. Le train ne s’est arrêté que le lendemain en Allemagne. Dans une gare, la Croix-Rouge allemande alertée nous a servi une soupe chaude. Les Allemands ont regroupé les cadavres dans les derniers wagons. Le train est parti. Il a roulé encore et encore et il s’est arrêté en gare de Dachau. Dachau, une gentille petite ville avec un camp de concentration… Dans ce camp, les prisonniers mourraient de la faim, du froid, du typhus et du travail forcé. Le 29 avril, les Américains sont arrivés. Aujourd’hui, j’ai 97 ans. J’ai beaucoup de chance. Je vous remercie. »
C’est ensuite Yves Meyer qui a pris la parole pour nous relater, dans des mots tout aussi poignants, son expérience personnelle du convoi n°7909. Nous vous renvoyons ici à la page 4 de notre bulletin n°755, où nous avions retranscrit le message vidéo d’Yves Meyer pour le 76e anniversaire de la libération du camp de Dachau. Pour l’ancien résistant, « les images gravées dans [sa] mémoire sont encore très fortes ». Après une tentative d’évasion infructueuse au camp de transit de Compiègne, il doit lui aussi faire face à ce terrible voyage qui le mène jusqu’au camp de Dachau, « un lieu dont seulement quelques camarades connaissaient la signification ».« Moi, j’avais lu en 1936 un récit d’un prisonnier libéré du camp, que je pensais exagéré, mais si j’avais su… »
Enfin, Joëlle Delpech-Boursier a clôturé les interventions en nous lisant quelques extraits de son livre Avoir 20 ans à Dachau, dans lequel elle raconte la déportation de son père. Autre victime « heureuse » du Train de la Mort, dans la mesure où il survécut, le général André Delpech restera hanté par des images d’épouvante, comme celles qui vinrent une première fois le tourmenter lorsque, presque mourant au cours du voyage, il perdit connaissance pour finalement se réveiller au milieu de corps mous et sans vie.
Après quelques minutes de silence et de recueillement, au cours desquelles une gerbe de fleurs fut déposée, Jean-Michel Thomas a repris la parole, cette fois en sa qualité de président du Comité International de Dachau. L’évocation du général Delpech et la présence de Jean Samuel étaient en effet propices à une deuxième cérémonie : l’annonce de la remise du prix André Delpech à Jean Samuel, en reconnaissance du travail qu’il a effectué en tant que secrétaire du CID pendant de très longues années. Pour rappel, le prix André Delpech honore les mérites de ceux qui se sont particulièrement consacrés aux objectifs du CID, soit directement pour la mémoire de la déportation dans ce camp, soit plus largement en luttant contre le fascisme, le racisme et l’antisémitisme et contre toute autre discrimination pour des motifs politiques et religieux.
Notre rassemblement s’est donc clôturé ainsi, sur ces mots de Jean : « Vous venez de me remettre le prix André Delpech. Alors merci, un grand merci. André Delpech était le président du Comité International de Dachau, il était le président de l’Amicale de Dachau, et il était mon ami. Son poste important l’obligeait souvent à se déplacer et il avait besoin d’un secrétaire qui l’accompagnait. Je crois qu’il m’aimait bien, et nos voyages en Allemagne et en Europe ont été facilités par notre complicité. Son nom, son grade dans l’armée, son activité dans la Résistance resteront le symbole du Déporté Résistant. Ce prix, je le reçois avec beaucoup de plaisir et d’émotion. »
Association française Buchenwald, Dora et kommandos – Amicale du camp de concentration de Dachau – Amicale de Mauthausen, déportés, familles et amis – Amicale de Neuengamme et de ses kommandos – Amicale de Ravensbrück – Amicale d’Oranienburg-Sachsenhausen et ses kommandos.
09 h 00 : Rendez-vous au cimetière du Père-Lachaise, devant l’entrée rue des Rondeaux (métro Gambetta).
09 h 15 : Début de la cérémonie publique au Père-Lachaise. Depuis l’entrée du cimetière, nous nous dirigerons vers les différents monuments des camps afin de les fleurir et de nous y recueillir. À l’issue de notre parcours commémoratif, nous nous rendrons ensemble à la Mairie du 20e arrondissement.
10 h 15 : Cérémonie au Monument aux Morts de la Mairie du 20e arrondissement (6, avenue Gambetta).
10 h 30 : Début du colloque organisé par nos Amicales sur le thème : « L’avenir de nos associations ». Ce colloque aura lieu dans la salle des fêtes de la Mairie du 20e . La parole sera également laissée au public, afin que vous puissiez nous faire part de vos idées et questions sur l’avenir de nos Amicales.
12 h 30 : Fin du colloque et début de la pause déjeuner. Les mesures sanitaires en application au sein de la Mairie ne nous permettent pas d’y organiser un buffet comme de coutume. Le déjeuner sera donc libre. Les membres de l’Amicale de Dachau prévoient néanmoins de manger ensemble dans une brasserie ; merci donc de nous informer si vous souhaitez vous joindre à nous afin que nous puissions réserver en conséquence. Le repas sera à régler sur place.
14 h 30 : Réunions, conseils d’administration ou assemblées générales des différentes amicales. Pour sa part, l’Amicale de Dachau tiendra une simple réunion centrée sur ses activités et projets. Notre Assemblée Générale aura lieu la semaine suivante par visioconférence.
Règles sanitaires en vigueur pour cet événement : Seul le colloque donné à la Mairie est soumis au passe sanitaire ainsi qu’au port du masque.
Projet commun à la Fondation de la Résistance et à l’Union des Associations de mémoire des camps nazis
Titre du débat (table ronde) :
Le « travail » dans les camps de concentration nazis (KL) – Réalités et enjeux de terminologie
intervenant 1 : Johann CHAPOUTOT, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Sorbonne
intervenant 2 : Laurent THIERY, docteur en histoire, directeur scientifique du programme de recherche sur les 9 000 déportés de France à Dora pour La Coupole, Le Livre des 9000 déportés de France à Mittelbau-Dora, le Cherche Midi, 2020
intervenant 3 : Adeline LEE, docteure en histoire, auteur de Les Français de Mauthausen, par-delà la foule de leur nom, Tallandier, avril 2021
intervenant 4 : Jens-Christian WAGNER, historien allemand, directeur de la Fondation des mémoriaux de Buchenwald et Dora
intervenant 5 : Christine GLAUNING, directrice du Centre de documentation pour le travail forcé (Berlin)
intervenant 6 : Hélène STEAS, enseignante détachée à la Fondation de la Résistance, auteur de notices pour le Livre des 9000 déportés de France à Mittelbau-Dora
Modérateurs :
Thomas FONTAINE, docteur en histoire, directeur du Musée de la Résistance nationale
Daniel SIMON, président de l’Amicale de Mauthausen
Résumé :
La fonction que le pouvoir nazi assigna au vocabulaire – « plus les mots que le discours », note V. Klemperer – requiert l’attention d’historiens-philologues. Du travail forcé à l’extermination par le travail, une large palette de pratiques hiérarchisées fut couverte et brouillée par les leurres du vocabulaire. À ce jeu pernicieux, l’identité évolutive des KL – euphémisme piégé lui aussi – est menacée de dilution. Camps-usines ou camps d’extermination par le travail, deux ouvrages récents, sur les KL de Mittelbau-Dora et de Mauthausen font avancer la réflexion sur ces questions.
…Voilà ce qui m’anime depuis deux ans. Fille de Didier Boueilh, déporté à Dachau, je me suis engagée à diffuser l’exposition réalisée par l’Amicale du camp de concentration de Dachau. Ma première démarche s’est faite dans mon village gersois, où sont venus des amis, des membres de notre grande famille, mais aussi des passionnés d’histoire de guerre.
En 2020, pour la Journée de la Déportation, la ville d’Auch mettait à ma disposition un beau site pour proposer ce travail de mémoire aux citoyens et, la semaine suivante, j’avais des visites programmées avec des profs d’histoire pour les jeunes des collèges et lycées. Puis, au mois de mai, je devais exposer à la médiathèque de Riscle. Malheureusement, madame Covid est venue gripper ce programme, que j’ai dû annuler.
Frustrée et déçue de laisser mon matériel dans les placards, j’ai rebondi en installant l’expo dans notre chai, où vieillit l’armagnac et où se reposent les vins mis en fût. De ce lieu singulier pour évoquer le souvenir de mon père qui était vigneron, une visiteuse, petite fille de Juifs, a fait le commentaire suivant : « Incroyable rencontre entre l’eau de vie et la vie, les vies si difficiles, cruelles, et belles… merci pour le bâton de relais… aux jeunes la suite… »
J’ai donc accroché les 25 panneaux de l’expo, et un de plus sur mon père, détaillant son chemin de Saint-Mont à Dachau, puis son retour au pays. Un jour, ma mère, très humble, m’a interpellée sur la nécessité d’évoquer les autres déportés et prisonniers. J’ai donc fait une place aux différents membres de ma famille et de celle de mon mari. Un travail colossal s’est présenté devant moi. J’ai sollicité cousins, voisins, amis âgés, albums de famille, courriers anciens… pour tenter de conter le parcours de chacun, prisonniers, déportés, militaires, résistants, mais aussi Juifs recueillis par la famille de mon mari, sans oublier l’implication des femmes. J’ai ajouté ma documentation, des livres sur la déportation ; j’ai aussi fait un coin pour les jeunes, présentant des travaux du Concours national de la Résistance et de la Déportation… Un jeune visiteur est même venu me porter son devoir, tout fier d’abonder ce travail.
Sûrement un peu en décalage avec la vie dans le camp, j’ai fait une évocation de la vie pendant la guerre, avec photos des travaux sur la ferme, quelques objets du quotidien et toilettes de ce temps-là. Cela me paraissait opportun pour accrocher l’attention de ceux qui ne peuvent pas tout regarder des horreurs de la déportation, et ce lieu permet de faire remonter des souvenirs de famille, qui amènent à aller plus loin dans la prise de conscience de l’intérêt à connaître les histoires de nos aînés, dont nous sommes les passeurs.
Dany Périssé, Alain Bernado (fils de Georges Bernado) et Thérèse Boueilh
Au fur et à mesure des visites, j’ai reçu avec beaucoup d’émotion et de reconnaissance des récits de prisonniers, des carnets militaires, des courriers… et la veste et le calot de déporté de Georges Bernado, grand ami de papa, ainsi que des objets personnels. Ces deux mois furent très riches de rencontres certes chronophages, mais si remplies d’intérêt, d’humanité, de respect, de curiosité et, pour certains, occasion de récits familiaux. J’ai eu la joie d’accueillir des descendants de trois déportés qui n’avaient pas de lien avec la grande famille de l’Amicale. Avec le recul, je crois avoir touché le cœur de ces visiteurs, de mes amis, de ma famille, pour qu’ensemble nous portions cette transmission « laissée sous les fagots », en jargon paysan.
Face à la conjoncture sanitaire, je reconduis ce projet, que j’animerai dans notre domaine du 4 mai au 30 août 2021. Je vous invite donc à venir découvrir le Gers et faire une halte à Sarragachies.
Avec modestie, mais avec tout l’amour pour mon père et ses frères et sœurs de la guerre, je conclurai par ces mots de Thibaut, petit-fils d’une déportée : « Bravo pour ce travail de mémoire, ne jamais oublier ! Quand les hommes perdent leur humanité, d’autres se lèvent. Merci Dany pour ce travail remarquable. »
Le 18 mai 2021 s’est tenue à Chevigny-Saint-Sauveur une exposition sur le camp de concentration de Dachau conjointement à une exposition dédiée à Anne Frank et commentée par madame Christine Loreau, correspondante en France et en Europe de la Maison Anne Frank, où nous avons été accueillis par le maire de Chevigny-Saint-Sauveur, monsieur Guillaume Ruet, et par madame Catherine Victor, instigatrice de cet événement.
L’exposition de l’Amicale a ainsi pu être visitée en présence de personnalités telles que le lieutenant-colonel Royal, délégué militaire départemental adjoint, monsieur Bruno Dupuis, directeur départemental de l’ONAC, le capitaine Payet, commandant la 8e compagnie de l’école de gendarmerie de Dijon, le docteur Cemachovic, président de l’Association Cultuelle Israélite, madame Loreau, monsieur Lombard, président de la Ligue de l’enseignement de la Côte-d’Or, madame Schmit, représentant la directrice académique des services de l’Éducation nationale, madame Elloy, secrétaire générale du Comité de parrainage du Concours national de la Résistance et de la Déportation, et madame Ginier, déléguée régionale Bourgogne-Franche-Comté de l’Amicale du camp de concentration de Dachau.
L’après-midi était consacré aux témoignages de trois déportés :
• Marcel Suillerot, rescapé de Sachsenhausen ; • Henri Mosson, condamné à mort à 19 ans et rescapé du Struthof ; • Pierre Jobard, d’abord rescapé d’Auschwitz, puis transféré à Buchenwald et enfin à Flossenbürg.
Le COVID ne nous a pas permis de recevoir plus de 30 personnes dans la salle, mais de nombreuses questions ont été posées aux déportés.
Cette année encore, en raison de la pandémie de Covid-19, les commémorations de la libération n’ont pu se tenir en présentiel au camp de Dachau. Pour l’occasion, le Mémorial du camp de Dachau, la Fondation des Mémoriaux bavarois et le Comité International de Dachau nous avaient néanmoins concocté un remarquable programme en ligne, comme ils l’avaient déjà fait l’année précédente pour le 75e anniversaire de la libération du camp. Différents « événements numériques » ont ainsi eu lieu du 29 avril au 2 mai 2021. Leur contenu reste d’ailleurs disponible à cette adresse : https://www.kz-gedenkstaette-dachau.de/liberation.
Les commémorations ont débuté le 29 avril par un moment de recueillement sur place, avec dépôt de gerbes au pied du Monument international de Dachau. Bien que cette cérémonie se soit faite en petit comité et sans public, les Amicales des différents pays étaient représentées.
Gerbe bleu-blanc-rouge de l’Amicale française de Dachau
Dans l’après-midi de cette même journée débutait le « programme numérique » proprement dit. Pendant trois jours se sont succédé de très nombreuses vidéos, retraçant d’une part l’événement historique de la libération, et abordant d’autre part la délicate question de l’avenir du travail de mémoire. Au fil des heures, nous avons ainsi découvert différents documentaires, portraits de déportés et messages et récits personnels de survivants et libérateurs. La parole a aussi été laissée aux directeurs de mémoriaux, à des collégiens, jeunes adultes et descendants de déportés.
La journée du samedi 1er mai a été l’occasion pour le CID de remettre le prix d’études Stanislav-Zámečník – cette année attribué à Johannes Meerwald pour son mémoire de Master « Les déportés espagnols dans le système concentrationnaire de Dachau (1940-1945). Déportation, emprisonnement en camp de concentration, conséquences » – ainsi que le prix général André Delpech – quant à lui décerné à Dee Eberhart, vétéran de la 42e division d’infanterie « Rainbow » de l’armée américaine, et libérateur du camp de Dachau.
Enfin, le dimanche 2 mai n’a pas dérogé à la tradition : ce jour-là affichait au programme les retransmissions des offices religieux, suivis un peu plus tard dans la matinée de la cérémonie principale, rendant hommage aux victimes du camp de Dachau et commémorant le 76e anniversaire de la libération au travers des discours de Gabriele Hammermann (directrice du Mémorial de Dachau), Monika Grütters (ministre d’État auprès de la Chancelière et déléguée du gouvernement fédéral à la culture et aux médias), Michael Piazolo (ministre bavarois de l’éducation et de la culture), Jean-Michel Thomas (président du Comité International de Dachau), Karl Freller (directeur de la Fondation des Mémoriaux bavarois et 1er vice-président du parlement bavarois), Hilbert Margol (libérateur), Elly Gotz (déporté), Abba Naor (déporté) et Leslie Rosenthal (déporté). La journée s’est terminée en début d’après-midi par une cérémonie à l’ancien champ de tir SS d’Hebertshausen, où furent assassinés plus de 4 000 prisonniers de guerre soviétiques.
À défaut de pouvoir vous retranscrire l’intégralité des vidéos mises en ligne, le programme étant très riche, nous vous présentons ci-après quelques morceaux choisis. Dans notre bulletin n°751 paru en 2020, nous vous proposions les textes de Guy-Pierre Gautier et Pierre Rolinet, tous deux survivants de Dachau. Cette année, nous rendons hommage à un troisième déporté français, Yves Meyer, en publiant ici son message. Par ailleurs, nous avons souhaité illustrer le point de vue des libérateurs et avons sélectionné l’intervention de Dee Eberhart, qui était à l’honneur cette année. Comme le veut la tradition, vous pourrez aussi lire ci-après l’allocution prononcée lors de la cérémonie principale par Jean-Michel Thomas, Président du Comité International de Dachau, membre de notre Amicale et enfant de déporté. Enfin, vous trouverez dans la rubrique « Histoire » de notre bulletin n°755 un aperçu du documentaire « L’heure H de la libération », diffusé le 29 avril sur le site Web du Mémorial de Dachau.
Alicia GENIN
Message d’Yves Meyer, survivant de Dachau
Bonjour à tous, je m’appelle Yves Meyer. Je communique mes souvenirs depuis mon appartement, dont la vue sur le Mont-Valérien me rappelle chaque jour les 1000 fusillés de la Résistance française. Matricule 76569 à Dachau, arrêté par la Gestapo en Normandie trois jours avant le débarquement allié à la suite de l’infiltration d’un agent double d’une autre organisation, j’étais le responsable des maquis de la Région A pour les MUR (Mouvements unis de la Résistance).
Du 2 au 5 juillet 1944, j’étais dans le « Train de la Mort » qui partait de Compiègne-Royallieu pour une destination inconnue. 77 ans après ce voyage éprouvant – faut-il dire « déjà » ou « il y a si longtemps » ? –, les images gravées dans ma mémoire sont encore très fortes. Notre projet d’évasion, organisé par Claude Lamirault pendant notre internement au camp de transit de Compiègne, a malheureusement échoué. La bousculade à l’embarquement pour que le groupe d’évasion se retrouve dans le même wagonnous a laissé quelques souvenirs. Tout comme la tension nerveuse extrême dans ce lieu étouffant, par une journée de forte canicule, et l’impossibilité de s’asseoir à 100 par wagon. Finalement, la discipline a joué – 50 assis, 50 debout – mais le manque d’air et d’eau était cruel. À la gare de Révigny, découverte stupéfiante de tous ces cadavres. Seuls quelques wagons seront épargnés. Dans l’un des wagons, un seul survivant sur les 100.
Le passage par Ulm en Allemagne et la vue des dégâts provoqués par les bombardements alliés, sans que cela n’ait paralysé aucunement le trafic ferroviaire allemand. Ensuite l’arrivée en gare de Dachau, lieu dont seulement quelques camarades connaissaient la signification. Moi, j’avais lu en 1936 un récit d’un prisonnier libéré du camp, que je pensais exagéré, mais si j’avais su… La marche de la gare au camp de Dachau avec les jeunes Allemands qui nous insultaient et nous lançaient des pierres, les chiens des gardiens qui nous mordaient…
Ensuite l’entrée dans ce camp et la vision dramatique de ces enfants de dix à quatorze ans, en costume de bagnard, le crâne rasé, au garde-à-vous, le berret abaissé sur la couture du pantalon, saluant les SS. De quoi pouvaient-ils être coupables ? Sur la place d’Appel, appel de tous les noms du convoi, dont les 900 morts, qui évidemment ne pouvaient répondre et qui ne furent pas immatriculés. Ensuite le déshabillage, toujours sur la place, l’entrée aux douches, l’ablation du système pileux, la visite médicale tout nu, au pas de course, les mains tendues devant un attroupement de médecins SS. Cette odeur de chair brûlée des crématoires qui ne nous a pas quittés pendant des jours. La quarantaine à la baraque 21 et le nivellement par le bas de toutes les classes sociales : curés, préfets, résistants, otages. Notre grande naïveté, voulant protester auprès du commandant du camp parce qu’un officier français avait été giflé par un kapo. Et ensuite la grande joie provoquée par l’attentat contre Hitler le 20 juillet 1944, et notre espoir de retour dans les jours qui suivaient.
Départ ensuite le 27 juillet pour les camps du Neckar, où nous connûmes l’horreur.
Sur la grande place de Dachau figure actuellement en toutes langues le slogan : « Plus jamais ça ». Nous y avons cru un long moment. Mais comme nos pères qui eux croyaient à « La Der des Ders », nous sommes aujourd’hui très inquiets. Nous voyons le monde devenir fou. Heureusement, notre optimisme naturel reprend le dessus.
Pour conclure : lisez des journaux de tendances différentes pour vous faire votre propre opinion, communiquez entre vous, discutez des problèmes qui peuvent séparer. Il y a toujours un compromis possible. Les rencontres internationales sont très importantes et permettent la confrontation et l’acceptation des cultures différentes.
Bonsoir à tous.
Message de Dee Eberhart, libérateur de Dachau
Bonjour, Dr Hammermann. Merci de m’avoir invité à participer aux célébrations virtuelles du 76e anniversaire de la libération du camp de concentration de Dachau. Vous avez suggéré que je me remémore les jours de la libération. Cela devra se faire de mémoire, car je n’ai pas de notes, pas de journal intime ou quoi que ce soit de la sorte.
Si je me souviens bien, car cela remonte à très longtemps, voilà ce qu’il s’est passé entre le 29 avril et le 2 mai 1945. Le matin du 29 avril, mon peloton (3e peloton de la Compagnie I, 242e régiment d’infanterie, 42e division « Rainbow ») se trouvait quelque part près d’Augsbourg, à côté ou près de l’autoroute. Notre régiment était l’un des deux régiments d’attaque ce jour-là. Les 222e et 242e régiments avaient été motorisés par le commandant de division. Nous – c’est-à-dire mon peloton et moi-même – étions prêts à monter à bord d’un de ces gros camions de l’armée. Mais il n’y en avait plus, plus aucun de notre régiment n’était disponible. Nous avons alors reçu des ordres verbaux de l’un de nos sergents de peloton, qui nous a annoncé qu’à partir de ce matin du 29 avril, nous serions désormais rattachés au 1er bataillon du 222e régiment d’infanterie (l’autre régiment d’assaut ce jour-là).
Nous avons roulé sur l’autoroute, avec pas mal d’embouteillages dans un sens, car des camions et des chars de la 7e armée se dirigeaient vers Munich. À un moment donné, nous avons été détournés de l’autoroute vers des routes secondaires. Et j’ai découvert plus tard que notre destination n’était plus Munich, mais le camp de concentration, qui avait probablement été signalé par l’agence de renseignement. Je ne sais plus qui l’a signalé. Nous nous sommes donc dirigés vers le camp de concentration. À un moment où nous nous approchions, j’ai clairement pu voir la cheminée et j’ai pensé que c’était une ville industrielle. Nous sommes descendus du camion et avons formé une longue, très longue ligne de bataille qui a commencé à se diriger vers la zone de détention du camp de concentration de Dachau.
Nous nous sommes approchés suffisamment des fils barbelés pour que je puisse voir ce qui me semblait être un chaos total à l’intérieur de la clôture. J’ai découvert plus tard que les victimes des atrocités nazies étaient en train de battre et de tuer les kapos qui étaient là, car (c’est ce que les anciens détenus m’ont dit des années plus tard) les kapos étaient encore plus sadiques que les SS. Après cette introduction à la tourmente de la journée, nous avons été témoins des effets de la malnutrition, du typhus endémique, de la famine et de la maltraitance générale des prisonniers par les SS et les kapos.
Au passage, je dois mentionner qu’un certain nombre de victimes se trouvaient à l’extérieur de la clôture. Je ne sais pas pourquoi, ils étaient peut-être dans des détachements de travail. Et certains d’entre eux se sont précipités vers nous, nous ont étreints, et nous avons dû les rassurer, leur confirmer qu’ils avaient bien été libérés. Et nous étions très heureux de leur communiquer cette nouvelle.
Cette nuit-là, certaines maisons de la ville de Dachau ont été réquisitionnées, probablement par notre bataillon, le 1er bataillon du 222e régiment, et mises à notre disposition. Les civils des maisons ont nié toute connaissance, toute conscience des atrocités que les SS du camp ou les responsables avaient commises sur les victimes, et ce jusqu’à récemment, jusqu’à ce jour, le 29.
Le lendemain matin, notre peloton a rejoint la Compagnie I ; nous n’étions plus rattachés au 1er bataillon du 222e régiment. Notre attaque s’est ensuite poursuivie contre Munich, où nous avons libéré des maisons et des bâtiments. Et mon coéquipier et moi-même avons affirmé que nous avions libéré les jardins botaniques à la périphérie de Munich. Lorsque j’ai demandé au gardien s’il y avait des soldats allemands aux étages supérieurs des bâtiments, il a nié. Mais peu de temps après avoir quitté l’entrée principale, Willy (mon coéquipier) et moi sommes partis, je me suis retourné et il y avait, je pense, des dizaines de soldats allemands agitant des drapeaux blancs. Et il me semble qu’il y avait également un officier général.
Nous avons continué l’attaque de Munich. Parfois je marchais, parfois je me déplaçais en camion, et parfois je me retrouvais sur le toit des chars. J’ai été témoin d’un meurtre par vengeance, commis par un ancien prisonnier en uniforme bleu et gris (les prisonniers portaient des uniformes à rayures longitudinales) … Il a couru vers un soldat allemand – de la Wehrmacht ou de la SS, je ne me souviens plus –, l’a mis à terre et l’a tué… Il l’a tué à coups de pied avant que le char sur lequel je me trouvais n’arrive, mais personne n’a fait le moindre geste pour intervenir. En fin d’après-midi, le temps était très couvert et il a commencé à neiger pendant la nuit. Le lendemain matin, une importante couche de neige recouvrait le sol. Nous avons trouvé un logement quelque part dans la banlieue de Munich. Un de mes copains a ramassé un appareil photo qu’il avait vu traîner là. Il y avait un film dedans et il a pris des photos de plusieurs d’entre nous, probablement de cinq ou six d’entre nous (les membres du 3e peloton), etil l’a fait développer plus tard.
Dee Eberhart, 1er mai 1945
Cela concerne les 29 et 30 avril jusqu’au 1er mai, autant que je m’en souvienne. Nous nous dirigions vers l’est, depuis la limite orientale de Munich, en direction de la traversée de l’Inn. Un des officiers s’est approché de l’endroit où je me tenais et s’est adressé aux membres de notre 3e peloton. Il a dit : « Nous avons besoin de militaires, de soldats, qui retournent pour pouvoir témoigner des atrocités perpétrées sur les victimes des nazis. » Si ma mémoire est bonne, aucun membre du 3e peloton ne s’est porté volontaire étant donné que nous nous y trouvions la veille. Voilà qui termine à peu près la période du 29 avril au 1er mai ; nous avons poursuivi notre voyage et traversé l’Inn plus tard ce jour-là.
Merci encore pour l’invitation. Je suis très déçu que cela n’ait pas pu se faire en personne et que je n’aie pas pu vous revoir, mes chers amis de la région de Munich et de Dachau. Alors merci encore, Dr. Hammermann, et nous espérons tous que votre rencontre virtuelle à l’occasion du 76e anniversaire de la libération sera un succès.
Allocution du Président du Comité International de Dachau – 2 mai 2021
Cette année encore, nous avons accompagné à distance les autorités qui, pour le 76e anniversaire de la libération du camp de concentration de Dachau, se sont inclinées avec ces nombreuses gerbes à la mémoire de toutes les victimes.
Notre monument invoque l’exemple de ceux qui furent exterminés dans la lutte contre le nazisme et appelle à l’union des survivants pour la défense de la paix, de laliberté et du respect de la personne humaine. Se recueillir en pensant aux objectifs ambitieux de cette exhortation est un exercice utile.
En premier lieu pour saluer les progrès accomplis depuis 1945, sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies. À Dachau, la maison-mère du système concentrationnaire, les détenus n’étaient pas reconnus comme des personnes humaines, ce n’étaient que des Stücks. La reconnaissance de la dignité de la personne a progressé dans le monde. Il reste pourtant encore de graves inégalités dans les droits des personnes, notamment entre l’homme et la femme.
Nous devons aussi rester en éveil face aux nouvelles menaces.
Et d’abord devant le virus du nazisme qui, comme celui de la COVID, n’a pas disparu et tue toujours. Les fantasmes de forums extrémistes voient dans cette pandémie le miroir d’un monde occidental et libéral sur les décombres duquel doit s’ériger un nouvel ordre « sain » et « racialement » purifié. Certains comptent sur l’effondrement des états démocratiques en Europe, et envisagent de l’accélérer par des attentats ciblés. C’est également le but de l’islamisme radical.
À côté de la résurgence de l’antisémitisme que nous déplorons depuis longtemps, le discours de la race n’a pas disparu non plus. Il réapparaît aujourd’hui avec la « racialisation », dans l’étude des rapports sociaux de domination, avec ce qu’ils comporteraient comme caractère raciste. La « race » devient alors une construction sociale. Des ateliers de réflexion non mixtes sont ainsi organisés. Cette légitimation des catégories, c’est-à-dire des races, est un phénomène nouveau et choquant. Le danger de dérive, alimentant le racisme, est toujours présent.
Enfin, un autre phénomène venu d’outre-Atlantique se répand dans les universités du monde entier : celui du woke et de la cancel culture.
Le but est louable, les intentions sont bonnes : il faut débusquer les injustices sociales. Mais les idées sont mauvaises quand elles conduisent à une dérive idéologique dangereuse. Il convient donc de dénoncer cet ostracisme qui, au nom du bien, mène à la désintégration sociale. Cette doctrine interdit en effet la tolérance des désaccords et refuse l’idée fondamentale du libéralisme, à savoir l’autorisation de cohabitation de deux valeurs opposées.
Cette culture de la contestation sectaire a déjà des conséquences dramatiques au pays de la libre parole. Avec les réseaux sociaux, elle a quitté le champ strictement universitaire avec un risque de restriction de la liberté d’expression devant ce qui devient une dictature de l’opinion.
Trois menaces, trois alertes.
En union avec les survivants du camp de Dachau qui nous accompagnent ainsi qu’avec les libérateurs américains, dont Dee Eberhart que nous avons honoré hier, restons vigilants.
L’année dernière, au plus fort de l’épidémie du COVID, nous étions contraints de renoncer à l’une de nos traditions annuelles les plus solidement ancrées : la cérémonie du Ravivage de la Flamme sous l’Arc de Triomphe le 29 avril, célébrant l’anniversaire de la libération du camp de concentration de Dachau. Cette année, alors que la vie commençait tout doucement à reprendre son cours, le Comité de la Flamme nous autorisait à nous rassembler… moyennant certaines contraintes. Le nombre de personnes étant rigoureusement limité pour chacune des associations membres du Comité, était uniquement présent un petit groupe de l’Amicale composé de Pierre Schillio (notre Secrétaire Général) et de son fils Pascal, de Joëlle Delpech-Boursier (notre Secrétaire Générale adjointe), de Marie-Clarté Cart (qui s’occupe de la constitution de notre fonds d’archives depuis des années) et de Jacqueline Boueilh (sœur du Président de notre Amicale). Autre fait notable, également dû à la régulation de la foule sous l’Arc de Triomphe : notre participation est intervenue exceptionnellement le 30 avril, et non le 29 comme de coutume.
Loi du 14 avril 1954 – création de la Journée nationale du Souvenir des Victimes et Héros de la Déportation
La Journée 2021 dans les Vosges sous COVID
L’indispensable préservation de la mémoire de la déportation se fit sentir dès la fin de la Seconde Guerre mondiale avec son long cortège de morts dans les camps nazis, auxquels s’ajoutaient ceux qui avaient survécu mais qui étaient marqués à jamais par les souffrances subies.
En 1950, les anciens déportés et les familles de ceux qui n’étaient pas revenus exprimèrent le souhait de voir inscrire au calendrier des commémorations une célébration nationale destinée à conserver la mémoire de la déportation. Le 14 avril 1954, le parlement reconnaissait ce besoin et votait, à l’unanimité, une loi consacrant le dernier dimanche d’avril comme « Journée nationale du Souvenir des Victimes et Héros de la Déportation », au cours de laquelle la nation honorerait la mémoire de tous les déportés sans distinction, et rendrait hommage à leur sacrifice (1).
Le dernier dimanche d’avril fut retenu non seulement en raison de sa proximité avec la date anniversaire de la libération de la plupart des camps, mais aussi parce qu’il ne se confondait avec aucune autre célébration nationale ou religieuse existante (2).
Chaque année, les Vosgiens se souviennent de leurs 3 958 déportés de la Seconde Guerre, dont 2 484 ne sont jamais rentrés des camps.
Dans les Vosges, la commémoration de cette fin avril est tout d’abord départementale, principalement sur le site de « La Vierge » à Épinal, lieu d’exécution de nombreux patriotes et proche de la caserne où les prisonniers des nazis étaient regroupés en vue de leur transfert vers les camps (3).
Le Mémorial de la Déportation sur le site de La Vierge à Épinal
Ce 25 avril 2021, la cérémonie fut certes réduite en raison des contraintes sanitaires de la COVID, mais elle fut néanmoins poignante avec l’intervention voulue par la mairie d’Épinal de deux jeunes filles : l’une a lu un texte personnel sur la jeunesse et la mémoire de la Résistance et de la Déportation, l’autre le message des associations de déportés.
Manon Deliot lit un texte personnel sur la jeunesse et la mémoire de la Résistance et de la Déportation.
Ludivine Leduc lit le message des associations de déportés.
Hélas, sur le site du Maquis de Grandrupt-de-Bains, ce fut la première fois depuis 76 ans qu’aucune cérémonie n’a eu lieu, et c’est avec amertume que l’Amicale Lorraine du Camp de Concentration de Dachau restructurée l’a constaté.
Aussi, avec l’assouplissement annoncé des règles sanitaires, l’Amicale a décidé d’ajouter un second thème à la commémoration de l’Appel du 18 juin du général de Gaulle, en évoquant la déportation. Ainsi, la cérémonie du vendredi 18 juin 2021 à 17 heures comprendra :
la mémoire de l’Appel du 18 juin 1940, véritable acte de naissance de la Résistance ;
l’hommage aux 223 déportés du Maquis de Grandrupt-de-Bains, avec allumage de 120 lucioles rappelant les 120 morts du Maquis.
Notre génération ne doit pas oublier ceux qui se sont battus et ont souffert pour notre liberté. Les déportés de cet enfer de Dachau doivent être toujours dans les esprits. Certes la COVID a limité voire interdit de nombreuses actions de mémoire. Il convient dorénavant de profiter d’un assouplissement sanitaire dans les contraintes de regroupement pour que le devoir de mémoire retrouve la place qui lui revient, non sans oublier que les mesures barrière demeurent d’actualité…
André BOBAN – Président de l’Amicale Lorraine de Dachau
(1) Loi n° 54-415 du 14 avril 1954 consacrant le dernier dimanche d’avril au souvenir des victimes de la déportation et des morts dans les camps de concentration du Troisième Reich au cours de la guerre 1939-1945.
(2) Premier camp de concentration mis en place par le régime nazi en 1933, le camp de concentration de Dachau a été libéré par les troupes américaines le 29 avril 1945.
(3) Cette caserne « quartier Varaigne » est aujourd’hui le lieu de stationnement du glorieux et remarquable 1er Régiment de Tirailleur. Les infrastructures qui « regroupaient » les prisonniers avant leur départ vers les camps ont été détruites et quelques vestiges ont permis de dresser, à l’intérieur de la caserne, un monument qui rappelle cette page de l’Histoire de la déportation dans les Vosges.
MAINE-ET-LOIRE
Le dimanche 25 avril, le président de la délégation de la région des Pays de la Loire, Serge Quentin, également vice-président de l’Amicale de Dachau, s’est rendu à Cholet, ville adhérente de notre association, afin d’y assister aux cérémonies de la Journée de la déportation.
À la demande de Gilles Bourdouleix, maire de Cholet, Serge Quentin a lu le message des associations de déportés, puis a été invité à déposer la gerbe en compagnie du premier magistrat de la ville et du sous-préfet de l’arrondissement, monsieur Mohamed Saadallah.
CHARENTE
Ce 25 avril 2021 a eu lieu au monument aux morts de Cognac la cérémonie du 76e anniversaire de la libération des camps de concentration. Ce fut un moment de recueillement comme toujours émouvant et intense, en souvenir des Victimes et Héros de la Déportation, qu’il est très important de continuer à honorer.
« À tous les Déportés, victimes des génocides et de la répression, nous rendons, aujourd’hui, un hommage solennel et nous saluons respectueusement leur Mémoire. » (Message des Déportés)
Dans le cadre des prochains Rendez-vous de l’Histoire, l’Union des Associations de mémoire des camps nazis (Buchenwald-Dora, Dachau, Mauthausen, Neuengamme, Ravensbrück, Sachsenhausen) proposera une table ronde : « Au cœur du pouvoir nazi : gouverner par les camps, gouverner les camps ». Celle-ci aura lieu le vendredi 9 octobre, de 18 h 15 à 19 h 45 (site Chocolaterie de l’IUT).
Intervenants pressentis :
Johann Chapoutot, professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Paris-Sorbonne. Dernier titre paru : Libre d’obéir. Le management, du nazisme à aujourd’hui. Gallimard, 2020.
Michel Fabréguet, professeur des universités, IEP de Strasbourg, auteur de Mauthausen, camp de concentration national-socialiste en Autriche rattachée. Honoré Champion, 1999.
Audrey Kichelewski, maîtresse de conférences à l’Université de Strasbourg. Dernières publications : Les Polonais et la Shoah. Une nouvelle école historique. CNRS Éditions, 2019 ; Les survivants. Les Juifs de Pologne après la Shoah. Belin, 2018.
Olivier Lalieu, historien au Mémorial de la Shoah, auteur de La zone grise ? La Résistance française à Buchenwald. Tallandier, 2005.
Modérateurs :
Dominique Durand, président du Comité international Buchenwald-Dora. Daniel Simon, président de l’Amicale de Mauthausen.
Déclaration d’intention :
Les études récentes accréditent-elles les idées reçues sur la théorie et les moyens requis par les nazis pour gouverner le peuple allemand et les peuples conquis ? Quatre historiens spécialistes débattent des pratiques coercitives de l’ordre hitlérien : la violence répressive révèle-t-elle autant qu’on se le représente un ordre politique totalitaire centralisé ? La délégation d’autorité implique-t-elle dilution de la responsabilité, sinon de l’identité du pouvoir ? Peut-on voir dans la SS une « agence » managériale qui, comme tout maître d’esclaves, optimise productivité et ressources humaines ?
Mémorial des Martyrs de la Déportation, Paris, 2 juillet 2020
Yves Meyer et Jean Samuel assistent au dépôt de la gerbe.
Chaque année, les membres de l’Amicale de Dachau se rendent au Mémorial des Martyrs de la Déportation, Square de l’Île-de-France à Paris, afin d’y déposer une gerbe de fleurs et d’y commémorer l’anniversaire du départ du Train de la Mort pour Dachau. La commémoration de ce 2 juillet 2020 aurait dû rassembler bon nombre d’entre nous, d’autant plus que nous avions prévu de la faire suivre de notre Assemblée Générale. Pour les raisons que vous connaissez tous, 2020 a été fortement chamboulée et les mesures de précaution sanitaire prises par le Mémorial nous ont contraints à limiter l’accès à cette cérémonie à une dizaine de personnes seulement. Cela nous a également décidés à repousser notre Assemblée Générale, qui se tiendra finalement le samedi 17 octobre à Paris, à moins que des circonstances malheureuses nous obligent à nouveau à revoir notre organisation.
Le 2 juillet dernier, c’est donc en comité restreint que l’Amicale de Dachau est descendue à la crypte du Mémorial des Martyrs de la Déportation pour un moment de recueillement. Parmi les membres conviés, soulignons la venue de deux anciens déportés : Yves MEYER et Jean SAMUEL, qui ont répondu présents pour commémorer la sombre date de leur départ pour le camp de concentration il y a de cela 76 ans, suite à leur arrestation pour faits de résistance. Si la cérémonie était intime, elle s’est néanmoins révélée très émouvante et riche en échanges.
Bien qu’elle n’ait pas été seule à prendre la parole, nous retranscrivons ci-dessous le texte très dignement lu par Mei Ling VAN GHELUWE, retraçant l’histoire de son arrière-grand-père, Jean BERNONOSE, déporté lui aussi par ce convoi tristement célèbre.
Compiègne était pour nous un véritable paradis. En juin 1944, il y avait un soleil splendide, le débarquement venait d’avoir lieu et, pour nous qui sortions de prison de France, qui venions d’échapper de justesse à la condamnation à mort, nous retrouver libres au milieu de plusieurs milliers de Français, avec toutes sortes de jeux à notre disposition – cartes, échecs, ballons, des journaux, une bibliothèque, etc. – et presque pas d’Allemands sur le dos, n’ayant pas encore la nostalgie des « derrière les barbelés », nous étions somme toute presque heureux.
Nous attendions tranquillement l’arrivée des Anglais et des Américains. Quelques jours auparavant, l’aviation alliée avait bombardé la gare, nous étions alors persuadés de l’impossibilité pour les Allemands de nous emmener dans leur pays. De plus, il y avait des Français qui, pour nous, avaient beaucoup de « relief » : des députés, des sénateurs, des anciens ministres, des généraux, des préfets… Et si, pour certains, c’étaient les sentiments « gaullistes » qui les avaient amenés là, pour d’autres, beaucoup d’autres, ils étaient là parce que dehors ils n’étaient plus à l’abri.
N’empêche, la vie était vraiment belle. Les communiqués chaque jour nous apportaient de bonnes nouvelles, les passages successifs d’avions anglais ou américains nous persuadaient de plus en plus que tout le réseau ferroviaire était détruit. D’autre part, grâce à la CroixRouge, la nourriture était substantielle, une petite cantine nous donnait le superflu, nous pouvions recevoir des colis et nous étions tous persuadés – sauf quelques défaitistes ! – que nous étions au bout de nos peines.
En pleine euphorie, tout à coup, le bruit court que des wagons à bestiaux sont arrivés à la gare et que l’on installe des barbelés aux ouvertures. C’est la consternation… Mais les jours passent sans plus rien entendre et l’espoir renaît.
C’est alors qu’on apprend l’assassinat de Philippe Henriot. Personne n’y croit jusqu’au lendemain, où les journaux le confirment.
Les alertes sont toujours aussi fréquentes. L’insouciance est grande quand, le 1er juillet au début de l’après-midi, rassemblement général. Et c’est un appel interminable de 2700 noms qui commence et qui ne se termine qu’au soleil couchant.
Nous rassemblons nos affaires et nous sommes entassés dans d’autres baraques. Trois exactement. Il nous est impossible de dormir, le temps est à l’orage et tout le monde est énervé. Nous passons toute la nuit à essayer de chanter sous l’œil absolument indifférent des sentinelles qui déambulent dans la cour. Nous essayons de nous regrouper par affinité, ou par région, entre camarades. On nous laisse faire.
Le jour est là et tous nous sommes bientôt sur pied, attendant les événements. Ceux-ci ne tarderont pas à venir, malheureusement pour nous.
Vers 7 heures, nous commençons à pouvoir sortir. Le temps est horriblement chaud et, malgré cela, il pleut : une petite pluie fine et chaude. Sachant que nos bagages nous suivront dans un wagon spécial et craignant de ne plus retrouver nos affaires, nous nous étions habillés plus chaudement que de coutume. Au passage, on nous remet du « pain » – une boule 1/4 (ce qui fait supposer à certains que nous en avons pour cinq jours de voyage) – et du saucisson, gros comme le bras.
Et c’est le départ, coupé d’arrêts harassants, encombrés de ce saucisson énorme qui gonfle et devient spongieux sous la pluie. Nous n’avons d’autre choix que de le manger. Si, au fond de nous-même, nous sommes angoissés, chacun tient à n’en rien laisser paraître. Certains même vont jusqu’à plaisanter.
Et puis ces SS qui nous encadrent, arrivant tout droit de Hollande. Voilà leurs voitures pleines de boue le long des trottoirs. Ils ont sûrement roulé toute la nuit et ils partent certainement pour le front. Ils ont dû être réquisitionnés sur place pour nous conduire jusqu’à la gare. Il y en a tous les trois mètres. Ils sont bien bas pour en être réduits à de tels expédients.
Dans un moment de détresse, nous nous persuadons qu’il y a encore des raisons d’espérer, alors que devant nous, nous apercevons la gare. Ces wagons qui, pour un millier des nôtres, seront des tombeaux roulants après quelques heures de route seulement.
On nous met en groupes de 100 et chaque groupe est dirigé vers un wagon où est écrit : « Hommes 40 Chevaux en long 8 ». Le hasard veut que je sois le dernier d’un groupe. Je me souviens fort bien de cet instinct impérieux qui m’imposait de rester le dernier bien que cet état comportât nombre d’attributions de coups de bottes et de cravaches. C’est ce qui m’a peut-être sauvé la vie.
Après un petit discours d’un SS pour nous dire qu’il est interdit de nous évader, la lourde porte à glissière se referme sur nous et on entrevoit distinctement mettre les plombs, tout comme on le fait pour un compteur à gaz.
Je ne sais pas quels peuvent être les sentiments d’un rat lorsqu’il est pris au piège, mais je crois que nous avons eu les mêmes réactions que lui : une angoisse immense bloquée à la gorge, les yeux peureux, les mains moites, les jambes tremblantes et l’oreille aux aguets, avec le secret espoir que tout cela n’était qu’une plaisanterie, qu’on allait nous ouvrir, que l’inhumanité n’allait pas si loin que cela.
Les quelques privilégiés qui se trouvaient près des ouvertures regardaient avidement sans rien apercevoir d’intéressant d’ailleurs.
Notre supplice commençait. Impossible de bouger. Nous étions collés les uns aux autres, chacun étant en étau pour l’autre. Alors nous n’avions plus qu’un espoir : PARTIR, PARTIR, PARTIR, que l’on sente un peu de vent, que l’on puisse respirer. Il était à peine 10 heures.
La pluie avait cessé : par une inclémence du sort, il faisait maintenant un soleil radieux qui tapait en plein sur les tôles de notre wagon et le transformait en fournaise. Et puis ce pain, ce saucisson trop salé que nous avions eu la bêtise de manger ! À peine étions-nous dans cet enfer que la soif commençait déjà à se faire sentir. Les plus jeunes voulaient enlever leur veston et leur pull-over.
« Attendez que le train démarre », cria quelqu’un ! « Oui, attendez », criaient d’autres comme dans une prière !
Mais le mal était fait. Nous entrions dans une nouvelle vie, où les conditions extérieures, biologiques, voulaient que nous nous conduisions comme des bêtes.
Enfin, quelque temps plus tard, le train démarrait, au grand soulagement de tous. Nous ne savions rien sur notre sort et, surtout, nous ne savions pas combien de temps il nous faudrait subir ce supplice.
Et notre convoi fut celui d’un train de marchandises faisant 10 km en 2 heures, avec des manœuvres interminables, des attentes dans les gares ou sur des voies de garage, sous un soleil terrible, implacable, sans une bouffée d’air frais.
Le soir, à 7 heures, nous atteignons Reims par la seule voie disponible après un terrible bombardement.
Mais, dans ces cargaisons d’humains collés les uns aux autres, se livre le drame le plus terrible de tous les temps. Les hommes sont affolés, encastrés les uns dans les autres, au milieu d’une mare de jambes et de souliers épais. Comme chez une bête qui va mourir, les têtes tombent brusquement et se soulèvent avec de plus en plus de difficultés. Les folies font crever les yeux, boire les urines, boire le sang. Les jeunes plus énergiques essayent de réagir, se remuent et reprennent trop d’oxygène, ce sont eux qui tombent les premiers.
La panique où tout le monde veut se précipiter vers les ouvertures et où les plus faibles tombent et meurent.