Rencontre avec Nikolaus Wachsmann

La Sorbonne, Paris, le 2 mars 2020

Emmanuel Laurentin et Nikolaus Wachsmann (à droite)

Le 2 mars dernier, notre Union des associations de mémoire des camps nazis organisait, en collaboration avec le rectorat de l’académie de Paris, une rencontre avec Nikolaus Wachsmann, professeur à Birbeck College (Université de Londres) et auteur du monumental KL. Une histoire des camps de concentration nazis, publié par Gallimard dans sa version française en 2017. Parmi l’audience, rassemblée pour l’occasion dans le Grand Salon de la Sorbonne, se trouvaient des membres de nos associations ainsi que des étudiants accompagnés de leurs professeurs.

La conférence a débuté par quelques mots d’accueil de monsieur Rachid Azzouz, au nom du recteur de l’académie de Paris, suivis d’une introduction de Dominique Durand (Amicale de Buchenwald-Dora), qui a salué la qualité du très ambitieux travail de synthèse de Nikolaus Wachsmann. La rencontre s’est finalement terminée par une conclusion de Dominique Boueilh, président de notre Amicale.

Nikolaus Wachsmann a d’abord souhaité remercier l’ensemble des historiens ayant écrit sur les camps, et sans qui il n’aurait pu rédiger « son » histoire des camps nazis. En effet, après des décennies de recherches sur le sujet, il est désormais possible de rassembler les pièces du puzzle afin de s’essayer à dresser un tableau d’ensemble. Il a confié s’être beaucoup interrogé sur la façon de raconter cette histoire : comment trouver le ton adéquat pour parler d’une période si douloureuse, alors que les survivants eux-mêmes expriment cette difficulté dans leurs témoignages ? Car la matière de son ouvrage, il l’a aussi puisée dans les récits des victimes des camps, dont la richesse et la diversité le frappent encore aujourd’hui.

Après cette brève introduction, Nikolaus Wachsmann a répondu aux questions du journaliste Emmanuel Laurentin, créateur de l’émission de radio La Fabrique de l’histoire sur France Culture. Au cours de cet entretien, il a pu s’exprimer sur sa volonté d’écrire une « histoire intégrée », c’est-à-dire une histoire qui intègre l’expérience des victimes, mais aussi la perspective des bourreaux et divers témoins – une démarche qui s’est avérée particulièrement fastidieuse, chaque histoire étant unique en son genre.

Interrogé sur l’origine du système concentrationnaire, l’historien a d’abord assuré qu’il n’existait pas de plan en tant que tel. Si les nazis se sont évertués à dire qu’ils avaient « puisé » dans une tradition déjà existante (Hitler lui-même faisait référence au comportement des Britanniques en Afrique du Sud), l’établissement de ce système fut le résultat de nombreuses décisions, contredécisions et hésitations. À partir de 1933, quand le système concentrationnaire fut mis en place, il y avait évidemment des précédents (certaines sanctions, ou l’idée que des « prestations » pouvaient être réalisées par des prisonniers, existaient déjà dans le système carcéral). Mais, au-delà de cela, les camps de concentration ont surtout trouvé leur origine dans l’expérience d’organisation de la droite paramilitaire (SS notamment) : cet esprit martial, cette façon de vouloir combattre l’ennemi jusqu’à la mort. En revanche, et de même qu’il n’y avait pas de détenu « typique », il y avait une diversité de camps de concentration et il n’y avait pas de « projet » à l’origine. Dachau, seul camp à avoir existé du début à la fin, a d’ailleurs considérablement évolué au cours de son histoire et les prisonniers de la première heure, qui étaient alors « relativement bien traités », n’auraient certainement pu imaginer ce qu’allait devenir le camp par la suite.

En 1933, la fonction des camps de concentration était de stabiliser la nouvelle dictature, car même s’ils bénéficiaient d’un grand soutien populaire, les nazis n’ont jamais eu la majorité aux élections. Le régime décida alors de détruire la possibilité d’une résistance et d’une opposition politique, mais ce furent les SS qui instaurèrent cela au niveau local et sans réelle coordination. On enferma donc des opposants dans divers camps, sans vraiment savoir à quoi ils étaient voués. En 1934, après la nuit des Longs Couteaux, le régime maîtrisait la situation et certains dirigeants nazis dirent d’ailleurs que les camps n’avaient plus lieu d’être. Mais Hitler soutenait Himmler, qui affirmait que la terreur était essentielle au régime nazi. Le système concentrationnaire commença à se coordonner et, pour la première fois, on vit l’apparition de camps « construits en tant que tels », comme Mauthausen et Sachsenhausen. Et l’ordre bureaucratique et les règles furent progressivement mis en place pour que l’appareil fonctionne de la manière la plus efficace qu’il soit. Selon Nikolaus Wachsmann, la personne qui joua le rôle le plus considérable dans la régulation du système concentrationnaire fut le deuxième commandant de Dachau, Theodor Eicke. C’est lui qui parvint réellement à avoir de l’influence lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre un « esprit » des camps : on se prouvait SS lorsqu’on ne montrait aucune pitié envers les détenus, qui devaient être traités comme des ennemis.

Quand la guerre éclata en 1939, le nombre d’opposants allemands détenus dans les camps était nettement plus restreint : la plupart des prisonniers étaient alors des « asociaux » et de petits criminels. Cette évolution se poursuivit jusqu’en 45, en s’adaptant aux besoins du régime. Dès le début des camps, le travail forcé fut clé, mais son aspect changea lui aussi radicalement au fil du temps. D’abord fonctionnel dans la mesure où il servit aux prisonniers à construire leurs propres camps, ce travail devint totalement inepte d’un point de vue économique, son seul but étant de torturer et humilier les prisonniers. Vers la fin des années 30, le système de camps était désormais bien construit, l’Allemagne connaissait le plein emploi et il y avait une pression croissante pour que chacun contribue au régime nazi. Les SS développèrent de grandes ambitions économiques, et les détenus furent contraints de les aider à construire les villes rêvées par Hitler. La situation changea encore plus tard : dans la deuxième moitié de la guerre, il fallut participer à l’effort de guerre. Ce fut un moment clé de l’histoire des camps, car ce fut à ce moment qu’on construisit les centaines de camps satellites, dont les emplacements étaient choisis en raison de leur position stratégique (proximité avec une carrière, une mine, etc.). Ainsi, de plus petits camps émergèrent dans de petites villes, et la terreur devint de plus en plus visible, de plus en plus publique. Selon Nikolaus Wachsmann, l’affirmation que « le peuple allemand ne savait pas » relève donc du mythe.

À mesure que les années passèrent, on put également observer une internationalisation des camps de concentration ainsi qu’une systématisation du meurtre de masse. En 1939, le système concentrationnaire comptabilisait 20 000 prisonniers, dont la grande majorité était allemande. En janvier 1945, on dénombrait 715 000 détenus essentiellement étrangers, les Allemands constituant alors moins de 10 % de cette population. La raison de ce changement se trouve dans l’expansion de la terreur nazie. Les camps étaient devenus des sites de répression politique à l’encontre des opposants européens (par exemple, à l’encontre des milliers de membres de la Résistance). Les camps étaient utilisés comme un instrument de discipline et comme une menace pour décourager les travailleurs forcés à se rebeller.

Les camps devinrent également une arme essentielle dans la guerre que menaient les nazis contre le peuple juif européen. De 1933 à 1942, les Juifs constituaient une proportion relativement faible des détenus : la terreur nazie à l’encontre des Juifs s’exerçait ailleurs, d’abord dans les rues d’Allemagne, plus tard dans les ghettos de l’Europe de l’Est occupée. Pour des raisons complexes, en 1942, le régime nazi décida de déporter en masse dans les camps, et c’est à ce moment qu’Auschwitz, qui à ses débuts comptait de nombreux opposants, changea pour s’adapter à l’arrivée des Juifs. Une minorité de ces derniers était sélectionnée pour travailler, une grande majorité était exterminée. Mais il ne s’agit pas d’une décision qui fut prise du jour au lendemain : il s’agit plutôt d’un processus ; un processus d’« improvisation » qui prit un certain temps. Les chambres à gaz furent intégrées à Birkenau, d’abord dans d’anciennes fermes, puis seulement en 43 d’autres types de chambres à gaz furent construites. Mais le camp d’Auschwitz ne s’est jamais transformé exclusivement en camp d’extermination : il a toujours eu de multiples fonctions (travail forcé, expérimentations humaines, etc.).

En insistant sur l’improvisation, Nikolaus Wachsmann a tenté d’expliquer que tout n’était pas prédéterminé, qu’il n’y avait pas de plan principal clair. Cette notion d’improvisation ne sous-entend pas en revanche que l’établissement du système concentrationnaire et la systématisation du meurtre de masse sont le fruit du hasard : il y a évidemment eu une trajectoire, mais l’holocauste n’était pas prédéterminé au début de la carrière politique d’Hitler. Les chefs nazis ont montré la voie, ont donné des motivations à leurs subordonnés, ce qui signifie aussi qu’ils les retenaient parfois s’ils estimaient que les choses allaient trop loin. Au début, la politique du régime envers les Juifs était l’expulsion et non l’extermination : le but n’était pas la mort, le but était de terroriser les Juifs pour qu’ils quittent l’Allemagne. Dans les camps, il y avait une marge de liberté pour les SS, ce qui ne les empêchait pas d’opérer dans le périmètre qui leur était imposé par leurs supérieurs.

Ici, il convient de noter qu’il n’y avait pas de cours, pas de formation pour les SS. Ces derniers apprenaient sur le terrain, même s’il existait quand même des manuels avec des choses à faire et à proscrire, des règlements, une organisation chargée de la coordination et de l’inspection des camps, ainsi que des conférences autour des « meilleures pratiques » à adopter. Au-delà de cela, chaque camp était soumis à des pratiques qui lui étaient propres. Certains SS étaient fiers de leurs méthodes et les montraient aux SS des autres camps. Il y a donc eu des échanges de connaissances et de savoir-faire. Il y avait aussi des mouvements de détenus entre les camps ainsi que des mutations de SS de camp à camp ; cela entraînait une grande fluidité, et ce fut également de cette manière que les connaissances furent partagées.

Enfin, Emmanuel Laurentin a interrogé Nikolaus Wachsmann sur la place des témoignages des survivants dans sa synthèse : comment réintroduire la variété des récits des victimes dans cette histoire, comment leur donner une voix pour ne pas céder à cette fascination morbide que l’on pourrait avoir pour les bourreaux et les organisateurs ? L’historien a admis que ce n’était pas facile, que c’était même extrêmement compliqué. Remarquons avant toute chose que, en ce qui concerne les bourreaux, il existe une grande quantité de documents produits par les SS et autres agences de répression de l’époque, même si beaucoup d’autres ont été détruits. Le rôle des historiens est de tenter de remettre de l’ordre dans les informations provenant de différentes sources disséminées à travers le monde. Cela étant dit, il demeure impossible de se glisser dans la peau des bourreaux, ou alors seulement de manière limitée. Car, pour des raisons évidentes, les SS n’ont pas écrit leurs mémoires. La vaste majorité d’entre eux n’a d’ailleurs pas été jugée, et n’a donc pas été amenée à parler. Quant à ceux qui ont été contraints à parler, ils ont évidemment minimisé leur rôle, voire menti quant à leurs agissements et ce dont ils ont été témoins. L’historien tâche donc de « lire entre les lignes » afin d’extraire des éléments et, déjà à cette étape, les témoignages de survivants sont essentiels puisqu’ils les aident à mettre les choses en adéquation et à en tirer un certain sens.

Comme cela a déjà été dit, il n’existe pas de détenu « typique », chaque expérience se caractérise par son unicité. Les variables furent considérables et les facteurs de vie changeaient en permanence : l’expérience du camp dépendait du moment d’arrivée du prisonnier, de sa profession, de sa connaissance ou non de la langue allemande, de ses compétences, de son âge, de son sexe, de son ethnicité, des personnes dont il fut entouré, etc. Dans son ouvrage, Nikolaus Wachsmann tente donc de décrire autant d’éléments de cette diversité qu’il lui est possible. Il reste néanmoins pleinement conscient que, avec KL. Une histoire des camps de concentration nazis, il ne délivre pas une « vérité absolue » et ne peut non plus prétendre à restituer l’émotion qui fut ressentie par d’autres il y a de cela des décennies.

Alicia GENIN

La vidéo complète de cette rencontre est accessible ici.

76e commémoration de l’insurrection d’Eysses

Les 22 et 23 février 2020 ont été denses et chargés d’émotion : nous les avons partagés avec deux de nos Anciens d’Eysses, Michel Di Massimo et Jean Lafaurie.

Le 22 février, une plaque commémorative a été inaugurée sur les lieux du sabotage de la voie ferrée, survenu à Hautefort la Tour le 30 mai 1944, lors du départ du train de Penne-d’Agenais. Les Résistants FTP Prosper avaient tenté d’arrêter le train pour faire évader les 1 200 d’Eysses, en vain. Cette cérémonie nous a permis de situer, avec précision et émotion, ce fait connu de nos Pères.

Le lendemain, l’émotion était à nouveau au rendez-vous, cette fois plus contenue, plus solennelle, lorsque monsieur Lafaurie a retracé son parcours d’Eysses à Dachau ainsi que celui de ses camarades disparus, honorés par un grand nombre de gerbes : Association de Chateaubriand, Amicale de Dachau, Amicale de Compiègne, MER 47, Comité du souvenir des fusillés d’Eysses, Amicale d’Eysses, Administration pénitentiaire, Monsieur le Maire de Villeneuve-sur-Lot, Monsieur le Vice-président du Conseil départemental, Monsieur le Président du Conseil général, Monsieur le Député, Madame la Consule générale d’Allemagne, Madame le Sous-préfet.

Tous les porte-drapeaux ont été remerciés, dont le plus jeune (11 ans), porte-drapeau d’Eysses, est l’arrière-petit-fils de deux Eyssois : Raymond Prunière et Jean Rebière.

Monsieur le Maire, après un discours remarquable de sagesse, a convié chacun à partager le verre de l’amitié dans le hall de la mairie.

Le repas du dimanche a été, comme chaque année, particulièrement convivial et fraternel.

Anciens et nouveaux venus ont exprimé leur plaisir enthousiaste d’avoir participé à ces deux jours de commémoration et imaginé un peu mieux ce que leurs Anciens appelaient « l’Esprit d’Eysses ».

Michèle JUBEAU-DENIS

Réunion bisannuelle de l’Union des Associations de mémoire des camps nazis – 23 et 24 novembre 2019 à Paris

Samedi 23 novembre

Cérémonies au Père Lachaise et au Monument aux Morts de la Mairie du 20e

La journée du samedi 23 novembre a commencé par une cérémonie au Père Lachaise. Nous avons ainsi eu l’opportunité de nous recueillir devant chacun des monuments des associations de déportés, monuments au pied desquels une gerbe a été déposée.

Cette cérémonie s’est poursuivie au Monument aux Mort de la Mairie du 20e, lui aussi fleuri pour l’occasion.

Devant le monument de Dachau, au cimetière du Père Lachaise © Janos Kaldi, Mairie du 20e
Devant le Monument aux Morts de la Mairie du 20e
© Janos Kaldi, Mairie du 20e

Réunion commune des Associations et Amicales de Déportés sur le thème « La présence de nos associations sur les sites des camps, 75 ans après »

Après un moment de recueillement devant le Monument aux Morts, nous nous sommes dirigés à l’intérieur de la mairie afin d’y assister à la réunion de notre « Interamicale ». Nous en produisons ci-dessous le compte rendu, bien aimablement rédigé par Claude SIMON de l’Amicale de Mauthausen :

Notre assemblée à la réunion de l’Interamicale
© Janos Kaldi, Mairie du 20e

Après le mot d’accueil de Florence de Massol, première adjointe à la maire de l’arrondissement, notant que nos rendez-vous en ce lieu prenaient des allures d’habitude, puis soulignant qu’il y a toujours besoin, contre le révisionnisme et les forces qui l’inspirent (racisme, xénophobie, antisémitisme) de mobiliser les consciences, exaltant enfin le modèle social issu de la solidarité des réseaux de résistance, Dominique Boueilh ouvrit la séance en qualité de Président de l’Union de nos associations et Président de l’Amicale de Dachau. Il évoqua les activités ambitieuses de l’« Interamicale » en 2019 et celles prévues pour le printemps 2020.

Puis, pendant deux heures, fut soumise à examen « la présence de nos associations sur les sites des camps, 75 ans après » de cinq points d’observation : les espaces et édifices commémoratifs, les voyages que nous y organisons, les voyages scolaires que nous assistons, nos relations avec les autorités politiques et avec les associations locales de mémoire, les comités internationaux. Chacune de nos associations avait produit cinq fiches, les synthèses thématiques étant proposées par un représentant de chaque amicale. Dans l’ordre ci-dessus des thèmes : Jean-Michel Clère (Neuengamme), Françoise Marchelidon (Ravensbrück), Jean-Louis Roussel (Mauthausen), Dominique Durand (Buchenwald) et Dominique Boueilh (Dachau). Le lecteur voudra bien se contenter de quelques remarques à grands traits.

De gauche à droite : Jean-Michel Clère, Françoise Marchelidon, Jean-Louis Roussel, Dominique Boueilh et Dominique Durand
© Janos Kaldi, Mairie du 20e

Il est vrai que la diversité même des situations impose prudence : trois États – Autriche (Mauthausen), RFA (Neuengamme, Dachau), RDA (Buchenwald, Sachsenhausen, Ravensbrück) – différemment orientés dans la géopolitique de la guerre froide ; des autorités locales laissant à l’abandon les lieux ou les utilisant plus ou moins durablement comme des opportunités : camp du NKVD pour prisonniers nazis à Buchenwald, camp de déportés « politiques » à Dachau, briqueterie à Sachsenhausen, prison à Neuengamme. Si, à l’initiative de l’Amicale française, l’installation de monuments nationaux à Mauthausen a commencé dès 1949, la fameuse tour de Buchenwald ne date que de 1958, et à Neuengamme, il fallut attendre 35 ans pour que la mairie de Hambourg fasse du site un lieu de mémoire.

Les structures générales des mémoriaux s’en sont trouvées diversement déterminées : la vingtaine de monuments nationaux à Mauthausen n’a d’équivalent nulle part. D’où des conceptions différentes des commémorations : défilé/parcours ou pas, cérémonies nationales ou non, multiplication ou non de gestes individuels (plaques). Ravensbrück semble un cas extrême : occupé par une usine, inaccessible jusqu’en 1989 (caserne soviétique), le camp proprement dit intègre alors le mémorial, centré sur le mur des nations. Jean-Michel Clère conclut sur l’analogie qu’il propose entre les mille hêtres plantés à Buchenwald et les roses « Résurrection » de Ravensbrück.

De 1947 à 1955 se sont aussi institués les voyages de nos amicales jusqu’aux sites où les veuves, orphelins et rescapés venaient se recueillir. Ces pèlerinages se sont ensuite diversifiés, en direction des jeunes (Buchenwald) et des personnes intéressées par cette histoire. Aujourd’hui, le format de ces voyages se resserre sur les quelques jours des cérémonies internationales, se déploient vers quelques camps annexes et sont l’occasion de réunions internationales et de rencontres avec les autorités et les associations locales de mémoire. Certes les délégations françaises qui font ces voyages ont tendance à voir leur nombre baisser et, selon F. Marchelidon, il faudrait se demander quelle proportion des adhérents de nos associations n’ont jamais participé à de tels voyages.

L’évolution est plus complexe pour les voyages scolaires que nous initions, facilitons ou encadrons – cette dernière modalité n’a cours aujourd’hui que pour Sachsenhausen et Mauthausen. Si des lauréats du CNRD sont parfois encore intégrés dans des groupes de « pèlerinages », l’initiative des voyages scolaires revient, naturellement, aux enseignants, et ceux-ci choisissent soit une totale autonomie (au risque de passer à côté du plus significatif), soit un guidage par les Mémoriaux (notamment sur les sites d’Allemagne), soit le partenariat avec nos associations. Dans ce dernier cas, les groupes sont incités à participer aux cérémonies internationales. Jean-Louis Roussel insiste sur trois points : la difficulté croissante de financer ces voyages, les subventions des régions étant restreintes, et le champ d’intervention de l’OFAJ (Office franco-allemand de la jeunesse) se limitant… à l’Allemagne ; une grande inquiétude liée aux changements de programme, qui, en faisant passer la Seconde Guerre mondiale en classe terminale chamboulée par le nouveau bac, risquent de tarir ces voyages ; la possibilité de pallier cette baisse de la motivation didactique en passant par le nouvel « enseignement moral et civique » (EMC) : les sites des anciens camps nazis, et les cérémonies internationales qui s’y déroulent, ne sont-ils pas de puissants foyers pour la réflexion des jeunes sur l’histoire des pays européens, sur la construction européenne et sur les valeurs civiques et politiques censées la fonder ? À Dachau en 2019, une rencontre internationale des jeunes fut ainsi un événement marquant, et des projets du même ordre s’esquissent à Mauthausen.

La situation politique autour des anciens camps, et la capacité de nos associations à y intervenir pour rappeler les valeurs proclamées à leur libération par les déportés rescapés : telle fut la ligne de mire des présentations de Dominique Durand (relations avec les mémoriaux) et Dominique Boueilh (comités internationaux). D. Durand rappelle qu’alors que nos associations sont en place en France dès 1945, l’accès aux sites et a fortiori leur aménagement comme mémoriaux ont été longtemps incertains et parfois plus tardifs. Il assure qu’après s’être graduellement améliorées, aujourd’hui les relations avec ces institutions sont « excellentes » en Allemagne, notamment à travers les Beiräte (conseils consultatifs) auxquels nous sommes associés. Ainsi, dans le contexte actuel de montée de l’AfD (extrême droite, quasi-inexistante depuis 1945), les directeurs des Mémoriaux de Buchenwald, Sachsenhausen et Dachau ont-ils refusé la présence de ce parti aux commémorations, et recevant l’appui de nos associations ; mais il a fallu une mobilisation forte pour qu’en Autriche, le ministère de tutelle du Mémorial, tenu pendant deux ans par le FPÖ, commence à reculer sur ses intentions de fermer et défigurer certaines parties emblématiques du camp. En Autriche comme en Allemagne, il existe aussi, de façons diverses selon les lieux, une vie locale, associative ou politique qui œuvre au dialogue avec nous et à la préservation des sites. Mais, en Allemagne, le changement de situation fiscale des associations risque de pénaliser ce travail. Et l’entretien des sites annexes, moins visités, demeure un combat quand un député de Thuringe déclare que l’histoire de la déportation n’est qu’« une chiure de mouche dans l’histoire » de l’Allemagne – dont en somme il serait tentant d’éliminer les traces.

D. Boueilh montre pour sa part que, derrière l’identique raison d’être aujourd’hui des Comités internationaux, des histoires (inégalement) longues et diverses se distinguent encore. Créés au temps même des camps, les CI de Buchenwald et Mauthausen se présentent encore comme éléments de concrétisation des serments prononcés à la Libération. Mais le CI de Dachau, créé en 1945 pour assurer la sécurité de détenus jusqu’à la libération, disparut après celle-ci, pour ne se reconstituer qu’en 1955, date à laquelle est aussi créé le CI de Ravensbrück. En 1958 se crée l’Amicale internationale de Neuengamme (AIN). À Sachsenhausen, c’est l’Amicale française qui est à l’origine de la création du CI en 1964. L’énergie déployée par nos associations a souvent été déterminante pour le rayonnement de ces comités, dont l’envergure internationale est elle-même inégale (de 6 pays pour Neuengamme à plus de 20 pour Mauthausen et Buchenwald) et un grand nombre de présidents de CI furent ou sont jusqu’aujourd’hui français – le cas de Mauthausen fait exception puisque c’est très souvent un représentant d’un « petit » pays (Slovénie, Luxembourg) qui occupe cette fonction. L’implication idéologique des CI est plus ou moins forte, et leur parole est plus ou moins facilement entendue. D. Boueilh croit discerner une nouvelle dynamique : les CI se réunissent plus régulièrement.

Claude SIMON
Amicale de Mauthausen

Assemblée et tribune à la réunion de l’Interamicale
© Janos Kaldi, Mairie du 20e

Dimanche 24 novembre

Journée d’étude : « Le corps du déporté, icône tragique du XXe siècle »

Une journée d’étude s’est tenue dans le très beau et très moderne auditorium Rambuteau, gracieusement mis à disposition par le Préfet d’Île-de-France et de Paris. Animée par Daniel Simon et Agnès Triebel, elle a été d’une richesse et d’une densité saisissantes, par le nombre, la qualité et la diversité des interventions. Au fil de celles-ci et des images projetées, la centaine de participants ont ressenti que rien – ni la distanciation permise par la qualité des discours, ni parfois la « beauté » (mot revendiqué par Walter Spitzer, qui nous a honorés de sa présence) des œuvres d’artistes – ne pouvait empêcher un indéfinissable malaise de surgir en chacun.

En introduction, Agnès Triebel a justifié avec pertinence le mot « icône » comme relation entre le corps et une connaissance de l’invisible, du jamais connu, de l’enfer.

Daniel Simon a rappelé la genèse de cette journée, depuis le projet d’une table ronde pour Blois. Le sujet de cette journée n’est pas l’état clinique des corps, mais leur représentation. En se félicitant que les savoirs propres de nos associations soient entrecroisés avec l’apport de spécialistes, dans un cadre bien circonscrit – laissant hors champ par exemple les dessins légués par des détenus polonais, italiens, espagnols, ou le cinéma. En soulignant que les camps du génocide n’ont pas ou très peu laissé d’images.

La littérature a, dans cette journée consacrée à l’image, tenu une place importante : une vingtaine de fragments de livres – d’auteurs déportés pour la plupart, mais pas exclusivement : aussi Marguerite Duras, Alain Fleischer, Samuel Beckett – ont été lus entre les interventions analytiques par Lou Simon. Le corps supplicié, désigné crument, accentuant la solennité de la réflexion engagée.

La première partie, « VISÉES DIDACTIQUES », s’est attachée aux monuments tournés vers le grand public.

Yvonne Cossu-Alba s’est interrogée sur la nature iconique des monuments du souvenir des camps au cimetière du Père Lachaise : triple fonction de recueillement, de commémoration et d’enseignement. Elle a souhaité qu’une véritable étude puisse éclairer les effets de ces représentations sur la connaissance et la conscience des visiteurs.

Dominique Durand a présenté le sculpteur allemand Fritz Cremer à travers ses monuments consacrés aux victimes du nazisme à Buchenwald, mais aussi à Vienne, Mauthausen et Ravensbrück. Le contexte politique de la RDA a fortement marqué la construction et le caractère didactique du monument de Buchenwald, inauguré en 1958, consacré à la Paix et à la lutte contre le fascisme. Fritz Cremer et Bertold Brecht ont accompagné l’architecte paysagiste qui a conçu ce mémorial, comme celui de Mauthausen.

Daniel Simon nous a guidés sur l’esplanade des monuments nationaux de Mauthausen. La spécificité de chacun porte un message idéologique de circonstance, mais cette clé d’analyse est réductrice. La somme des représentations donne une image complexe et instable. Le bas-relief en plâtre exposé le 16 mai 1945 pour la première commémoration de la libération, visible aujourd’hui au musée du mémorial, avait offert d’emblée une représentation intense et juste des concentrationnaires. La statuaire n’est pas muette : discours, récits de rescapés, analyse et images textuelles ont ponctué « comme des météores » notre journée.

Caroline Ulmann s’est attachée à l’exposition « Crimes hitlériens » ouverte le 10 juin 1945 au Grand-Palais, dont une publication récente a rappelé l’importance : cinq cent mille visiteurs à Paris et un million dans la France entière l’ont vue, jusqu’à l’automne 1945. Malgré vingt panneaux sans concession sur les différentes formes de massacres, un film, rien n’est dit spécifiquement ni sur l’extermination des Juifs, ni sur la collaboration, ni sur Pétain (dont le procès commence en juillet), ni sur les camps français. L’heure est à la reconstruction. Les images exposées, qui circuleront en France pendant plusieurs années sous l’égide de la FNDIRP, constituent un répertoire d’icônes.

Enfin, Agnès Triebel a présenté le monument commémoratif du Vel’ d’Hiv, dédié aux 13 152 hommes, femmes et enfants raflés à Paris et sa banlieue les 16 et 17 juillet 1942. Créé par Walter Spitzer au début des années 1990, ce monument exprime l’universalité de la souffrance infligée par les nazis au peuple juif, peu avant que le président Chirac ne reconnaisse en 1995, sur le lieu même, la responsabilité de la France dans ce crime.

La seconde partie, « IMAGE À VIF », a été consacrée à des œuvres réalisées par des déportés pendant ou immédiatement après l’enfermement dans des camps.
La première œuvre, présentée par Agnès Triebel, fut réalisée juste après la libération de Buchenwald par un enfant juif allemand, qui prit pour témoigner le nom de Thomas Geve. Il dessine dans le camp libéré et avant d’être accueilli en Suisse. Dans un petit format, il donne en 80 dessins une représentation du système concentrationnaire d’une précision et d’une qualité pédagogique extraordinaires. Après quoi il ne dessinera plus.

Aurélie Cousin a présenté les dessins de Jeannette L’Herminier, résistante active dans la région de Lyon. Arrêtée en 1943, elle est déportée à Ravensbrück. Elle réalisa environ 150 dessins au camp, manière encore de résister : elle ne représente pas les corps amaigris (sauf dans le train du retour), ni les visages, mais essentiellement les attitudes prises par les corps, en relation directe, montre l’analyste, avec les postures de mode féminine ! Elle révèle la beauté des âmes.

Gisèle Provost a analysé quelques-unes des nombreuses médailles réalisées par Pierre Provost, son père, au camp de Buchenwald – trente-deux ont été rapportées. La médaille, art des symboles, est reproductible, transmissible, presque indestructible et témoigne comme un porte-voix, sorte de déplacement du témoin à l’objet.

Agnès Triebel a clos cette deuxième partie sur les dessins réalisés par Walter Spitzer à Auschwitz III, Gross-Rosen et Buchenwald. Alors âgé de 16 ans, il fait la promesse aux résistants du camp qui le protègent de témoigner, avec ses crayons, de ce qu’il aura vu. En avril 1945, il doit à nouveau abandonner tous ses dessins. Sauvé, il redessine aussitôt de mémoire. En 1951, ses œuvres brûlent dans l’incendie de son appartement. Pendant l’interview réalisée dans son atelier le 7 novembre, il montre une toile qui interroge particulièrement : la représentation d’un tabou, l’intérieur de la chambre à gaz. Agnès Triebel cite Kant : « L’art n’est pas la représentation d’une belle chose, mais la belle représentation d’une chose. »

La troisième partie, « GESTES D’ARTISTES », présente le travail de plusieurs artistes à distance du temps de la déportation, ayant ou non vécu l’expérience des camps. La sublimation nous entraîne dans ce qui, peut-être, est de l’ordre de l’art.

Sylvie Ledizet parcourt l’œuvre de Ceija Stojka à partir de sa représentation des corps des déportés, essentiellement des corps de femmes et d’enfants. Ceija Stojka est née en 1933 dans une famille tzigane qui va subir une persécution implacable. Son père fut assassiné à Hartheim. Elle arrive à dix ans à Auschwitz, au camp « des familles », avec le matricule Z6399, puis est transférée à Ravensbrück, et enfin à Bergen-Belsen. Après quarante ans de silence, elle commence à s’exprimer par l’écriture, puis la peinture, totalement autodidacte. Elle fait resurgir un monde intérieur. C’est une œuvre tombeau, d’une grande singularité.

Marie Janot présente l’œuvre méconnue d’Édith Kiss, Hongroise d’origine juive, totalement assimilée, elle est formée à la sculpture à Düsseldorf. Elle est déportée en octobre 1944 à Ravensbrück, puis dans un camp annexe de Sachsenhausen. On connaît surtout son album de 30 gouaches « Déportation » réalisées entre 1949 et 1954. Le corps est montré comme dysfonctionnant, à travers ses postures. Alors qu’elle refusait de parler de la déportation, Édith Kiss a aussi créé quatre frises sculptées sur la déportation (déportation, travail forcé, camp de la mort et libération) pour une synagogue, certainement une commande des autorités.

Enfin, Anne Bernou parle de trois artistes reconnus : Zoran Mušič, Miklos Bokor et Jean-Marc Cerino. Les positions de Zoran Mušič (déporté à Dachau) et Miklos Bokor (juif hongrois déporté à Auschwitz), divergent radicalement sur l’intention expressive. Le premier, après trente-cinq ans de refoulement de la conscience expressive, produit la fameuse série Nous ne sommes pas les derniers. Miklos Bokor, juif hongrois déporté à Auschwitz, transféré à Buchenwald puis Theresienstadt, installé en France en 1960 et mort en 2019, peint surtout des sortes de paysages, en vérité des décors aux figures absentes, aux confins de l’abstraction. Jean-Marc Cerino, né en 1965, artiste de la post-mémoire, travaille les limites de l’effacement, aux limites du visible, à partir d’œuvres de déportés trouvées dans des documents d’archive, telles ses peintures à l’encaustique, blanc sur blanc, réalisées à partir de dessins de déportées de Ravensbrück.

Est-il possible d’établir un bilan de cette journée ? Oui, certainement, mais un bilan provisoire, tant il est certain que sa réussite tient aussi à ce qui a été mis au travail, chez les uns et chez les autres. Quoique sur le temps long d’une journée, il fut manifeste que chacun limitait sévèrement son propos. Combien de débats auraient pu se tenir après chaque intervention ! Et combien d’autres modes de représentation, d’autres points de vue, d’autres outils (comme la photo ou le cinéma, volontairement mis de côté) auraient pu trouver leur place dans les regards croisés portés sur l’insaisissable.

Laurent MEYER
Amicale de Mauthausen

Cette journée d’étude a été filmée et le montage a été réalisé par Bernard Obermosser (Amicale de Mauthausen). Si vous souhaitez visionner cette journée, merci de nous contacter afin que nous vous transmettions un code d’accès (les vidéos sont protégées). Vous pourrez alors vous rendre sur la page d’accueil du site de l’Amicale de Mauthausen, rubrique « actualité », où vous trouverez un article explicatif concernant le visionnage de la journée. Celle-ci a été découpée en plusieurs vidéos, correspondant aux divers chapitres de la conférence.

Rencontre avec l’historien Nikolaus Wachsmann

Le lundi 2 mars 2020 à 14 h dans le Grand Salon de La Sorbonne, 47 rue des Ecoles 75005 Paris

Aura lieu une rencontre avec l’historien

NIKOLAUS WACHSMANN

Professeur d’histoire contemporaine à Birkbeck College, Université de Londres

Autour de son livre

KL. UNE HISTOIRE DES CAMPS DE CONCENTRATION NAZIS

Gallimard, 2017

Renseignements et inscription auprès de l’Association française Buchenwald Dora

contact@buchenwald-dora.fr ou  01 43 62 62 04

Discours de la cérémonie commémorative au Monument aux Morts de Sarlat, 29 septembre 2019

Discours prononcé par Dominique Boueilh, Président de l’Amicale de Dachau

Monsieur le Sous-Préfet, Monsieur le Maire, Madame La Députée, Monsieur le Président de Département, Mesdames et Messieurs les Elus, Mesdames et Messieurs les Présidents d’association, cher public,

L’Amicale du camp de concentration de Dachau est présente cette année à Sarlat pour tenir son congrès annuel, fidèle à cette tradition de rassemblement annuel depuis 1946 dans différentes villes de France.

Il nous est permis ainsi de rendre hommage, aujourd’hui, aux victimes de la déportation originaires de Sarlat, et plus largement originaire du Périgord.

Chaque région, chaque recoin de notre patrie a fait acte de résistance et de sacrifice au moment de combattre l’ennemi nazi. La ville de Sarlat et la région du Périgord ont fait particulièrement et grandement honneur à cette devise.

Dès la fin des années 1940 se constituaient ainsi les premiers réseaux. Les premiers journaux clandestins, tels que « Combat », apparaissent, suivis d’opérations de camouflage de matériel militaire et plus tard d’opérations de parachutage.

L’invasion de l’URSS par les troupes allemandes le 22 juin 1941 sonna, par réaction, le départ d’une franche montée de la résistance. Les réseaux s’organisèrent alors autour de chefs, parfois improvisés.

La mission du maquis est claire : affaiblir au maximum les forces de l’occupant, infliger à ses troupes un maximum de gêne, à son matériel un maximum de dégâts, tels étaient les buts à atteindre. Mais les risques étaient énormes et le combat avec l’ennemi tournait rarement en faveur des porteurs de mitraillettes.

Le 11 novembre 1942, les troupes allemandes franchissaient la ligne de démarcation et déferlaient en zone libre. Heureusement, les divers mouvements de la résistance firent taire leurs rivalités et, par l’intermédiaire de Jean Moulin, adressèrent au général de Gaulle un message de solidarité avec la France Libre.

Les premières rafles et envois en déportation interviennent à partir de janvier 1943, et c’est seulement à partir de la fin de 1943 que les maquis atteignirent leur pleine maturité et capacité à affronter l’ennemi..

Début 1944, les espoirs d’un débarquement allié sur le sol français exacerbaient le combat.

La sinistre division allemande Brehmer est chargée de faire le nettoyage. Partout l’ennemi arrêtait, fusillait, incendiait. Rouffignac en fut le pire sinistre, tandis que Sarlat échappa à l’embrasement grâce au sang-froid de son maire qui put parlementer avec l’ennemi. Certains prisonniers furent relâchés, d’autres acheminés vers les camps de concentration.

Le 6 juin 44 résonnait l’appel aux armes du général de Gaulle. En quelques heures, les routes furent hérissées de barrages. Le ciel obscurci depuis plus de quatre années s’illumine enfin d’une lueur d’espoir. Une lutte allait mobiliser les résistants, c’était la libération du sol national qui devenait l’objectif immédiat. Nombre de volontaires affluèrent dès cet instant aux campements des maquis.

Mais le monstre était loin d’être épuisé. Le 8 juin 1944 au matin, la division nazie « Das Reich », unité des blindés les plus redoutables, dotée de 20000 hommes, de 200 chars, part de Montauban, de Moissac, de Caussade pour gagner le front de Normandie par la route. Cette journée du 8 juin 1944 s’avère très sanglante : en traversant le Périgord Noir, la division pratique répression et nettoyage. Cette même colonne «  Das Reich » s’illustrera à Oradour-sur-Glane.

Des combats intenses et des ratissages répétitifs se poursuivirent, jusqu’à l’inversion du rapport des forces. Les pertes allemandes s’intensifient, l’ennemi décroche et finit par évacuer les villes occupées, avec le maquis sur leurs talons.

1898 déportés du Périgord furent recensés, dont 49 % de Juifs. Les trois quarts des déportés du Périgord le furent dans les seuls mois de 1944, avec pour destination la plus fréquente Auschwitz, Buchenwald, suivie de Dachau.

Edmond Michelet, chef du mouvement de résistance Combat dans le Limousin voisin, président fondateur en 1945 de notre Amicale, et le général André Delpech, Président de l’Amicale de Dachau de 1991 à 2011, engagé dans les maquis du Lot, seront tous deux rescapés de Dachau.

A la veille du 75e anniversaire de la libération des camps, alors que seuls quelques témoins subsistent, tels que Pierre Schillio et Roger Poulet, présents tous deux à nos côtés, le devoir de mémoire mais aussi le devoir de vigilance s’imposent pour préserver les nouvelles générations du péril de la guerre, du totalitarisme, de l’intolérance et des atteintes à la dignité humaine. Lorsque le dernier témoin aura disparu, nous serons seuls face à nos actes et à nos responsabilités, redevables des espoirs qu’ils ont placés en nous, et des sacrifices consentis pour notre liberté.

Ne cédons pas au pessimisme environnant, à l’indifférence, croyons en notre avenir, en la force de progrès et de discernement de l’homme. Dénonçons les atteintes à nos valeurs, combattons nos détracteurs, en particulier ceux qui se réclament les sauveurs d’un monde dont on aurait trop ouvert les frontières. 

En mémoire de ces hommes et de ces femmes, de toutes conditions, de toutes origines, de toutes convictions religieuses ou politiques, qui se sont élevés, au péril de leur vie, contre les lois discriminatoires et honteuses de Vichy, contre l’ennemi nazi, ne laissons pas bafouer les valeurs démocratiques et républicaines d’égalité et de fraternité qui nous animent. Et surtout, revenons à nos valeurs universelles.

Discours prononcé par Sébastien Lepetit, Sous-Préfet de Sarlat

Mesdames, Messieurs,

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la valeur de l’homme en tant que tel a été niée.

La barbarie à l’époque du nazisme a mené à une destruction humaine sans précédent dans l’histoire.

Les générations qui se sont succédé depuis, et celles qui nous succéderont, ne doivent pas l’oublier, et doivent s’insurger contre – et combattre – toutes les actions qui pourraient un jour conduire à la répétition de tels événements.

Evidemment, cela demande une certaine persévérance.

Pour atteindre cet objectif, nous pouvons, notamment, nous rattacher à des symboles.

Ecole de la violence, Dachau en est un, puisqu’il demeure encore aujourd’hui celui de la répression contre la résistance européenne au nazisme.

Plus largement, nous devons surtout nous employer à ne pas oublier.

Nous le faisons : en rendant hommage, en saluant la mémoire, en honorant des personnes disparues, en commémorant ; c’est ainsi que nous rappelons dans nos sociétés démocratiques les tragédies du passé.

Et finalement, c’est ainsi que prennent forme les devoirs de mémoire et de vigilance que pourront poursuivre après nous les plus jeunes, lorsque le souvenir d’une expérience vécue ne pourra plus être transmis de manière directe.

Voilà les raisons pour lesquelles je suis heureux d’être présent aujourd’hui et de participer à cette cérémonie du Souvenir, à l’occasion de laquelle la République, dans ce qu’elle a de plus beau, se souvient et s’emploie à dire qu’elle n’oubliera jamais.

Discours en hommage au général André Delpech

Discours prononcé par Dominique Boueilh, Président de l’Amicale du camp de concentration de Dachau, lors de la cérémonie d’hommage au général Delpech le 28 septembre 2019 à Vitrac

Monsieur le Maire, chère famille Delpech, chers amis, chers habitants de Vitrac,

C’est avec beaucoup d’émotion que nous sommes réunis en ce lieu, autour du général André Delpech et de son épouse Marie-Thèrèse, 7 ans après leur disparition.

L’Amicale du camp de concentration de Dachau organise cette année son 74e congrès national dans la ville de Sarlat, voisine de ce village de Vitrac où résidait son précédent président émérite. Nous nous devions de rendre cet hommage, par fidélité et respect à ce très grand homme, oui très grand homme, qui a marqué son époque et plus particulièrement la cause qui nous anime : le devoir de mémoire et la défense des valeurs issues de la Résistance et de la Déportation.

Résistant de première heure pour défendre son pays et sa région contre l’envahisseur nazi ; déporté à Dachau par le Convoi de la Mort du 2 juillet 1944 ; ayant enduré déshumanisation et souffrance physique durant ses 10 mois de déportation, jusqu’à la libération du camp le 29 avril 1945.

C’est un homme blessé dans son corps et dans son âme qui retrouve sa famille et la douceur de son terroir. Mais aussi un homme résolument épris de liberté, décidé à combattre l’oubli de l’horreur des camps de concentration, à éveiller les consciences contre le péril des idéologies fascistes et ses analogues, décidé à agir pour le respect de la dignité humaine et contre les atteintes à la liberté. Mais surtout, œuvrer pour le rapprochement des hommes et des peuples d’Europe, et c’est là sa plus grande réussite.

Au terme d’une longue et riche carrière militaire le menant au grade de général de corps d’armée, il s’investit pleinement dans l’Amicale du camp de concentration de Dachau, dont il se voit proposé la présidence en 1991. Il est alors le cinquième président, après Edmond Michelet, fondateur de l’Amicale en juillet 1945, le docteur André Bohn, le colonel Charles Arnould et Louis Eugène Sirvent.

Entouré de son fidèle secrétaire général, Pierre Schillio, présent à nos côtés, de son trésorier précis, Jean Samuel, et des extraordinaires personnalités qui constituent son Bureau et son Conseil d’Administration, il donnera une nouvelle impulsion à notre Amicale, lui conférant visibilité et rayonnement vers le monde extérieur, en fera une force de réflexion sur les crimes nazis, mais aussi sur l’avenir de l’homme. Le défi de sa présidence, transformé en réussite, sera de préparer la transmission de la Mémoire et de la destinée de l’Amicale vers les nouvelles générations. 

C’est avec beaucoup de tact et de patience, de sagesse et d’accompagnement, de force de conviction vers ses détracteurs, de confiance en nous, qu’il a réussi dans son entreprise.

Nous voici, 7 ans après, détenteurs de cet extraordinaire héritage, dont nous mesurons chaque jour davantage son ampleur et sa richesse.

La présence de notre congrès à Sarlat ce week-end, et autour de cette sépulture, se veut un témoignage de notre fidélité et un renouvellement  de notre engagement au serment de Dachau, la réponse à la confiance qui a été placée en nous par les Anciens de Dachau, et plus particulièrement par le général.

Le général André Delpech a également assuré la présidence du Comité International de Dachau de 1991 à 2005. Sous son impulsion et sa maîtrise, le CID retrouvera sa vocation, apaisera ses tensions internes, et retrouvera cette place privilégiée auprès de la Fondation des Mémoriaux bavarois qui lui permettra de participer aux orientations majeures du Mémorial, dont le rayonnement fait désormais acte. Son acte de foi demeurera le rapprochement des nations de l’Europe, dans l’enceinte du CID, mais aussi dans ses nombreuses interventions et déplacements dans les pays européens.

Le général André Delpech, aux côtés de son épouse Marie-Thérèse, demeurait avant tout l’homme, le voisin, l’ami, le père et le grand-père. Sous son imposant personnage, derrière son autorité qui inspirait le respect et derrière ses exigences qui n’avaient d’autre but que de nous conduire vers le meilleur de la nature humaine et vers l’excellence, résidait avant tout l’ancien déporté, humble, attentionné, humain, affectueux, avec toujours une anecdote en réserve pour les proches.

Les moments privilégiers et intimes que j’ai pu passer auprès de lui restent pour moi d’une richesse extraordinaire.

Mon général, Madame Delpech, nous sommes venus nombreux aujourd’hui vous rendre visite, parce que vous êtes toujours dans notre cœur, et pour vous rassurer : nous sommes toujours là, à poursuivre, pour reprendre votre propre expression, « le vœu pieux que ce qui s’est produit à Dachau ne recommence pas ».

Commémoration du 75e anniversaire du Train de la Mort – 2 juillet 1944

Mémorial des Martyrs de la Déportation (Paris)

Le Mémorial des Martyrs de la Déportation a été érigé au cœur de Paris, sur l’île de la Cité, et inauguré en 1962 par le général de Gaulle, alors président de la République. Conçu par l’architecte Georges-Henri Pingusson et dédié à l’ensemble des déportés de France, ce lieu nous invite par ses symboles à la réflexion, en évoquant la souffrance de celles et ceux déportés en 1941 et 1944.

Le mémorial est situé derrière la cathédrale Notre-Dame, sur l’île de la Cité, près du square de l’Île-de-France, dans un espace verdoyant contrastant avec les escaliers raides menant à un parvis triangulaire entouré de murailles. Dans cet espace fermé de béton, partagé entre un coin de ciel bleu et l’eau de la Seine à travers les barreaux de fer, le lieu est recouvert d’un ciment blanc où sont agrégées quelques pierres des principaux massifs montagneux de France.

Nous entrons dans ce passage resserré entre 2 blocs monolithiques et accédons à la crypte, avec l’étoile du souvenir gravée au centre dans une dalle de bronze. Nous nous répartissons autour de celle-ci, accompagnés de Jean Samuel qui préside cette cérémonie du Train de la Mort du 2 juillet 1944.

Témoignage de Jean Samuel

« Il faisait chaud, très chaud à cent par wagon, encastrés, les uns contre les autres. Nous étions en battue jusqu’à la mort. […] Le soir, couché sur 3 épaisseurs de cadavres, il restait seulement 37 survivants le lendemain dans le wagon. Tous les morts sont réunis dans une moitié de wagon. Trois jours, quatre nuits de voyage à Dachau, petite ville de province où se trouve le camp de concentration, surpeuplé. […] Libération des Américains le 29 avril 1945, nous sommes arrivés à Paris le 10 mai 1945.

J’ai 95 ans, c’est un véritable miracle. »

Témoignage d’Yves Meyer, à travers la lettre lue par sa fille Danielle Meyer

« Quelle émotion dont ils se souviennent encore. »

« À partir du camp de Compiègne, je vois les habitants fermant leurs fenêtres. Le train a la capacité de 45 personnes, il fait 35°C, canicule de 1944. J’ai un projet d’évasion, il est avorté. Dans un autre wagon : 95 morts, un seul survivant. Sur les 2521 déportés, nous observons des otages, des résistants, des prêtres.

Arrêt à Saint-Brice, puis à Revigny le 3 juillet 1944. On compte 984 cadavres dans d’autres wagons. Le 4 juillet, nous sommes à Metz, où nous avalons une soupe de la Croix-Rouge. Le 5 juillet, nous arrivons au camp de Dachau dans la soirée, accueillis par des jets de pierres, des aboiements, des morsures de chien. Nous passons le portail « Arbeit Macht Frei » (le travail rend libre). Nous sommes réduits, nivelés par le bas, nous avons une vie concentrationnaire. »

Témoignages lus par la nouvelle génération des enfants et petits-enfants, Foucaud, Charles, Alicia, Inès et Mathilde

L’atmosphère est dans l’écoute, le désarroi de la mémoire, les images sont terribles, l’émotion est vécue intérieurement, avec pudeur.

« Bilan : 1537 rescapés, 984 morts, des hommes sont devenus fous. Le silence est pesant, les nerfs sont à vif, règnent des angoisses, des syncopes.

On peut entendre se murmurer : non, je ne vais pas moi aussi céder à la folie.

À l’arrivée à Dachau, quatre rangées de cadavres sont constituées, nous sommes asphyxiés, déshydratés. » Edmond Michelet décrit des heures d’épouvante.

Témoignage de Dorothée Roos

Dorothée Roos est conseillère à Mosbach, conseillère de district de Neckar-Odenwald, après des études de philologie et histoire allemande. En 2013, elle a reçu la médaille du Bade-Wurtemberg par le ministre des arts, Theresia Bauer. Elle est aussi présidente de l’association « KZ-Gedenkstätte Neckarelz » (Mémorial du camp de Neckarelz).

Elle nous explique qu’un premier convoi de 500 déportés en provenance de Dachau est arrivé le 15 mars 1944, dans le but de délocaliser une partie de l’usine de moteurs d’aviation Daimler-Benz Genshagen et de mettre ainsi la production de guerre de cette usine à l’abri des bombardements. La vallée du Neckar comportait de nombreuses mines et comptait des travailleurs forcés dès 1942, puis des détenus concentrationnaires dès 1944. Environ 10 000 prisonniers ont travaillé dans le camp de Neckarelz. Dans ce dur labeur est né le chant de Neckar en 1954.

Après un moment de recueillement devant la tombe d’un déporté inconnu décédé au camp de Neustadt, nous avons l’honneur de visiter le mémorial. Une longue galerie obscure est tapissée de facettes de verre symbolisant les dizaines de milliers de déportés morts dans les camps nazis. Nous prenons ensuite le chemin de la visite à travers deux galeries latérales où sont alignées des alvéoles triangulaires abritant les urnes de terre des différents camps et de cendres des fours crématoires. Des poètes ont aussi laissé leur trace, avec des extraits de Robert Desnos, Paul Éluard, Louis Aragon. Tout est sujet à la réflexion au fil des salles : dans le silence et la pénombre, le visiteur ressent l’enfer concentrationnaire. Des écrits, des dessins, des images évoquent la souffrance, le quotidien de celles et ceux qui ont connu l’horreur d’un système au nom d’une idéologie d’un régime totalitaire.

Le mémorial invite à la méditation, à la réflexion, à la prière, à pardonner et à se souvenir.

Sandra QUENTIN

Rencontre Interamicale – Union des Associations de Mémoire des camps nazis

Association française Buchenwald, Dora et kommandos – Amicale du camp de concentration de Dachau – Amicale de Mauthausen, déportés, familles et amis – Amicale de Neuengamme et de ses kommandos – Amicale de Ravensbrück – Amicale d’Oranienburg-Sachsenhausen et ses kommandos.

Samedi 23 novembre 2019

Mairie du 20e arrondissement, 6 avenue Gambetta, 75020 Paris. Métro Gambetta, lignes 3 et 3bis. Bus 26, 60, 61, 64, 69.

Programme

09 h 00 : Cérémonie aux différents monuments des camps au cimetière du Père Lachaise.

10 h 15 : Cérémonie au monument aux morts de la Mairie.

10 h 30 : Réunion commune des Associations et Amicales de Déportés sur le thème :

« La présence de nos associations sur les sites des camps, 75 ans après »

L’Union des associations de mémoire des camps (Interamicale) officialisée, après 7 ans d’actions communes

  • Monuments, stèles et espaces commémoratifs français sur les sites.
  • Voyages associatifs, « pèlerinages », 75 ans après.
  • Assistance aux voyages scolaires.
  • Relations avec les Mémoriaux, les associations locales et autorités allemandes et autrichiennes.
  • Représentativité des Comités internationaux et contributions françaises à ces Comités.

12 h 30 : Déjeuner à la Mairie du 20e arrondissement (participation 35 € – inscription et paiement auprès des amicales et associations).

14 h 30 : Réunions, conseil d’administration ou assemblées générales des différentes amicales et associations.

Dimanche 24 novembre 2019

Auditorium Rambuteau, 5 rue Leblanc, 75015 Paris, mis à disposition par la Région. Métro : ligne 8, RER : ligne C, Bus : 42, 88, 169 ou PC1, Tramways : T2, T3.

Table ronde de 9 h 00 à 16 h 00

« Le corps du déporté : icône tragique du XXe siècle »

Plusieurs intervenants, historiens d’art, photographes présenteront leurs travaux sur la représentation du corps du déporté dans un large corpus : photos, dessins, statuaire, textes.

12 h 30 : Déjeuner sur place (participation 18 € – inscription et paiement auprès des amicales et associations).

Cérémonie du Père Lachaise 2019

Traditionnellement, pour les fêtes de la Toussaint, la FNDIRP rend hommage aux victimes de la barbarie nazie en déposant des fleurs au crématorium, au jardin du Souvenir, au pied des Monuments de chacun des camps de concentration, devant la tombe de Christian Pineau et devant le caveau de la FNDIRP, au cimetière du Père Lachaise.

L’Amicale de Dachau sera présente lors de cette cérémonie et vous invite à l’y rejoindre le :

Jeudi 24 octobre 2019 à 10 heures au Cimetière du Père Lachaise

Rendez-vous à 9 h 45 devant l’entrée, rue des Rondeaux (métro Gambetta)

L’Union des Associations de mémoire des camps nazis aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois (octobre 2019)

Dans le cadre des Rendez-vous de l’Histoire de Blois, édition 2019, notre Union des Associations de mémoire des camps nazis a organisé une table ronde intitulée
« Les déportations d’Italie vers les camps nazis : histoire méconnue, mémoires vivantes ». En voici le compte rendu, que nous devons à Caroline Ulmann de l’Amicale de Mauthausen.

« Les déportations d’Italie vers les camps nazis : histoire méconnue, mémoires vivantes »

Table ronde organisée par l’Union des associations de mémoire des camps nazis, pilotée par D. Durand et D. Simon le 10 octobre 2019 (Amphi de l’INSA) à Blois, aux Rendez-vous de l’Histoire.

Marie-Anne Matard-Bonucci, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris 8, spécialiste de l’Italie fasciste, expose le contexte politique : l’arrivée au pouvoir en Italie en 1922 de la dictature de Mussolini et la création de « centres de relégation » dans les îles et dans les lieux éloignés, pour les antifascistes, les étrangers et les Juifs. Puis les lois raciales de 1938, qui excluent les Juifs de la vie publique. Après la déclaration de guerre et l’alliance avec les nazis : l’ouverture de camps pour les opposants au régime fasciste, les étrangers et les Juifs à Ferramonti (Calabre). Puis le débarquement en Sicile en 1943 et la destitution de Mussolini, ébauche d’une autorité politique impliquant le roi et les alliés, au sud jusqu’à Rome. Les Allemands occupent le centre et le nord de l’Italie et permettent le retour de Mussolini dans la fantoche « république de Salo » : ouverture des camps de concentration nazis en Italie, avant des déportations dans le Reich : Fossoli à Carpi, Bolzano, la Risiera de San Sabba, près de Trieste.

Marie-Anne Matard-Bonucci

Dominique Durand (Buchenwald-Dora) fait état du message cordial de Dario Venegoni, président de l’ANED (association nationale des ex-déportés italiens) et rappelle quelques données chiffrées sur la déportation italienne : 8 500 Juifs déportés parmi les 40 000 déportés italiens ; 23 400 « politiques » résistants et raflés ; 10 à 15 000 hommes et femmes détenus dans les camps nazis en Italie. En plus des déportés dans les KL, environ 250 000 personnes furent emmenées hors d’Italie pour le travail forcé et 650 000 soldats faits prisonniers par les anciens alliés allemands et envoyés dans les camps de prisonniers en Allemagne et dans les territoires occupés. Au total, près d’un million d’Italiens ont été faits prisonniers ou déportés en tant qu’esclaves en Allemagne.

Pour Elisabetta Ruffini, directrice de l’Istituto bergamasco per la storia della Resistenza e dell’età contemporanea, il y a une multiplicité d’histoires que l’ANED, dès le retour, s’attache à croiser avec la volonté de faire de la déportation une histoire commune. Mais une définition très vague de la notion de déportation se met en place. Les Italiens furent les derniers à sortir des camps : après une guerre qui avait été aussi une guerre civile, la structure de l’État était à reconstruire. Les Italiens de Mauthausen ont constitué une délégation de trois membres (Giuliano Pajetta, Enea Fergnani et le professeur Balducci) partie fin mai pour l’Italie afin de demander aux autorités de prendre en compte la question du rapatriement des déportés italiens libérés qui gisaient et continuaient de mourir dans les camps. C’est à partir du choc, dans la presse, des photos de déportés décharnés, que Mauthausen devient le symbole de la déportation politique italienne. Celle-ci est lue dans le sillage de la résistance qui permet à l’Italie de sortir de la guerre en refondant identité nationale et conscience démocratique : entrée en guerre comme monarchie, après la guerre l’Italie devient une République. La Seconde Guerre mondiale lue par le prisme de la résistance va être fondatrice de ce discours.

Elisabetta Ruffini

Peter Kuon, professeur de littérature française et italienne à l’université de Salzburg, présente ses travaux comparant les témoignages des survivants italiens et français : sur vingt-cinq témoignages publiés sur le camp d’Ebensee, les Français racontent tous (sauf deux) la libération sur un mode héroïque. Les Italiens, restés dans leurs baraques à l’état de morts vivants, n’ont aucun geste héroïque à raconter. En revanche, les récits des Italiens sont imprégnés d’une détresse et d’une vulnérabilité absolue. Une des raisons de leur retour tardif est leur faiblesse physique. La situation des Italiens était très précaire à Mauthausen : considérés comme des traîtres par les Allemands, ils étaient des fascistes pour les autres. Au bas de l’échelle, il était difficile pour un Italien d’accéder à un poste de responsabilité, qui aurait pu permettre de protéger des camarades : « après nous, il n’y avait que les Juifs ». De plus, il n’y avait pas de cohésion du groupe national : les Italiens parlant leurs dialectes ne se comprenaient pas et, après une scolarité sous le régime fasciste, ils n’avaient pas connu de débat ni d’éveil politique… Ils n’avaient pas d’expérience de la résistance, des réseaux clandestins comme les Français. C’est pourquoi, à la différence de ceux-ci, ils évoquent des survies individuelles.

Qui écrit ? 98 % des Italiens survivants n’écrivent pas ; ceux qui écrivent sont des juristes, des universitaires, des journalistes, à l’exception de Giuliano Pajetta (membre du PC italien exilé en France, puis revenu en Italie et déporté à Mauthausen). Il faut attendre les année 1970 et des témoignages souvent recueillis et publiés avec le soutien de l’ANED. Ceux qui ont déjà une expérience d’écriture suivent un modèle classique : ils se présentent comme des résistants antifascistes et antinazis. Les autres, la plupart, racontent leur vie d’avant, sous le fascisme dont ils ont été victimes, avec des références religieuses – et à Dante aussi, auteur très populaire en Italie.

Peter Kuon

Souscrivant à ces propos de Peter Kuon, Elisabetta Ruffini ajoute que la voix du déporté va rendre problématiques les récits de la résistance. Malgré le faible nombre de survivants, 11 témoignages sont publiés dès avril 1945, 13 en 1946, 4 en 1947, 1 en 1948, puis le silence jusqu’en 1952. Ce ne sont pas les grandes maisons d’édition qui publient ces témoignages : ces livres n’ont pas une grande diffusion, car la voix des déportés n’est pas la voix de la victoire, du blanc et noir, des bons et des méchants, ce sont des histoires qui ramènent au passé et à ses luttes, qui ouvrent des questions sur l’espèce humaine, qui interrogent l’Homme et l’Italie d’après-guerre qui a envie d’oublier et de vite tourner la page. Ces témoignages écrits dans la hâte portent une voix différente de l’image de la déportation créée avant le retour des déportés, qui reste très articulée au symbole de l’Italie résistante et victorieuse que l’on trouve dans les journaux et l’espace public. D’une part, dans la période 1945-48, face à des histoires que personne, au fond, ne veut écouter, s’impose le symbole des déportés politiques admis dans le martyrologe national qui fonde l’identité de la République. D’autre part, le symbole du déporté politique va produire des zones d’ombre, des silences, mais peut-être pas là où nous le pensons : on dit souvent que le symbole du déporté politique pousse dans le silence la Shoah. Si l’on regarde les années 1945-1947, on doit nuancer cette formule : en Italie, sept femmes prennent la parole pour raconter Auschwitz, suivies à la fin de 1947 par Primo Levi : l’histoire de la Shoah trouve ainsi ses témoins. En revanche, le symbole des déportés politiques va pousser vers le silence les femmes résistantes, qui n’arrivent pas à prendre la parole avant les années 1970.

Changeant l’angle de vue, un extrait de l’entretien avec Boris Pahor réalisé en juin 2019 par Sylvie Ledizet et Claude Simon a été diffusé. Écrivain slovène né en 1913, dans l’empire autrichien à Trieste, ville devenue italienne en 1918, et déporté à Natzweiler, Dachau, Dora, Bergen Belsen, il est l’auteur de Nekropola (en français : Pèlerin parmi les ombres, la Table ronde, 1996). Marie-Anne Matard-Bonucci rappelle que les fascistes ont eu une politique très dure concernant les minorités linguistiques, en particulier celles du nord-est. Boris Pahor a été déporté parce qu’il s’est engagé auprès des partisans yougoslaves. Il y a eu des camps spécifiques pour les Slovènes, et il ne faut pas oublier ni que les Italiens n’étaient pas des « aryens » pour les nazis, ni que les fascistes ont réprimé férocement les Slaves.

Elisabetta Ruffini souligne que la mémoire de la déportation en Italie a été construite par le bas, grâce à la ténacité des survivants, de leurs familles et de leur association, l’ANED. On peut essayer de fixer par des images quelques moments de cette construction :

  • L’image choc de la libération des déportés, quand la délégation envoyée à Mauthausen rentre en Italie : le 30 mai 1945, la première image dans la presse italienne publiée dans l’Unità (ci-dessous).
  • Le premier monument consacré à la déportation est inauguré durant l’été 1945 au Cimitero Monumentale de Milan : il s’agit d’une œuvre du cabinet d’architectes BBPR (Banfi, Belgiojoso, Peressuti, Rogers), engagé dans la résistance, dont deux membres, Banfi et Belgiojoso, ont été déportés à Mauthausen – d’où Banfi ne rentre pas. C’est ce cabinet qui va réaliser pour l’ANED les plus importants monuments de mémoire consacrés à la déportation.
Cimetière monumental de Milan
  • La première Exposition nationale des Lager en décembre 1955, pour le 10e anniversaire de la libération : un groupe des survivants et des familles des déportés de Fossoli sollicite le maire de Carpi (où se trouvait le camp) pour organiser une célébration qui, à la fin des fêtes de la libération de l’Italie, porta à la mémoire des Italiens le sort des déportés. C’est en Italie la première exposition nationale sur les Lager : il y a là un changement radical dans l’iconographie des expositions sur les thèmes de la Deuxième Guerre mondiale. La déportation n’est plus donnée à voir comme sacrifice offert dans la lutte de la libération nationale : l’attention du visiteur doit se porter sur la déportation racontée dans sa complexité, des parcours différents à lire dans leur spécificité et cependant partagés. Dans la cour du Palais des Pio à Carpi, chaque camp occupe un espace spécifique et l’histoire de chaque camp dialogue avec celle des autres. En 1956, l’exposition est présentée à l’Institut de la Résistance de Modène qui, souvent en collaboration avec l’ANED, assure la tournée de l’exposition dans toute l’Italie : de Rome à Turin, de Ferrare à Vérone…
Exposition nationale des Lager

Dans le sillage de cette exposition, les premières rencontres entre déportés et jeunes ont lieu : lorsqu’elle arrive à Turin, une fillette de douze ans écrit une lettre au journal de la ville (La Stampa) pour demander que quelqu’un lui raconte l’histoire que les photos évoquent et elle signe sa lettre « la fille d’un fasciste qui veut savoir la vérité ». Les adultes sont indignés, mais il faut dire que la guerre n’est pas dans les programmes scolaires. Une lettre de Primo Levi se distingue : il écrit au nom de l’ANED, il remercie la fillette et se dit disponible pour rencontrer les jeunes. La première rencontre a lieu le 4 décembre 1959, suivie par une deuxième le 5 décembre. Grand moment fondateur : pour la première fois, Primo Levi prend la parole en public et les membres de l’ANED commencent à être invités à raconter leur histoire.

Aujourd’hui encore, nous n’avons pas de liste officielle des noms des déportés italiens : c’est seulement en 1968 que l’État italien a listé les noms pour établir les ayants-droit à une pension – mais il faut se déclarer, et tous les déportés ou leurs familles ne l’ont pas fait. Si le chiffre des déportés juifs est plus précis, il est le résultat d’un travail de la communauté juive, qui avait commencé à établir seule les listes dès 1944. Or cette caractéristique de la mémoire italienne est bien visible sur l’esplanade des monuments à Mauthausen : le monument italien ne ressemble pas aux autres : c’est un mur tapissé de plaques dans tous les sens avec les photos des déportés, apportées par les familles. On pourrait parler de désordre, mais en le regardant on peut entendre le bruit de la mémoire qui se construit par le bas, hors de la rhétorique nationale.

Monument italien à Mauthausen

Ce caractère se retrouve dans bien d’autres monuments qui ont fait la mémoire italienne, mais qui ont aussi contribué à jalonner la mémoire européenne. À Ebensee, c’est une croix, sur un projet de Giò Ponti : Hilda Lepetit, veuve de Roberto Lepetit, l’a fait construire toute seule, sans aide de l’État, très tôt après l’un de ces voyages que souvent les veuves de déportés ont fait pour retrouver le corps de leur mari. Hilda retrouve l’emplacement de la fosse où reposent 1 000 déportés et peut-être son mari, et elle décide de leur consacrer ce lieu qui a continué à marquer la mémoire du village d’Ebensee, où les traces du passé avaient été vite effacées. De même à Gusen : ce sont des déportés italiens qui, choqués par l’effacement des traces, ont fini par construire ce qui aujourd’hui est devenu le Mémorial de Gusen. L’ANED, avec l’aide des Français, a acheté le crématoire du camp, et le cabinet BBPR a élaboré le projet.

Il faut ainsi relever une autre caractéristique de la construction de la mémoire de la déportation italienne : l’implication très forte de l’art. À Carpi, l’ANED a réalisé en 1973 le Museo monumento al deportato politico e razziale : une muséographie artistique réalisée aussi par le cabinet BBPR par le croisement des différents langages et registres de sens. À Auschwitz, la mémoire de l’Italie avait été portée par l’ANED et marquée encore une fois par un geste artistique du cabinet BBPR, dans le Block 21, avec le concours exceptionnel de Primo Levi, Pupino Samona, Nelo Risi et Luigi Nono pour créer un lieu de mémoire. C’était une œuvre unique ! Mais en 2015, l’Italie a accepté l’ultimatum des autorités polonaises : retirer l’œuvre avant qu’elle ne soit détruite par le Musée d’Auschwitz, au motif qu’elle comportait des symboles communistes de l’après-guerre. L’ANED a pu réinstaller l’œuvre à Florence…

Mémorial italien d’Auschwitz

En conclusion, Marie-Anne Matard-Bonucci met en évidence la diversité de la déportation en Italie : les déportés résistants avaient une voix plus audible, mais tous se sont heurtés à l’incompréhension. Le musée de Carpi est le plus beau musée de la résistance et de la déportation en Italie qui rassemble toutes les mémoires. Si l’enjeu est bien de viser une mémoire vivante, il faut aussi, aujourd’hui, en faire un combat humaniste. Elle approuve ainsi un propos de Peter Kuon, pour qui les migrants qui arrivent en Italie ont des histoires à raconter ; c’est de notre devoir de faire la liaison entre ce qui s’est passé et ce qui se passe aujourd’hui.

Caroline ULMANN
Amicale de Mauthausen